Crédit photo: tourmag.com

Par Nadia Tarhouni

Quatrième pays le plus visité en Afrique après l’Egypte, l’Afrique du sud et le Maroc, la Tunisie possède de nombreux atouts : sa position géographique au sud du bassin méditerranéen, avec 1300 kilomètres de côtes en grande partie sablonneuses, son climat méditerranéen chaud l’été et doux l’hiver, son patrimoine civilisationel très riche comprenant pas moins de huit sites inscrits à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco lui permettent depuis des années d’attirer quelques millions de touristes par an.

Néanmoins l’état catastrophique du tourisme tunisien n’est aujourd’hui qu’un secret de Polichinelle. Un tourisme de masse dans les mains d’une ex famille régnante et de quelques groupes privés tunisiens nouant des partenariats avec des groupes hôteliers internationaux et des tours opérateurs sans merci ont fait de notre Tunisie un terrain bas de gamme qu’il est de notre devoir de défendre.

[question]Où en est le tourisme tunisien ? Que peut-on en espérer et comment ? Quelle place a-t-il dans la création d’emplois en Tunisie ? Et vers quel tourisme pourrions nous nous diriger ?[/question]

De 1960 à 2011 :

Né peu de temps après l’indépendance le tourisme tunisien se développe grâce à l’action conjuguée de l’Etat et de certains groupes privés vers les années 60. Saisissant le boom économique des trente glorieuses la Tunisie se retrouve en 1974 avec un parc hôtelier de 56000 lits. Ce chiffre n’a cessé d’augmenter pour atteindre en 2010 environ 241000 lits.

Les années Ben Ali ont offert à un cercle restreint d’entrepreneurs et de groupes privés tunisiens qui ont noués des partenariats avec des groupes hôteliers internationaux tel que le Français Sofitel-Accor avec le groupe TTS, l’Espagnol Sol-Melia-Tryp avec le groupe El Mouradi, l’Américain Sheraton avec le groupe Affès , mais aussi à certains membres de la famille régnante et de tours opérateurs : le plein pouvoir sur un domaine bien lucratif.

La politique touristique pendant 40 ans et surtout ces 20 dernières années a encouragé le développement d’un tourisme de masse, géographiquement concentré sur les côtes et proposé à des tarifs imbattables. Sept millions d’entrées en 2008, mais à quel prix ?

Les tours opérateurs imposent des tarifs de plus en plus bas et provoquent un cercle vicieux ou l’hôtelier lui même est pris au piège de son propre gagne pain.
Des semaines vendues en « All inclusive »* à 300 euros, remplissant des milliers de chambres entassés sur des kilomètres de côtes qui ont enrichit ce cercle restreint d’investisseurs tout en appauvrissant une classe laborieuse avec des salaires de misère dans une précarité totale. Dans la majorité des cas, ces emplois saisonniers payés misérablement n’étaient conclus que par quelques mots et une poignée de main, loin de tout contrat signé.

Non content d’avoir laissé le tourisme tunisien aux mains d’une minorité qui n’a pas prit soin de ce joyau, l’ancienne famille régnante a méprisé la richesse géographique, historique et culturelle qu’elle avait sur ces terres.

Quelques propositions :

La Tunisie tourne aujourd’hui une page de son histoire. Elle d’aujourd’hui n’accepte plus d’être entre les mains d’une élite qui n’en fait qu’a son bon vouloir quitte à vider les caisses de l’Etat, piller son histoire et abîmer son patrimoine. La Tunisie d’aujourd’hui cherche l’égalité, la dignité, la reconnaissance sociale et surtout le travail. Cela passera au minimum par :

1- Un travail de revalorisation du tourisme tunisien. Stop aux semaines à 300 euros en « ALL INCLUSIVE » qui en plus font perdre de l’argent à nos hôteliers.
Il n’est plus question de brader notre pays et le vendre à perte. A titre d’exemple en 2010 la Tunisie a bénéficier d’un nombre d’entrées sur son territoire égal a celui du Maroc. Le Maroc en a tiré un bénéfice 2 à 3 fois supérieur à la Tunisie.

2- Replacer le rapport de forces avec les tours opérateurs : nous ne sommes pas tributaire des tours opérateurs. Ils ont plus besoin de nous, que nous avons besoin d’eux. Nous devons tendre vers une indépendance vis-à-vis des principaux marchés émetteurs.

3- Diversifier l’offre proposée aux touristes. Après avoir misé sur un tourisme de masse plutôt bas de gamme il va falloir favoriser la qualité à la quantité. Je développerai ce point dans la dernière partie de l’article.

4- Un meilleur entretien du patrimoine architectural, archéologique, territorial et une remise en valeur de certains sites tels que le Colysée d’El Jem, troisième Colysée au monde de par sa taille, la ville de Kairouan ancienne capitale du monde musulman, les ruines romaines telles que Sbeitla, Carthage et Utique, les palmeraies du sud tunisien, mais aussi les différents parcs nationaux tels que d’Ichkeu, Chaâmbi, Bouhedma, Boukernine, Fîtja et Sidi Touiqui qui bénéficient d’un écosystème extrêmement rare.

5- Une revalorisation des études touristiques est inévitable. Nous devons proposer des cursus d’excellence. Le tourisme est devenu un choix « par élimination », quand on ne sait plus quoi étudier, ou dans quoi travailler on se dirige vers le tourisme ; Grave erreur. Il y a dans ce domaine un réel savoir faire à travailler et à développer et à faire valoir. Travailler dans le tourisme doit être une profession à part entière. De la femme de chambre, au directeur d’établissement en passant par les gouvernants et les cuisiniers.

6- Une revalorisation du tourisme intérieur. Il est de nos jours inadmissible que les Tunisiens paient plus cher leurs nuitées.

Tourisme et emploi :

Le tourisme représente 7% du PIB tunisien et emploie quelques 400 000 personnes chaque année. Le potentiel d’emplois directs et indirects s’élève à un million et demi d’emplois voire 2 millions. Rappelons que le chiffre annuel est de 7 millions de visiteurs, dont 2 millions de Libyens et 1 million d’Algériens, le reste est principalement en provenance d’Europe. Ce chiffre a chuté de 35% sur l’année 2010-2011. Le processus démocratique étant complexe, cela n’a pas créé un climat rassurant et favorable au tourisme.

Mais n’encourageons pas ce cercle vicieux. Pas de tourisme, pas de devises, pas de recettes touristiques, pas d’emplois. L’insécurité est souvent le résultat d’une revendication directe ou indirecte du droit à l’emploi, un chômage trop important dans n’importe quelle société ne peut engendrer que de l’insécurité. Le travail étant à mon avis la solution à une bonne partie de nos problèmes, nous devons encourager le tourisme tout en attirant un public solidaire.

Voyager autrement :

A travers différentes observations et de part mon expérience personnelle j’ai pu constater qu’un tourisme parallèle s’est développé ces deux dernières décennies : un tourisme plus individuel (qui se pratique souvent en petit groupe : famille, couple, amis). Ces nouveaux comportements traduisent un besoin de retour au « petit » dans un monde globalisé. La Tunisie doit encourager un tourisme plus rural et moins côtier, plus authentique et moins sur-joué, un tourisme plus autonome et moins figé. C’est donc vers le tourisme solidaire, écologique, équitable et durable que se dirige mon attention. Un nouveau profil de touristes envahit la planète en quête d’authenticité nous ne devons pas rester à la marge de ce besoin.

Ceci permettra la création d’emplois là ou aucun hôtel n’a encore émergé et de désenclaver des régions isolées et marginalisées. De la chambre d’hôte chez l’habitant, au guide certifié mais autonome proposant un circuit à la carte, en passant par le restaurant familial, le développement d’activités sportives, culturelles, etc. La Tunisie a un potentiel « touristique solidaire » et d’écotourisme considérable à proposer.

La révolution a porté aux lèvres des Tunisiens des mots honorables ; dignité, égalité, fraternité, emploi, logement, éducation, santé, liberté d’expression, tant de mots qu’il faut faire valoir. Cette occasion inouïe d’établir l’état de droit engendrera des modifications radicales dans certains de nos secteurs d’activités. Le tourisme est un secteur économique et social important que nous ne pouvons pas laisser en l’état actuel. Le remodeler est une nécessité.