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Femme tunisienne -Credit photo Hamidine Bouali

Il n’aura échappé à personne, hormis à certains dogmatiques et aux amoindris notoires, ce qui représente déjà, vous en conviendrez, un bon paquet d’atrophiés du bulbe, que depuis quelque temps la question du « statut » de la femme est au centre de débats farouches et éructés.

La femme est-elle l’égale de — ou un complément à — l’homme ? Vaste question qui, dès lors que l’on s’est débarrassé des antédiluviennes considérations physiologiques nous plonge dans des abimes philosophiques vertigineux susceptibles de favoriser la réflexion et la prise de recul (mais j’ai comme qui dirait l’intuition que ce n’est pas avec la bande de bras cassés qui constituent l’actuel gouvernement que nous risquons de nous y plonger, dans les abimes).

Et puis personne ne songe jamais à s’interroger sur la pertinence d’une telle référence ; car après tout, pourquoi l’homme et pas l’ornithorynque ? Quitte à idolâtrer quelque chose de ridicule…

L’homme… cette initiale merveille du monde faite à l’image de son créateur, référence universelle et incontournable que nous envient toutes les formes exogènes de vie de la galaxie… Car n’est-il pas parfait, l’homme ? On nous le serine sur tous les tons et depuis des lustres qu’il est la perfection incarnée, indépassable et que toute la vénusté de l’univers réside au fond de ses gamètes altiers… Ah, bien sûr, dans sa grande naïveté toute guillerette son itinéraire n’est pas exempt de sautes d’humeur enfantines : un petit génocide par ci, une bombinette à neutrons par là, mais ne chipotons pas sur d’aussi insignifiantes vétilles, nous serions de parti pris, ce qui est mal.

Le problème, c’est que pour défendre, au choix, le CSP(Code du Statut Personnel), l’égalité, la liberté, le droit d’utiliser la télécommande dans le canapé, on entend un peu tout et n’importe quoi.
L’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est connu et ce n’est pas moi qui l’ai dit. D’ailleurs on ne sait même plus qui l’a dit, c’est trop vieux. On est comme ça, nous autres, des ingrats avec le cerveau qui se ratatine derrière les orbites, c’est dégoûtant… Ah ! Qu’est-ce que j’ai encore fait de mon téléphone portable ? Samiraaaaaaaaa!…

Oui donc, on dit un peu tout et n’importe quoi. Prenez-en pour preuve cette facétie en provenance des « réseaux sociaux » (qu’il est bon d’être moderne, je vous le dis) qui m’est tombée devant les yeux et m’a laissé pendu par la mâchoire :

« On dit que les hommes sont plus forts que les femmes ! Peuvent-ils porter un bébé dans leur ventre durant 9 mois ? Peuvent-ils cuisiner, nettoyer et parler au téléphone en même temps ? Peuvent-ils marcher toute une journée avec des talons de chaussure de 12 cm ? Peuvent-ils pleurer toute la nuit et se lever le matin comme si de rien n’était ? Messieurs, n’oubliez pas : une femme est seulement sans défense jusqu’à ce que sèche le vernis de ses ongles » À mourir de lol.

À n’en pas douter l’auteur (e) de cette petite fantaisie, tout comme ceux qui en partagent la teneur et agréent avec son contenu, sont animés de louables intentions… et que nous voilà repartis pour un tour gratuit de cette si cocasse guerre des sexes ! C’est pour de rire ! Tout cela n’est pas très sérieux, allons, ne prenez pas la mouche Hervé.

Sauf que les mots ont un sens comme disait l’autre et que nous voilà illico confrontés à une image de la gent féminine qui, d’après le portrait brossé, nous amène à nous demander, mais à la bonne franquette hein, sans acrimonie d’aucune sorte : « et qu’est-ce qu’on fait des autres ? » Les pas enceintes, qui ont le mauvais goût de se déplacer en sabots ou en tongs toute la journée et abhorrent les talons hauts ? Celles qui détestent cuisiner, astiquer le formica autant que de perdre leur temps au téléphone ?

Il y en a, j’en connais ! C’est pas ce qui manque ! Et les autres qui honnissent le vernis à ongles ? Les allergiques ?… Quid ? On les brûle ? On les enterre ? Ou préfère-t-on les mettre sur orbite ? L’embarras du choix de la méthode.

Et puis, on l’imagine « moderne » la donzelle épanouie devant ses fourneaux, bien libérée comme il faut, à accoucher pendue au téléphone et à se vernir les ongles la tête permanentée tout au fond de la couscoussière. Le bonheur ! Et puis alors surtout pas vilaine! Certainement pas ! Manquerait plus que ça même. Elle est jolie la coquine aux formes louvoyantes et si d’aventure elle joue un peu de ses charmes, quoi de plus normal que l’homme, du fin fond de sa galanterie velue, lui concède quelques prérogatives ?
Mais si elle est moche, patatras ! Tout s’effondre ! Et grosse en plus ? Vous imaginez ?

Alors là, « this is provocation », ni plus ni moins, pour reprendre l’indignation de M. Jacques Chirac lors de sa visite à Jérusalem en 2007 ; de quoi « go back to my plane and go back to France », purement et simplement. Parce que bon, Farida, tu exagères avec tes 90 kilos pour ton mètre cinquante et la liposuccion, hein, c’est pas fait pour les gnous.

Alors vous allez me dire que, comme toujours, je m’énerve pour pas grand-chose (et les plus prévenants s’inquièteront pour ma tension) mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il est aussi un petit peu là le problème. Car prétendre défendre une cause en utilisant des arguments qui la ruinent d’emblée est non seulement néfaste, mais c’est aussi faire le jeu de la partie que l’on a la prétention de combattre. Les femmes ne sont femmes ni dans une cuisine, ni lorsqu’elles sont enceintes ou peinturlurées au karcher, ni avec un balai ou un rouleau à pâtisserie entre les mains.

Les femmes existent avant tout dans l’imaginaire social qui leur donne forme, finalités et besoins, exactement comme pour les hommes. D’où l’importance de leur garantir une égalité en droit qui les prémunira des abus et des débordements institutionnalisés, car les femmes ont le droit absolu d’être ce qu’elles veulent et pas seulement ce que les hommes en attendent.

A moins que les hommes, en plus d’être plus bêtes que les bêtes, soient devenus des lâches, à la manière de certains onanistes piteux qui refusent la prise de risque du contact. Ce qui reste possible.

GILLES DOHES