Le 16 octobre, le ministère de la Justice nous a envoyé un droit de réponse relative à mon article au sujet de l’illégalité du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Il a mentionné le fait que nous aurions “joué avec le document du Tribunal Administratif (T.A)” que nous y aurions inséré à la place de la page 2″une feuille entière d’une manière intentionnelle” qui ne fait pas partie du texte du Tribunal à la place de la page 2. Le communiqué du ministère de la Justice va jusqu’à nous accuser de falsification. Ces accusations sont très graves et disproportionnées par rapport aux faits que nous allons étayer.

1- Commençons par la page n°2 du document du T.A que nous aurions insérée intentionnellement. Cette page en réalité provient de la plainte déposée par des magistrats contre le mouvement de magistrature de l’année 2011. Mon erreur est d’ordre matérielle due à une mauvaise manipulation lors du scannage des feuilles. Vous pouvez consulter la plainte dans son intégralité dans le document suivant :

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Ceci ne nous n’exempt pas de la critique mais ne motive pas les accusations de falsification de la part du ministère de la Justice, surtout que, mieux vaut le répéter, cette erreur ne touche pas au contenu même du document du T.A. Ceci dit, je prie mes lecteurs ainsi que le ministère de la Justice de bien vouloir m’en excuser tout en regrettant le procès d’intention attenté à mon encontre.

2- Ensuite le ministère de la justice nous accuse “d’avoir ignoré une page précisant “les détails, l’argumentation et l’avis véritable du Tribunal”.

Contrairement aux accusations, nous avons bien mis en évidence ” les détails et l’avis véritable du Tribunal administratif”. Quant à l’argumentaire, je me suis rendu compte de son existence qu’a la réception du document complet envoyé par le ministère de la Justice. Là encore, aucune intention de manipulation ne peut être retenue contre mon article puisque dans les documents initialement à notre disposition, l’argumentaire n’y figurait pas.

Si nous avions su que des feuilles manquaient, nous l’aurions précisé lors de la publication. Maintenant que nous disposons du document dans son intégralité, nous pouvons préciser que l’argumentaire des juges du T.A ne change rien au contenu ni à la portée de sa décision finale. Encore une fois, on ne peut nous accuser de manipulation puisque ces erreurs matérielles ne changent pas le fond ni du document du T.A ni de l’article.

Ces précisions faites, nous regrettons le fait que le ministère de la Justice n’ait réagi que dix jours après la publication de l’article. Une réaction rapide nous aurait permis de rectifier cela dans les meilleurs délais. Par ailleurs, ce que nous regrettons le plus c’est que le communiqué n’aborde d’aucune manière la question de légitimité du Conseil Supérieur de la Magistrature, ce qui est l’objet même de notre article.

Le Conseil Supérieur de la Magistrature est bien illégitime

Revenons sur le fond de l’article. Tout d’abord, il faudra rappeler qu’un organisme quel qu’il soit a une composition juridique fixée par la loi ou les règlements en rapport. Si la composition est défectueuse juridiquement cela déteint sur les travaux de cet organisme.

Le Conseil Supérieur de la Magistrature est composé de représentants des magistrats. Si la représentation des magistrats est annulée par un Tribunal, toute la composition du CSM devient défectueuse et il ne pourra plus se réunir légalement.

Par deux décisions (2005 et 2007) le T.A. annule la représentation des magistrats. Les élections de ces représentants sont faites dans les mêmes conditions en 2010. Ces décisions viennent conforter les arguments avancés par l’Association des Magistrats Tunisiens dans leur rapport datant de 2005 relatif aux élections du Conseil Supérieur de la Magistrature.

En 2011, des juges ont attaqué aussi bien le Conseil Supérieur de la Magistrature que le mouvement de la magistrature de 2011 devant le T.A. L’affaire est en cours devant le Tribunal.

Il n’est pas – juridiquement parlant – incorrect de dire que la composition du CSM est illégale et qu’il ne peut se réunir quand sa composition est contestée de façon aussi claire par la justice, d’une part puisque les élections des membres du CSM en 2010 se sont déroulées de la même manière non transparentes que celles de 2005 et de 2007.

Il serait utile de rappeler que, comme nous l’a précisé la juge Kalthoum Kennou, Présidente de l’Association des Magistrats Tunisiens, que les deux avis du Tribunal Administratif, ont été rendus respectivement en février et mars 2011, le premier annule les élections du CSM de 2007 et le second celui de 2005. Les mêmes irrégularités, notamment la non transparence, qui ont motivé ces décisions sont les mêmes constatées lors de la session de 2009 et les élections de 2010 où le CSM était encore présidé par le Président déchu, chose qui ne semble pas déranger le cabinet du ministère de la Justice que nous avons contacté.

En effet, après la réactivation du CSM le 13 septembre 2012 par M.Bhiri, on a contacté M.Fadhel Saihi, conseiller auprès du ministre de la Justice pour vérifier l’information, on lui a posé la question suivante :

Comment se fait-il que le CSM de Ben Ali soit réactivé ?» Ce dernier nous a répondu, en riant :
Pourquoi êtes-vous étonnée mademoiselle ? Ceci est légal, selon la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, relative à l’organisation judiciaire, au conseil supérieur de la magistrature et au statut de la magistrature. »

Mon article abordait donc la question de l’illégalité dans ces limites, c’est-à-dire illégalité de la représentation des magistrats qui déteint sur la composition du CSM et donc sur la validité de ses travaux.

En même temps que de signaler les erreurs matérielles survenues avec la publication de la décision du Tribunal Administratif, on aurait bien aimé que le ministère nous éclaire sur les conditions des élections des magistrats qui ont eu lieu après la parution de cet arrêt du T.A. Nous aurions bien aimé être éclairés sur le fait suivant : à savoir si ces élections ont été faites selon les mêmes textes, en vigueur sous le régime de Ben Ali, et qui ont été spécialement rédigés pour pervertir la représentation des magistrats.

A la question de l’illégalité du Conseil, s’ajoute son caractère illégitime qui découle principalement de la suspension de la Constitution tunisienne suite à la chute de Ben Ali, le prédécesseur du ministre de la justice actuel, à la tête du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il est à rappeler ici que la loi relative à l’organisation des pouvoirs publics votée par la Constituante légitiment élue prévoit la création d’une Instance Provisoire représentative de l’ordre judiciaire qui remplacerait le CSM. Au jour d’aujourd’hui, plus d’un an depuis cet engagement, rien n’a été fait dans ce sens. A la place, le ministre de la Justice a pris une décision de réactiver ce Conseil tant contesté par les juges, ce qui représente un grave manquement aux objectifs et aux promesses du gouvernement actuel.

A ce titre, rappelons que le ministre de la Justice Nourredine Bhiri a déclaré lui-même dans le journal arabophone Waqaa,à la date du 14 juin 2012, que son

recours au moyen des révocations (des juges) est due à la situation exceptionnelle que traverse le pays en l’absence d’un Conseil de discipline parce que la crédibilité du de la Magistrature, avec son ancienne structure, est remise en question et on ne peut aujourd’hui y recourir.

Voici un imprimé de l’article

En conclusion, toute cette affaire nous a permis de tirer trois enseignements.

Le premier c’est la rigueur avec laquelle nous nous devons de traiter les documents officiels pour éviter le machiavélisme des uns et des autres qui retarde la progression de la Tunisie dans le bon sens

Le deuxième point c’est l’importance du combat de la structure à laquelle j’appartiens-Nawaat- pour la transparence et l’accessibilité des documents administratifs rédigés par les institutions qui dirigent notre pays. Ceci représente un enjeux majeur de cette transition vers, nous l’espérons, la démocratie.

En dernier lieu, nous comprenons qu’au-delà des querelles techniques sur des détails juridiques, la question de la séparation des pouvoirs et surtout de l’Indépendance de la justice est à prendre avec le plus grand sérieux en Tunisie.

Oeuvrer pour des institutions judiciaires libres, indépendantes et légitimes est la revendication essentielle de la Révolution tunisienne. Car, toutes réformes du système entier de Ben Ali, ne peut se faire sans une justice indépendante.