"Plus jamais peur", un tag écrit en arabe sur l'avenue H.Bourguiba à Tunis qui a été effacé par les autorités

Plus jamais peur“, l’un des slogans qu’on a vu brandir lors des premiers jours de la Révolution en Tunisie sauf que ces derniers mois, un sentiment d’insécurité me semble de plus en plus perceptible. Venu du Yemen pour rencontrer des activistes du monde arabe, Eyad Dammaj s’attendait à voir une Tunisie qui progresse, une révolution en marche. Mais son séjour à Tunis l’a rendu un peu sceptique quant à la situation actuelle dans notre pays.

J’ai été dans le métro, et tout d’un coup on voit des pierres qui se jettent sur les passagers, deux personnes de mon entourage ont été agressées. Le lendemain, j’ai été près de la Casba. Je vois un homme qui attaque une femme âgée, une touriste pour lui arracher son collier. J’ai été choqué, personne n’a bougé pour l’aider. Chez moi à Sanaa, si un agresseur fait pareil, tout le monde se jette sur lui et l’arrête. Ce qui se passe en Tunisie me semble bizarre

En entendant ces histoires et bien d’autres, j’ai été tentée de dire à Eyad que ces agressions ne sont pas aussi récurrentes mais j’aurais menti, car personnellement, j’ai moi-même vécu cela et j’ai eu beaucoup de témoignages pareils de mon entourage : Des histoires quasi quotidiennes de vols, de braquages, de disputes, de violence verbale voire physique… Même les députés de l’Assemblée Constituante subissent des agressions et certains se font même tabasser.

Khodhor Salameh, un autre ami, journaliste et blogueur du Liban m’a confié qu’il sentait une sorte déprime dans l’air

Même les chauffeurs de taxi semblent pessimistes …En plus la police m’arrête avec mon amie tunisienne dans un taxi et on porte à son encontre une accusation absurde “accompagner un étranger” ! Je ne me sens plus aussi bien que je l’ai été quand je suis venu à Tunis il y a quelques mois lors de ma dernière visite.

Un regard extérieur permet souvent de mieux mesurer les choses. Car, effectivement, on sent vraiment qu’il y a de “la déprime dans l’air”. Pour éviter quand même les jugements subjectifs, j’ai contacté à plusieurs reprises, par téléphone et fax, le ministère de l’Intérieur afin d’avoir un rapport, des chiffres et des statistiques concrets au sujet des agressions mais après plus d’un mois d’attente M. Lotfi Hidouri du service presse du ministère, ne m’a donné que des informations tronquées

Durant les six premiers mois de l’année 2012, on aurait eu en Tunisie
15 510 cas d’agression dont 6451 agressions violentes et 9089 agressions légères
2677 cas de vols dont 54% ont été élucidés.

On a donc réitéré la demande en attendant une réponse positive… Entre temps, la gestion de l’Etat par la Troika, notamment par le parti islamiste au pouvoir Ennahdha, ne semble pas créer une atmosphère d’apaisement mais plutôt une tension de plus en plus tangible dans la société. L’histoire de la femme violée qui fait actuellement la une des journaux n’a été que la cerise sur le gâteau, une vraie honte mais pas autant que les déclarations du ministre de la justice qui dément l’avocate de la victime en disant qu’elle n’est accusée de rien alors qu’elle est mise à l’index par la justice pour « obscénité ostentatoire ». Et, comble du malheur, les témoins n’en sont autres que ses violeurs.
Quand un citoyen lambda voit que celui qui est censé le protéger peut être lui-même source d’insécurité, on ne peut que constater une fois de plus le manque de confiance vis-à-vis du système sécuritaire.

Depuis le 14 septembre, l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis par des islamistes et des casseurs est devenue sujette à maintes théories. Certains expliquent la faille sécuritaire par un complot fomenté par les rcdistes et des hommes du ministère de l’intérieur qui seraient menacés par les réformes que Ali Larayedh entreprendrait.

Par ailleurs, c’est du côté de la justice que le bat blesse. Complètement soumise au ministre Bhiri qui s’oppose clairement à l’indépendance du corps de la magistrature, cette dernière est incapable de garantir un jugement équitable et un processus sain contre l’impunité. Aujourd’hui, les juges de l’Association des Magistrats Tunisiens entament un sit-in pour accélérer la réforme et protester contre

—> Le mouvement judiciaire de 2012
—> La réactivation du Conseil Supérieur des Magistrats de Ben Ali
—> Blocage de création de l’Instance Supérieur de l’ordre judiciaire

Encore une fois, l’absence d’une justice indépendante perpétue l’impunité qui reste le problème majeur en Tunisie. La Révolution tunisienne a un slogan “Travail, liberté et dignité” sauf que pour le moment, on est encore au stade où on cherche le plus basique des besoins : la sécurité, chose qu’on a cru avoir récupérée l’année dernière. En effet, le sentiment d’insécurité semble être de plus en plus accru, surtout après l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis. Comment peut-on faire confiance à une police et une armée qui n’arrivent même pas à protéger un établissement public ? Le rapport que M.Larayadh a promis au sujet du 14 septembre tard à venir de même pour celui du 9 avril, comment peut-on aussi faire confiance à un parti qui n’honore pas ses promesses ?