polit-revue#5

Le pays est-il virtuellement en phase de pré-insurrection ? Il y a tout lieu de le penser : comme en 2010, c’est la région de Sidi Bouzid qui donne le la, en bastion de l’insoumission. Un symbole aux allures de déjà-vu, et dont un gouvernement aux abois n’avait pas besoin.

Sidi Bouzid, l’indomptable

Siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Crédit image : Malek Khadhraoui | www.nawaat.org

Ingouvernable Sidi Bouzid ? Dimanche soir, son impopulaire gouverneur est discrètement remplacé, « à sa demande », précise un laconique communiqué du ministère de l’Intérieur.

Vendredi, siège du gouvernorat, Mohamed Nejib Mansouri est conduit vers la sortie manu militari par une foule en liesse. Quelques milliers de manifestants, venus des 4 coins du gouvernorat, entonnent un hymne national entremêlé de youyous festifs.

Insolite, la scène est l’aboutissement de plusieurs mois d’un bras de fer acharné entre l’homme à poigne volontariste imposé par Ennahdha, et des locaux tour à tour syndicalistes, employés municipaux contractuels, et jeunes chômeurs d’al Omrane, petite localité érigée en village martyr de sit-inneurs durement réprimé.

Autoritariste, la gestion de ces mouvements sociaux par le pouvoir central est symptomatique d’un certain autisme politique à plus grande échelle.

Véritable fuite en avant, comme pour rappeler que non seulement les principaux chantiers de la révolution n’ont pas avancé d’un iota, mais que la tentation existe encore de mâter via une même tradition des expéditions punitives.

L’impasse Dar Assabah

Parmi ces chantiers en suspens, l’affaire Dar Assabah VS Lotfi Touati donne à voir un cas emblématique de blocage. Là aussi un indéfectible « homme de la situation » est désigné par le parti au pouvoir à la tête du plus grand quotidien du pays.

Mardi, le caricaturiste Hamdi Mezhoudi (unique dessinateur du Temps – Assabah) et les journalistes Monia Arfaoui, Nizar Dridi et Sabah Chebbi, déterminés à en découdre, entament une grève de la faim.

Seul Khalil Zaouia, ministre Ettakatol des Affaires sociales, daigne faire le déplacement samedi pour négocier une sortie de crise.

Si de nombreux médias évoquent une simple stratégie du pourrissement, le dossier Assabah n’en demeure pas moins un dossier complexe, aux ramifications tentaculaires.

Parmi les enjeux moins médiatisés, il y a la pressante volonté de la famille Cheikhrouhou de récupérer son bébé lucratif depuis sa mise sous tutelle judiciaire, des demandes strictement syndicalistes de titularisation, la légitime offensive contre des propagandistes de l’ex régime toujours en place dans le journal, mais aussi Ennahdha en embuscade tentant de faire main basse sur le média, histoire de faire d’une pierre deux coups…

Djerba s’embrase

Guellela cette après midi. Crédit image : Lìonel Tunisianò

C’est l’escalade que personne n’attendait. De mémoire de touriste, la paisible île de Djerba n’avait pas connu pareille dévastation depuis l’attentat de la Ghriba qui remonte à avril 2002.

Le paysage de désolation est cette fois précédé par des émeutes aussi violentes que soudaines, déclenchées par un fait divers : la réouverture d’une décharge publique à Guellala, suivie d’un sit-in de protestation.

Néanmoins le malaise social devait être profond pour que 8 véhicules de police soient incendiés, une cinquantaine de policiers blessés, et que le bureau local d’Ennahdha soit détruit au passage.

Intervenant en pleine 3ème vague de la saison touristique, cette journée de la défiance marquera d’autant plus les esprits qu’elle remet en ligne de mire le spectre du 23 octobre. Elle pourrait bien en être un avant-goût grandeur nature.

C’est que la date est dans tous les esprits, des plus opportunistes putschistes d’entre eux, aux plus sincèrement démocrates qui comptent bien se faire entendre de la part d’élus voulant jouer aux prolongations.

Liste des 113 élus : Une rente viagère « à l’insu de leur plein gré »

Constituent Assembly. Photo courtesy of Thierry Brésillon

Pendant ce temps-là, des élus maitrisant décidément l’art de la polémique non-stop ont encore trouvé le moyen de se couper un peu plus d’un peuple excédé. L’ex Takatol Salah Chouaïb fait circuler dans les couloirs de l’Assemblée un texte plaidant pour une pension à vie censée « préserver la dignité des constituants au terme de leur mission ». Aussitôt la chose ébruitée, les signataires du document invoquent une méprise sur son contenu exact.

Les détracteurs de la proposition pointent du doigt un esprit qui contraste avec le désintéressement des membres d’autres assemblées, comme celle de 1959 ou plus récemment la haute instance de Yadh Ben Achour qui œuvrai des mois durant à titre bénévole.

Même avortée, la tentative ternit un peu plus l’image de l’ANC auprès de l’opinion, ce qui n’est pas pour déplaire aux organisateurs des manifs du 23 octobre.

Démonstration de force du Front Populaire, « Yassar contre Massar »

La semaine politique s’achève sur un bouleversement des lignes de démarcation à gauche. Le fraichement constitué Front Populaire s’est offert un rassemblement géant au Palais des Congrès : 10 000 personnes réclamant la « chute du régime ».

Après une assez incompréhensible timidité post révolutionnaire consistant en une gauche qui rechigne à s’affirmer sous le label gauche (elle fut notamment taxée d’« apostasie » et d’« idéologie athée »), tout porte à croire que les prochaines échéances électorales verront émerger une gauche radicale décomplexée qui ose le tout social et le 0 concessions à la contre-révolution.