S’embarquer pour vivre mieux, ailleurs, en Italie par exemple. Une illusion en fait. Partir et s’installer à l’étranger n’est pas chose aisé. Tous les jours les différences culturelles nous rappellent que notre pays natal est loin. Et surtout partir sur une barque pour rejoindre les côtes italiennes est loin d’être une garantie de vie meilleure. Rencontre avec Fabio Ghia et Manel Jouini de l’Association Nationale des Familles des Emigrés.

Il a vadrouillé sur les mers toute sa vie. C’est pour ça que le dépaysement culturel lui parle. Fabio Ghia a de beaux yeux bleu et des tatouages sur les bras. Et quand il éclate de rire en ouvrant grand les bras on a l’impression que toute l’Italie nous souhaite la bienvenue. Fabio est arrivé en Tunisie il y a dix ans. Un dernier poste à l’ambassade d’Italie avant sa retraite et voilà comment ce napolitain d’origine tombe « en amour avec la Tunisie ».

« Ici je me sens à l’aise, la vie est agréable. Mais comme j’ai beaucoup voyagé je comprends les problèmes de dépaysement et d’intégration culturelle que les émigrés vivent et particulièrement les Tunisiens qui arrivent en Italie où la vie est différente sur certains points. »

C’est en côtoyant des couples mixtes qui avaient des problèmes quant à l’éducation de leur enfant par exemple ou en voyant des Tunisiens avoir du mal à s’intégrer que Fabio a eu l’idée de travailler sur la branche tunisienne de l’Association Nationale des Familles des Emigrés, lancée en 2011 après deux années de retard : « C’est une association particulière qui travaille pour le dialogue interculturel et se penche particulièrement sur les lois italiennes et tunisiennes qui touchent à la vision de la famille dans ces deux pays. » ANFE dispose de 16 sièges dans toute l’Italie. Entre aide juridique et cours de langue tout est fait pour une meilleur intégration. Et les enfants sont au centre de la problématique pour Fabio qui pense que l’action de l’association doit être concentrée sur eux pour satisfaire leurs exigences et non celles des adultes.

En réalité il y a peu de différence dans la manière de voir les choses ou quant aux liens familiaux entre l’Italie et la Tunisie. Mais sur certains points juridiques il peut y avoir mésentente. Les questions de la nationalité ou de l’héritage peuvent poser problème par exemple.

En tout la communauté tunisienne d’Italie serait composée de 180 000 personnes, la plupart intégrées et vivants sans problème dans leur nouveau pays d’accueil. « Le dialogue est essentiel pour faire évoluer la situation de manière positive. Car il faut être capable de s’imprégner de la nouvelle culture et laisser de côté une partie de sa propre culture pour réussir à s’adapter. »

Mais aider les migrants va plus loin que travailler à la simple intégration. Les histoires personnelles et le chemin fait pour arriver en nouvelles terres sont à considérer. « Par la force des choses nous nous sommes retrouvés en charge de la question de l’immigration et l’intégration, explique Manel Jouini, secrétaire générale de l’association. Ainsi nous traitons de l’intégration des Tunisiens qui veulent s’installer en Italie et du coup nous traitons aussi du volet immigration illégale, même si on en parle peu, car c’est un problème important. Nous essayons de régulariser la situation des clandestins qui partent illégalement. »

« Nous nous retrouvons donc à essayer d’aider les familles des Tunisiens disparus en mer depuis la Révolution par exemple. Il y a entre les Etats tunisien et italien des accords et de la coopération mais ce n’est pas suffisant car aujourd’hui encore nous ne savons toujours pas où sont passés ces gens. J’espère qu’ils sont arrivés en Italie. Inch’allah, lance t-il en soupirant, c’est ce que j’espère de tout cœur. »

La prise en charge du dossier des disparus a permis à l’ANFE de montrer certains de ses objectifs « Nous travaillons à bien faire comprendre les différences culturelles qui existent. Il y a une vision faussée de l’Italie par exemple. La changer permettra de lutter contre les départs illégaux dangereux, explique Fabio. » Un départ au risque de la vie de ceux qui s’embarquent vers un mirage. Espérons que l’action de l’association permettra d’aller dans ce sens.