Depuis le mois d’avril la Radio Nationale va mal. Les petits conflits s’accumulent : des noms d’émissions qu’il faut changer parce qu’il semble impossible de prononcer « Chocolat chaud » ou « Café noir » en plein mois de Ramadan, un concours relancé avec les mêmes critères de candidature, des nominations de directeurs de chaînes de radio par note interne… Pour les employés et journalistes de la radio cette situation est la conséquence directe de la mise en place, à la tête de la Radio Nationale, de Mohamed Meddeb, un ancien employé du service technique, parachuté à la place de Président Directeur Général (PDG). Et ce conflit qui dure depuis des mois semble mettre à mal le travail de reconversion de la radio qui veut passer du statut de média gouvernemental à celui de média de service public.

En avril dernier Habib Belaid, alors PDG de la Radio Nationale, était débarqué pour être remplacé par un ingénieur technique de la radio : Mohamed Meddeb. Stupéfaction chez les journalistes, techniciens et employés de la radio qui se demandent comment ce dernier a bien pu être promu à ce poste.

Jusqu’en 2009 Mohamed Meddeb était chef du service des archives au sein de la Radio Tunisienne. Mais lors de ses années de service il a été en conflit avec ses collègues et la mauvaise gestion de son service a fait parler de lui. Ainsi en 2009 une audit interne à lieu sur son travail. La lecture du document permet de s’interroger sur sa capacité à mener à bien des projets ainsi que sur sa capacité à unir les employés de la radio pour que le travail de réforme nécessaire de l’institution soit mis en place.

Cette audit part d’une lettre adressée à la direction par quatre subalternes de Mohamed Meddeb. Ils se plaignent de ne pas pouvoir réaliser leur tâche, de travailler dans des conditions difficiles, de l’attitude négative de leur chef de service, de la destruction des archives…

Cette audit révèle que le travail n’est pas fait. M. Meddeb travaille de manière archaïque et désorganisée et s’oppose même à l’achat de logiciel informatique à même de permettre un déroulement correct du travail. Il n’a ni stratégie, ni feuille de route et travaille seul, allant jusqu’à garder les clés de la salle avec lui et modifier régulièrement les mots de passe des ordinateurs, empêchant ainsi ses collègues de travailler normalement. L’ambiance de travail est tendue, il ne respecte pas ses collègues, aussi bien ceux qui travaillent sous ses ordres que les journalistes ou producteurs qui viennent consulter les archives. Il s’avère qu’il est incapable de fournir une liste de résultat de son travail et l’audit se termine en recommandant de changer de direction ou d’externaliser le service pour s’assurer de la sauvegarde des archives radiophoniques, qui sont un patrimoine national. Mohamed Meddeb finira par être muté de service.

Avec un tel passé, la réaction des employés de la Radio Nationale semble justifiée. A peine Mohamed Meddeb prend-t-il place que les employés et journalistes demandent au gouvernement de le démettre de ses fonctions. Ils n’ont pas été entendus et six mois après sa prise de fonction Mohamed Meddeb est toujours en poste et la gestion de la radio n’est pas des plus heureuse.

Habib Belaïd débarqué sans ménagement

Habib Belaid, ancien directeur de la radio, débarqué sans préavis, s’attendait à un changement à la tête de sa radio. Il avait été mis en place par un gouvernement provisoire et son mandat s’arrêtait à la fin du mois de janvier 2011. Après les élections du 23 octobre et la mise en place d’un nouveau gouvernement il ne pensait pas rester en poste. Pourtant, lorsqu’il est reçu au Premier Ministère, on lui affirme que son travail convient et qu’il est maintenu à sa place.

Mais Habib Belaid pose une condition : il veut continuer à travailler de manière indépendante. De prime abord un accord semble avoir été trouvé. Reste que les faits sont en contradiction avec le discours du Premier Ministère qui ne renouvellera pas le mandat de M. Belaid. Ce dernier continue tout de même à travailler pour ne pas laisser le poste vacant, mais se doute qu’il ne va finalement pas être maintenu.

Pourtant pendant plus d’un an il a réussit à mettre en route la réforme dont la Radio Nationale a besoin. Il a lancé des partenariats pour la formation des journalistes, a travaillé à la mise en place d’une charte, toujours de concert avec les membres du personnel, a commencé à faire le tri dans le personnel pour qu’il n’y ait plus d’employés touchant un salaire et une rémunération pour des prestations, tout en lançant un concours externe pour pallier au problème de sous-effectif.

Des décisions prises sans concertation

Quand Mohamed Meddeb a pris le poste de PDG, sa manière de travailler semble ne pas avoir convenu aux employés et journalistes. Pour eux le nouveau PDG exerce son pouvoir d’une manière autoritaire et unilatérale. Après sa nomination, le personnel s’attendait à une réunion de présentation, afin de discuter de l’avenir des radios de service public avec leur nouveau supérieur. Une rencontre qui n’aurait jamais eu lieu. Le dialogue interne se rompt. Jamil Ben Ali, chargé de communication de la Radio Nationale, répond que le dialogue existe toujours et qu’il y a des mécanismes pour que cet échange se fasse.

Pourtant différentes décisions posent problème et inquiètent les employés et journalistes de la radio car elles ne semblent pas avoir été prises en concertation avec le personnel administratif et journalistique. Comme le fait que M. Meddeb ait changé l’appel à candidature du concours externe lancé par Habib Belaid. D’après la direction il y aurait eu une erreur dans les critères de sélection. Les candidats devaient être inscrits au Bureau pour l’emploi lors du premier trimestre de l’année en cours et non lors du quatrième trimestre, comme le stipulerait le premier appel à candidature. Une erreur qui serait à l’origine de l’annulation du premier appel à candidature qui aurait reçu plus de 10 000 candidatures, d’après les employés, seulement 5000 d’après Jamil Ben Ali.

Les employés et journalistes ont du mal à croire cette explication et voient plutôt dans ce fait une manoeuvre pour orienter la sélection et fonctionner au piston, faisant ainsi fi d’un choix juste et légal.

Par ailleurs le fait que Mohamed Meddeb ai nommé de nouveaux directeurs à la tête des neufs chaînes de radio de la maison ne fait qu’envenimer la situation. Les journalistes et employés s’interrogent sur ces nouvelles nominations faites de manière verticale et dans lesquelles ils voient la volonté de toucher à la ligne éditoriale. Mais comme l’explique le chargé de communication de la radio, en l’absence de cadre juridique et d’instance de régulation, ces nominations se font de manière interne. Six des nouveaux venus seraient tout de même des employés des chaînes de radio et connaissent la maison.

Conflit avec les journalistes

Pour les journalistes le fait que de nouveaux directeurs de chaînes aient été placés sans concertation pose problème. Une des principales craintes des journalistes est la modification de la ligne éditoriale. De nombreux journalistes pigistes auraient été écartés pour être remplacés par des intervenants extérieurs, sans formation journalistique et qui ne seraient présents que pour leurs heures de vacation. La cohésion du groupe serait en train de s’effriter et les changements concernant la ligne éditoriale, la déontologie, les techniques de travail seraient remis en question.
Par ailleurs différents conflits opposants des journalistes et animateurs à la direction ne font qu’accroître la défiance. Ainsi les cas de Najoua Zouhaïr, Nadia Haddaoui ou encore Boutheina Gouia posent problème.

Un des premiers conflits remonte à l’été. Au mois de juin dernier une réunion a lieu et il est demandé à Najoua Zouhaïr et Nadia Haddaoui de modifier les noms de leur émission : « Chocolat chaud » et « Café noir » ne seraient pas des titres appropriés pour le mois de Ramadan à venir. Ils pourraient gêner certains auditeurs. Najoua et Nadia s’étonnent. Changer de nom équivaut à changer de concept or les émissions marchent bien et les invités politiques sont nombreux dans ces émissions de RTCI.

Quelques temps plus tard, ces deux journalistes détachées de la rédaction du Renouveau, se voient mutées au service News : six heures de présence au bureau, du journalisme assis. Impossible de continuer les émissions. La direction explique que ces deux journalistes ont à la base été détachées pour prêter main forte au service news et qu’il n’y a rien d’anormal au fait qu’elles y soient affectées. Najoua lit plutôt dans cette décision une manière d’arrêter l’émission.

Depuis l’émission est arrêtée et Najoua Zouhaïr est interdite d’accès à la radio, une interdiction qu’elle a faite notifiée par huissier. La direction se défend en expliquant que Najoua Zouhaïr a démissionné, mais ne produit aucune preuve de ce fait. Nadia Haddaoui serait, elle, partie après accord avec la direction, toujours d’après le chargé de communication de la radio.

Démission, départ, mise au frigo ? Le chargé de communication explique que puisque ces journalistes ne sont pas titulaires ce n’est pas le même système de sanction qui s’applique en cas de faute professionnelle. Et là les explications deviennent confuses : les journalistes ont-elles commis des fautes professionnelles qui seraient à l’origine de leur renvoi ou sont-elles parties d’elles-mêmes ?

Quoi qu’il en soit Najoua Zouhaïr, comme d’autres de ses collègues, attend toujours le versement de son salaire dû depuis le mois d’avril. Le ministère des Finances aurait d’ailleurs versé le budget adéquat à la Radio, mais les salaires n’auraient toujours pas été versés.

Quelques temps plus tard c’est la journaliste Boutheina Gouia qui se retrouve en conflit. D’après elle on lui reprocherait le sujet d’une émission. La direction explique qu’il s’agit en fait d’une mise en conformité des tâches de chacun. Ainsi l’administration a décidé qu’il fallait un découpage plus net entre journalistes et animateurs et qu’il n’était pas possible de cumuler les deux fonctions.

C’est également le principe de non cumul des mandats, toujours d’après la direction, qui fera que d’autres animateurs seront écartés : impossible maintenant d’avoir une fonction administrative et de passer à l’antenne.

Les employés et journalistes lisent dans ces décisions une manière détournée d’écarter des voix de l’antenne pour les remplacer par des voix empreintes d’un certain discours politique. Une façon détournée de modifier la ligne éditoriale selon eux.

La ligne éditoriale en danger ?

Mis bout à bout, tous ces évènements font penser au personnel de la radio qu’un travail de sape de l’équipe administrative comme de l’équipe journalistique est en train d’être fait. La volonté serait clairement celle d’une main mise sur la radio, le média qui a le plus de pénétration d’un point de vue des citoyens. Changer la grille des programmes, remplacer les animateurs de la maison par des journalistes orientés politiquement ou des vacataires, empêcher le service administratif de fonctionner normalement… permettrait de rétablir une radio gouvernementale, en lieu et place d’une radio de service publique.

Si les récriminations faites par les employés et journalistes semblent de bonne foi, les explications de la direction concernant le report du concours ou la séparation entre journalistes et animateurs tiennent la route. Chacun ne faisant que défendre ses intérêts, des intérêts qui ne vont pas dans le même sens. Les employés semblent tenir à leur liberté de travail et à leur salaire, la direction, elle, semble ne pas avoir de vision claire du travail à effectuer et on peut craindre qu’au vu des états de service de Mohamed Meddeb, dans un service ne comportant que six employés, il soit complètement dépassé par une institution en comptant des centaines.

Par ailleurs, au vu de la situation générale dans les médias, l’idée que la direction écarte certains journalistes et employés afin d’avoir la main sur la ligne éditoriale n’aurait rien d’étonnant. Car, encore une fois, une nomination-parachutage à la direction d’un média ne fait que créer du conflit.

NDLR : Nous avons contacté le Premier Ministère pour lui permettre de donner son point de vue, mais nous n’avons pas eu de réponse.

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