Fini le monopole de quelques radios qui diffusent en boucle les mêmes infos, les mêmes communiqués, inondant de fait les auditeurs d’une pensée unique. Depuis la révolution 12 nouvelles radios ont vu le jour. Et comme la diversité doit permettre de mettre en place plus de démocratie, il semblerait logique que tout soit fait pour les aider à continuer à émettre. C’est pourtant loin d’être le cas.
Est-ce que l’on va continuer à entendre encore longtemps Cap FM à Nabeul et Radio 6 à Tunis ? Pas sûr. « D’ici mi-octobre ces radios n’auront plus la permission d’émettre car les autorisations que le Premier ministère leur a données ne sont valables que pour 3 ou 6 mois et que toutes arrivent à terme. Ces autorisations sont simplement des accords de principe et ne sont pas définitives, car l’Etat n’a pas fait de cahier des charges régulant le secteur » explique Belhassen Handous de RSF Tunis.
C’est l’INRIC qui avait la charge d’attribuer les licences radio et TV. Puis le Premier ministère, instance de régulation, devait donner l’aval final. Au printemps 2011 les nouvelles structures se sont créées et plus d’une trentaine de radios ont posées leur candidature. Douze d’entre elles ont eu une licence provisoire : Radio Kalima, Radio 6, Kif FM et Ibtissama FM à Tunis, Oxygène FM à Bizerte, Cap FM à Nabeul, Sabra FM à Kairouan, Chaambi FM à Kasserine, Sawt el Manajem à Gafsa, Al Karama à Sidi Bouzid, Oasis FM à Gabès et Ulysse FM à Médenine.
Mais pour l’instant ces structures travaillent sans cahier des charges, c’est à dire sans qu’une réglementation encadrant le secteur ne soit mise en place. Et de cette absence découle un second problème : « les frais de l’Office Nationale des Télédiffusion (ONT) qui varient de 100 000 à 200 000 dinars par an” explique Belhassen Handous. Tant que le décret 116 sur la liberté de la presse n’est pas appliqué il n’y a pas de régulation et de distinction entre chaque type de radio : communautaire associative ou radio commerciale. Or les frais à payer à l’ONT dépendent de ce statut. Car les radios associatives sans but lucratif ne doivent normalement pas payer ces frais.
Nozha Ben Mohammed, à la tête de Radio 6, explique bien les problèmes auxquels sa structure est confrontée :
« Les frais de diffusion de l’ONT sont exorbitants. On nous demande 100 000 à 120 000 dinars par an à payer par échéance de 6 mois. Nous sommes une radio communautaire associative qui n’est pas supposée payer ce genre de frais. »
Et Nozha d’ajouter que la précarité juridique pose aussi problème. Le fait de n’avoir ni protection ni statut assurant une marge de manœuvre oblige les journalistes à travailler à l’aveugle. Nozha l’explique clairement : c’est la législation qui doit changer.
En fait restreindre l’octroi de licences et exiger des frais de diffusion pour tous est une manière, de la part du pouvoir politique, de prendre en otage les médias. Et voilà comment ressurgissent doucement les pratiques du régime déchu pour museler la liberté d’expression et de la presse. A l’époque déjà c’était l’argent qui permettait d’avoir ou pas une fréquence d’émission. Aujourd’hui c’est le même obstacle qui se dresse. Pour l’instant l’Etat considère toutes ces radios comme des radios commerciales, alors que ce n’est pas le cas. Et même si dans le décret 116 sur la liberté de la presse il y a l’idée de radio communautaire, le gouvernement, lui, ne semble pas décidé à prendre ce décret en considération.
A Kairouan Amor Naguazi s’occupe de Radio Sabra FM, une radio commerciale. Les frais de l’ONT il est censé s’en acquitter puisque sa structure dégage des bénéfices des recettes publicitaires. Pourtant il a, lui aussi, des problèmes d’argent : « Il faut payer l’ONT à hauteur de 148 000 dinars, parce que je suis une radio commerciale. Mais le plus gros problème pour moi c’est de trouver de la publicité. Les gens ne veulent pas trop en donner, ils ont déjà des contrats avec les radios qui existaient avant le 14 janvier. » Pourtant les médias régionaux ont l’air de s’être déjà ancrés dans le paysage médiatique régional et d’avoir déjà fidélisé des auditeurs. Ainsi Amor Naguazi explique recevoir entre 300 et 500 coups de téléphone par jours de la part de ses auditeurs. Il est dans une région stratégique, il le sait. Sa radio émet sur tout le centre du pays.
Le fait d’avoir des médias régionaux est extrêmement important car ces médias donnent à entendre la voix de gens qui vivent en région et donc de faire circuler l’information et révéler les tendances de la vie de tous les jours. C’est le pouls du pays qui est pris de cette manière.
« Les gens sur place aiment avoir leur média local ou régional. Il reflète leur identité, leur vie, leur parole, leurs préoccupations. C’est un avantage qui joue en faveur de ces radios et qui doit leur permettre à terme, de trouver de la publicité » explique Belhassen Handous.
Car c’est via une base d’auditeur solide que ces structures peuvent engendrer de la publicité et donc subvenir à leur besoin en créant un mode économique à leur échelle.
La question du point de vue
« Le journalisme en région est très important pour la population » rapporte Mohamed Hedi Nsib, coordinateur général de la radio Sawt el Manajem, la voix des mines.
« Nous avions ici une radio régionale qui a fait beaucoup de tort aux gens qui se levaient contre le régime déchu. A Gafsa nous avons une réalité sociale et économique particulière avec beaucoup de problème de chômage, d’environnement, d’infrastructure… C’est important pour les gens d’avoir une deuxième radio, proche de nous et de nos problèmes. »
Proche de leur vérité. Un média dans lequel les citoyens ont confiance car ce média leur ressemble.
A la base Mohamed a un bac+ 5 en mécanique. Mais ce facebookeur a suivi une formation au CAPJC pour être caméraman. Depuis il s’est lancé dans l’aventure de la radio communautaire associative corps et âme. « Nous faisons six heures de direct quotidiennement 7jours/7. De 10h à 12h nous avons un programme social, de 12h à 14h un programme politique et de 19h à 21h un programme détente, jeux, musique et dédicace. » Ce qui fonctionne le mieux c’est le programme social qui permet aux auditeurs de s’exprimer. « Mais les dédicaces aussi fonctionnent bien, explique-t-il en rigolant, que ce soit pour les sœurs, les mamans, les amis… »
La voix des mines FM a les mêmes problèmes que n’importe quelle nouvelle radio : l’argent. Ne pas faire de publicité ne permet pas de payer les frais exorbitants exigés par l’ONT, si bien que le fait de voir un statut particulier pour les radios communautaires associatives exonérant la charge de ce type de frais, se mettre en place, est vital. Car pour Mohamed c’est une question d’éthique :
« Nous ne pouvons pas payer les gens mais nous essayons de leur donner une petite compensation. C’est difficile car les gens sont chômeurs ici et on ne peut pas les faire travailler gratuitement alors qu’à la base ils n’ont rien. »
Ces question de licence et de frais de diffusion dépendent directement du pouvoir politique, qui décide s’il veut mettre en place une pluralité des médias afin d’informer comme il faut les citoyens, ou si au contraire il préfère fermer le secteur en lui imposant des normes difficiles à suivre, gardant ainsi les médias sous sa coupe.
L’enjeu politique est fort et très représentatif du malaise du gouvernement quant à l’idée d’avoir des médias libres. En plus de ça les radios doivent faire face à des problèmes de fonctionnement.
A commencer par les problèmes de matériel : « il est toujours très difficile d’importer du matériel car les procédures prennent des mois, en plus du fait que les douanes travaillent doucement et qu’il y a un problème de devise » témoigne Belhassen.
Autre problème pour Belhassen : le fait que les banques ne veuillent pas prêter d’argent à ses structures « car elles sont conscientes qu’il y a un grand risque que d’insolvabilité. Il faut que les radios comprennent le système économique local pour permettre la survie de la radio, l’amortissement du matériel, payer les charges. Il faut élever le niveau général de ces radios pour qu’elles drainent plus d’auditeurs et qu’elles soient attractives. » Les radios doivent apprendre à survivre, à vivre de la publicité, à payer leurs employés .
Et pour qu’il y ait attractivité il faut que les équipes soient formées. « Surtout il faut que ces radios continuent leur travail, s’inscrivent dans la durée parce qu’elles vont apprendre sur le tas, se former, expérimenter leur dynamique et sculpter leur propre réflexion et traitement médiatique. En plus de ça il faut trouver le moyen de faire de la formation sur place : ramener des formateurs pour travailler pendant 24 ou 36 mois pour apprendre à trouver l’info sur le terrain et apprendre la culture du travail en équipe. Mais pour cela il faut un volet syndical… » suggère Belhassen.
Nozha, de Radio 6, avoue être extrêmement déçue de la tournure des événements : « Radio 6 a vu le jour le 10 décembre 2007 sur le web. En octobre 2009 nos locaux ont été saccagés. Nous avons déménagé et en février 2011 nous avons piraté une fréquence FM. Ce n’est qu’en mars 2012 que nous avons eu une pré-autorisation de diffusion officielle, mais ce n’est pas définitif et tout peut s’arrêter du jour au lendemain, pour Radio 6 comme pour les autres radios. »
« Le fait est qu’avant la révolution l’ennemi qui nous empêchait de travailler c’était Ben Ali et sa famille. Aujourd’hui on ne sait plus exactement : c’est l’éthique, la religion, les gens qui se posent en défenseurs de la religion et nous censurent… » témoigne Nozha.
Ce vendredi le Syndicat Tunisien des Radios Libres organise son assemblée générale. Il s’agit d’élire un nouveau bureau à ce syndicat qui fonctionne depuis 2005, mais également de discuter des problèmes que chacun rencontre et de rassembler les forces « Nous devons faire front uni pour se défendre et défendre la liberté d’expression » lance Nozha.
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