Si l’histoire de la révolution tunisienne a au plan du savoir un commencement distinct, marqué par Sidi Bouzid et Kasserine, voir des origines plus anciennes et plus symboliques comme les événements du bassin minier de Gafsa, ses problèmes majeurs d’écritures, et, pour le dire d’emblée, ses difficultés, ses embarras, lui viennent de plus loin. À ce niveau on peut constater l’existence d’un triple héritage :
– la formation d’une énigme qui touche l’idée même de la représentation des événements,
– la réinvention du passé,
-l’assignation du discours historico-révolutionnaire.
C’est sur cet arrière-plan dialectique et historique qu’on peut poser la question du rapport des « souvenirs » à la construction de l’historicité du processus révolutionnaire. À cet égard, les souvenirs des mémoires collectives viennent à l’esprit comme une image qui se donne spontanément et comme des signes à déchiffrer suivant une méthodologie bien claire. Ainsi le couple présent/absent ; mémoire/histoire sont deux traits assignés à des entités différentes. En se soumettant au primat de la question « pourquoi ?», la phénoménologie de la mémoire se voit confrontée d’entrée de jeu à une redoutable aporie du langage ordinaire : la présence en laquelle semble consister la représentation du passé paraît bien être celle de la mémoire. On dit indistinctement qu’on se représente les événements de la révolution ou qu’on en a une image mémorisée du fait révolutionnaire.
Par-delà le langage de la réinvention du passé, qui conjoint de façon surprenante l’influence de l’empirisme rationnel, fait de la mémoire une « province » à découvrir car les signes qui identifient l’image-souvenir sont très denses et c’est l’image du passé qui donne comme trace l’empreinte d’un nouveau symbolisme basé sur l’enchaînement des représentations intérieures (personnelles) et extérieures (collectives).
En effet, on peut dire que nos mémoires sont enchevêtrées les unes dans les autres comme le sont les récits historiques qui nous font tour à tour protagonistes singuliers, participants distincts dans la construction épistémologique. La reprise de l’histoire dans la mémoire ne se comprend que si on ajoute une dimension nouvelle à cette opération constructive : Le moment du passage de la question « pourquoi ? » à la question « comment ? » sera encore retardé par un déroulement significatif de la première question entre une face proprement mythique dans le temps et dans l’espace et une autre face herméneutique. C’est pourquoi on peut dire que le fait révolutionnaire, tour à tour cherché et trouvé, se situe ainsi dans un carrefour sémantique. Les souvenirs vécus par les tunisiens pendant la fin de l’année 2010 et l’année 2011 sont des représentations importantes qui obligent le chercheur de les mettre en quête pour bien appréhender le « comment ».
Cette dernière question ne se pose que pour une mémoire qui été soumise à l’épreuve de l’Histoire ; certains estiment alors que la démarche historique peut aider pour un meilleur acheminement vers le soi. En effet, avec la méthodologie de l’historien, la plage de la compréhension des souvenir est immensément plus vaste par le recours aux comparaisons, plus complexe par la multiplicité des angles d’analyses, plus distante aussi en raison de la pluralité des médiations. Le souci de comprendre peut paraître empêcher celui du juger : l’historien à la différence du narrateur n’est pas tenu à conclure car son cadre de travail est de celui des décortications de la mémoire et de la discussion des différents types de représentations des souvenirs.
C’est sur cet horizon critique qu’on doit replacer la discussion sur le devoir de la mémoire. Le philosophe, l’historien, le sociologue et le politologue, ne peut s’y dérober dans la mesure où leurs efforts intellectuels entrent en composition avec d’autre méthodes de représentation de la mémoire comme le théâtre, la fiction, la peinture, la sculpture et le cinéma…(Etc.). En outre, le discours rétrospectif entre en compétition et en composition avec le discours prescriptifs pour enchaîner les opérations de la construction et de la reconstruction de la mémoire collective. Rendu témoin de cette vivacité des souvenirs, l’intellectuel ne peut offrir qu’une prudente parole de sagesse qui témoigne de la dynamique de la révolution tunisienne qui a constitué un tournant historique et un réveil populaire qui a mobilisé les forces vives et les énergies insoupçonnées pour entrer de nouveau dans la sphère des nations libres.
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