A El Guettar, une ville du gouvernorat de Gafsa, Moncef Aloui, président du Croissant Rouge, donne de son temps pour les autres. Rencontre.
Ça doit avoir à faire avec le poids des aïeux : cette abnégation et ce besoin d’être utile. Cet engagement pour aider les autres. Moncef Aloui est responsable de la section du Croissant Rouge à El Guettar, une ville du gouvernorat de Gafsa. On y trouve les premières traces de présence humaine en Tunisie qui datent du Paléolithique. El Guettar est une ville qui s’étale de l’oasis au flanc de la montagne. On y a trouvé un amas de pierres, de silex et d’ossements. Michel Gruet, l’archéologue, qui l’a découvert, pense que cette structure est une offrande à la source voisine. L’histoire de El Guettar et de l’eau remonte à loin. Mais aujourd’hui les offrandes n’ont plus l’air de faire leur effet.
Quand Moncef était chez les scouts il se rappelle avoir appris à faire avec les moyens du bord et à se débrouiller dans la nature. Il y a aussi appris l’esprit d’équipe, le respect du chef et l’égalité. Ce qu’il a surtout compris c’est que l’homme a toujours était en conflit avec la nature. Rien d’étonnant pour lui aujourd’hui dans le fait que sa région souffre d’une pénurie d’eau. Mais comme Moncef a appris tôt le principe d’égalité, avec le Croissant Rouge local il s’est chargé d’organiser une récolte de bouteilles d’eau pour les familles du coin.
Spécialisé dans la gestion des catastrophes, il connaît les risques qui peuvent se développer du fait du manque d’eau
« Il y a, en plus du problème de consommation, les problèmes d’hygiène, de maladie comme le choléra… nous nous préparons pour éviter la catastrophe. Nous luttons contre les maladies en sensibilisant les gens, pour qu’ils évitent les maladies hydriques. »
El Guettar est une source d’eau pour les villes environnantes. Si El Guettar souffre, les autres aussi.
Pour Moncef le problème vient des autorités : « Elles gardent le silence. Quand tu écris et elles répondent dans le vague quand tu leur parle elles promettent toujours de venir le lendemain… et rien ne se passe. » Du coup Moncef et ses collègues prennent les devants.
Car selon lui c’est la société civile qui doit se mettre au travail pour le changement. Or celle-ci n’est pas formée pour atteindre de vrais objectifs. Avec le CR il se concentre sur la santé et agit à son niveau sans rien attendre des autres, alors que les gens continuent à travailler à l’ancienne en s’adressant aux politiques. « alors qu’en fait il faut savoir les confronter et les mettre face à leur responsabilités. »
Depuis 1998 Moncef est avec le Croissant Rouge, dans l’équipe d’intervention en cas de catastrophe. Il cumule plus d’une vingtaine de diplôme dans ce secteur, entre logistique et soutien psychologique, Moncef, ce technicien en biologie, qui travaille à l’hôpital depuis 1987, touche à tout. Aprés avoir passé du temps avec les scouts, il a appris une autre philosophie au Croissant Rouge : la dignité, les droits de l’homme et l’humanisme.
Un des droits de l’homme, justement, c’est l’accès à la santé. Or à El Guettar les conditions laissent à désirer. Surtout en ce qui concerne la prévention. Depuis sa création en 2008, le comité local du CR à El Guettar, dont Moncef est actuellement président, a orienté son activité vers la santé, avec la mise en place d’un dépistage de tension artérielle, de diabète et de cancer du sein, gratuitement chaque dimanche. « Il vaut mieux faire de la prévention comme c’est fait dans d’autres pays pour une plus grande chance de guérison. Ainsi si les taux détectés pour la tension et le diabète sont élevés on envoie le patient à l’hôpital pour un suivi. »
« Pour ce qui est du cancer du sein le problème principal dans le coin c’est l’absence de machine pour réaliser des mammographies et le fait qu’il n’y a aucun spécialiste sur place pour recevoir les femmes dans la région » explique Moncef.
L’accès aux soins est difficile. Mais si une vraie éducation a la santé avait lieu il y aurait moins de cas à traiter.
« Le problème en Tunisie c’est qu’il n’y a pas d’éducation à la santé, elle est mal développée et doit être réformée. Or la prévention est essentielle dans le domaine de la santé. Malgré les efforts financiers de l’Etat les chiffres ne baissent pas. Trois millions de personnes ont des maladies chroniques en Tunisie. Nous faisons du dépistage. Les maladies ne viennent pas brusquement. Les gens restent quelques années généralement avant que la maladie ne devienne chronique. Il suffit de combattre en amont avec un rythme de vie sain et un régime simple. »
Via le CR Moncef agit là où l’Etat est absent : « L’Etat ne fait rien ! Alors au quotidien nous atténuons les souffrances humaines, surtout en cas de catastrophe. »
Le prochain chantier du CR c’est la dépendance aux drogues : « Dés octobre nous allons faire un forum pour former des médecins et des paramédicaux au traitement de la toxicomanie. Le nombre de personnes toxicomanes a beaucoup augmenté et beaucoup d’enfants et de jeunes sont touchés. C’est une équipe médicale allemande qui va se charger de former les gens à la technique de l’acupuncture au niveau de l’oreille. »
Les formateurs devront ensuite éventuellement traiter les gens qui veulent arrêter leur dépendance. Le tout se fera en partenariat avec le centre de désintoxication de Sfax, histoire de pallier au manque de place actuel. « Il n’y a qu’une soixantaine de lit et quatre-cent demandes sur les listes d’attente. Les malades doivent alors attendre des années avant d’être soignés et entre temps leur situation peut se détériorer. »
Moncef a participé a d’autres types d’action avec le CR : dans les camps de déplacés en Libye ou pour des dons pour Ramadan. Il n’arrête jamais. A croire qu’il ne se fatigue pas. En fait son secret est simple. Il compte : « Comme pour le commerce, dans l’associatif il faut savoir faire des bilans. Or dans la vie associative pour mille points négatifs tu trouves un point positif. Et ce point positif c’est l’humanité. »
Merci Sana pour ce bel article de terrain.
Le journalisme des régions qui montre les points négatifs mais aussi les points positifs de notre société se fait rare aujourd’hui quand on voit les agendas respectifs très polarisés. Le combat au quotidien et les initiatives comme celles de M. Aloui méritent non seulement d’être dévoilés comme vous le faites si bien, mais aussi érigés en exemples pour l’ensemble de nos concitoyens afin de transformer les discours victimaires ambiants en initiatives productives et porteuses de soulagement et de prospérité pour les générations à venir.
WorldCitizen216.