La distinction entre la liberté individuelle et collective est devenue, sur le plan intellectuel et juridique, un terrain de réflexion surchargé de sens dans la Tunisie postrévolutionnaire.
Cette évolution sur le plan conceptuel ne s’est pas toujours accompagnée d’une évolution conséquente au niveau des faits. L’intolérance persiste et prend, parfois, des dimensions dramatiques. L’extrémisme se développe et semble menacer des régions entières. L’imbrication du politique et du religieux, de manière manifeste ou latente, continue à sous-tendre des tensions et à entretenir des conflits.
L’instrumentalisation du politique au religieux ou l’assujettissement du religieux au fait politique ne peut servir de confortable alibi car les réalités politico-culturelle sont plus complexe que cette simple apparence. C’est pour cette raison que les problématiques relatives aux libertés appellent une attention particulière pour que la philosophie humaniste ne soit pas isolée sur le champ public.
Cette constations nous amène à poser la question suivante : Comment peut-on faire pour réduire le décalage entre la liberté théorique et la liberté pratique ? Ce décalage apparaît tout d’abord dans les structures mentales traditionnelles.
En effet le terme arabe hûriyya est largement employé par les juristes de l’époque classique qui étaient enclins à donner la préférence à une présomption de statut d’homme libre (insan hûrr), mais n’hésitaient point à accepter l’existence de l’esclavage et la privation de liberté pour une fraction de la communauté.
Ainsi, la notion de liberté dans le patrimoine arabe ne parvient pas au statut du concept politique moderne. Evidemment, la définition réelle que l’on donne à la notion de liberté a varié considérablement au cours de l’histoire mais quelques lignes essentielles peuvent être révélées comme l’absence d’une lexicologie pour définir les libertés politiques jusqu’aux les débuts du 19ème siècle1.
Après ces éclairages théoriques autant que historique, il nous semble important de se concentrer sur le quotidien. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que l’analyse historique est importante pour bien analyser ce types de thématique.
En effet, toute réflexion sur les rapports entre culture et liberté commence d’abord par analyser le degré de l’enracinement de la philosophie des droits de l’homme dans la société. L’intense médiatisation, au cours de ces derniers mois, des grands concepts des droits de l’homme et des libertés rend ces terminologies accessibles à tous, mais l’exploration phénoménologique reste encore à faire car c’est le rôle de la culture pour façonner, expliquer et donner le sens aux concepts.
Sans culture, l’être humain reste dans l’archaïsme mental et dans l’arbitraire. Sans essais de réflexions intellectuelles, la vie sociale baigne dans l’ignorance et laisse libre cours aux désirs incontrôlés.
C’est pour cette raison que la culture des libertés doit trouver sa place dans la sphère publique surtout que la révolution tunisienne s’impose comme une conséquence du « soif des libertés ».
Ses effets novateurs qui s’étendent également à l’ensemble du monde arabe ont participé à faire naître une nouvelle société qui accorde de plus en plus de l’importance au fait qu’on tienne compte de son opinion et de son attachement à la liberté comme une notion fondatrice d’une nouvelle ère. Cela veut plutôt dire que la société tunisienne possède des valeurs philosophiques qui se manifestent dans les différents slogans de la révolution.
Ainsi, le rôle de la culture consiste à promouvoir une société consciente de l’importance des libertés dans la construction de son demain. Le droit à la différence doit être affirmé et scrupuleusement respecté, parce qu’il fait à la fois partie intégrante de la pensée rationnelle et des principes révolutionnaires.
L’hypocrisie, imposée ou voulue, n’est pas l’hommage que la vertu rend vice, mais plutôt le ver qui pourrit le fruit. Il faut donc, dans l’intérêt de la patrie, prendre en considération que la liberté est une liberté au plurielle, c’est-à-dire des libertés comme droit citoyen, comme droit au pluralisme et comme droit à un avenir meilleur.
Alors, unissons-nous pour consolider les acquis de la révolution et s’accomplir par-delà toutes les difficultés du contexte postrévolutionnaire. C’est pourquoi l’enquête sociopolitique sur la pratique de la liberté est au moins aussi fondamentale que le questionnement concernant le problème philosophique de son existence et de son éventuelle essence.
Il faut cependant garder à l’esprit que les deux aspects se recoupent et que la liberté philosophique s’oppose à la notion d’enfermement ou de séquestration. Dans la mesure où ces deux perspectives se recoupent de diverses manières, leur chevauchement peut provoquer des erreurs d’interprétation dans les analyses et la confusion dans les débats. Il faut donc prendre soin de distinguer les différents sens de ce mot.
Mohamed Arbi Nsiri
“L’enquête sociopolitique sur la pratique de la liberté est au moins aussi fondamentale que le questionnement concernant le problème philosophique de son existence et de son éventuelle essence.”
En Voici une problématique de recherche très stimulante à laquelle intellectuels et humanistes devraient tous apporter des éclairages complémentaires.
Bonjour,
“Ainsi, la notion de liberté dans le patrimoine arabe ne parvient pas au statut du concept politique moderne”. Ce serait bien et ça éclairerait son propos, si l’auteur, en tant qu’historien des mentalités, nous disait ce qu’est pour lui le concept “moderne” de liberté. Pour l’y aider, je le renvoie à certaines lectures, qu’il doit certainement avoir fréquentées, celles de Foucault ou de Manuel de Diéguez, entre autres.