Les quais de la gare du Nord, paris, septembre 2006 / REUTERS

La visite de Shimon Pérès à Paris le 10 mars 2013, dans le cadre de sa tournée européenne, est loin d’avoir été un ‘hymne’ à la Paix et à l’acceptation religieuse et raciale, comme elle nous a été présentée…

Le 8 mars, le président israélien arrivait à Paris en provenance de Bruxelles, par le train Thalys, pour rencontrer des imams de France. Le syndicat Sud-Rail assure que cette visite en Gare du Nord a donné lieu à une sélection particulière du personnel : pas d’employés noirs et arabes dans les parages du cortège présidentiel !

« SNCF, voyager autrement »… sous apartheid ?

Un communiqué de Sud Rail (3e syndicat à la SNCF) nous apprend ainsi que le 8 mars 2013, un incident à caractère « raciste » a eu lieu lors du passage en Gare du Nord du chef de l’Etat israélien.

Pour son arrivée en Gare du Nord, dans un train Thalys en provenance de Bruxelles, la SNCF avait commandé trois porteurs à sa filiale ITIREMIA afin de s’occuper des bagages de la délégation israélienne. Là intervient le responsable de site qui, affirme le syndicat, se serait « lancé dans un étrange «marché » au sein du personnel, excluant les « Noirs et Arabes », car il ne fallait « pas de salariés musulmans pour accueillir le Chef d’Etat israélien. »

Devant l’indignation des salariés exigeant des éclaircissements, ce même responsable de site se contentera d’un simple « raisons de sécurité » et se lancera dans un imbroglio d’explication concernant la source de cet ordre, attribuant successivement la responsabilité de la décision au protocole de la Gare du Nord, à l’Ambassade d’Israël, au ministère de l’Intérieur… puis conjointement à l’Ambassade d’Israël et au ministère de l’Intérieur. Il semblerait cependant que ce soit la SNCF, elle-même, qui ait transmis des instructions, par courriel, au responsable de site ITIREMIA.

Mobilisés, les salariés d’ITIREMIA de Paris Nord enverront de suite une déclaration/pétition au Directeur de la filiale SNCF, dénonçant ces pratiques et rappelant aux sociétés qu’elles sont signataires de la « Charte de la diversité ».

Mais c’est au cours de la Réunion extraordinaire du 25 mars, initiée par les membres du CHSCT2, que des détails stupéfiants de l’affaire feront surface.

« Les Noirs et les Arabes » : des indésirables… présumés dangereux

Lors de cette réunion extraordinaire, le Directeur d’ITIREMIA avouera que « les critères de choix pour accueillir M. Pérès avaient été effectués en fonction de l’apparence des salariés. », reconnaissant finalement avoir fait « un choix confessionnel » parmi les salariés.

L’accès du train aurait ainsi été interdit au chef de bord qui était noir ; et le conducteur d’un autre train, d’origine maghrébine, aurait été empêché de rejoindre son poste.

Certaines sources officieuses vont jusqu’à faire allusion à l’utilisation d’un dispositif policier français, qui aurait été sélectionné sur la base de sa couleur de peau, pour accompagner le convoi.

Sommé de s’expliquer sur ces agissements, Le Directeur d’ITIREMIA prétextera un « principe de précaution » allant jusqu’à affirmer que cela était fait pour « protéger les salariés de vexations qu’ils auraient pu subir de la part du Service de Protection des Hautes Personnalités et/ou du Corps diplomatique.» !

Si la SNCF «dément  ces allégations» et affirme qu’elle n’a « […] en aucun cas, émis de telles instructions auprès de son prestataire bagagiste, la société ITIREMIA», Sud Rail assure que « […] le management de la filiale de la SNCF (ITIREMIA) a opéré dès le 6 mars un changement de planning, afin qu’aucun salarié musulman ne se retrouve au contact de la délégation israélienne en provenance de Bruxelles à 10h35 [le 8 mars]. »

La SNCF et les discriminations…  « Un progrès partagé par tous…sauf certains »

La Réunion extraordinaire déclenchera une enquête, décidée à l’unanimité par les membres du CHSCT, sur les accusations d’actes de discriminations à Paris Gare du Nord en marge de la venue du président israélien.

Si cette enquête suit actuellement son cours, il est intéressant de noter qu’elle est loin d’être la seule à venir ternir la réputation de la SNCF en matière de discrimination et racisme.

Ainsi, en mars 2012, plusieurs agents SNCF d’origine étrangère (africaine ou maghrébine) ont créé « Le collectif Droit à la différence », suite à des actes de discriminations et de harcèlement subis au sein de l’entreprise ; pointant du doigt en particulier un « racisme anti-musulman ».

En 2010, c’était déjà plus de 360 salariés et retraités majoritairement d’origine marocaine qui avaient accusé la SNCF de discrimination. Souvent accusé de laxisme et d’immobilisme dans ce domaine, le leader français du transport ferroviaire présenterait-il un terrain plus favorable à de tels agissements ?

La Tournée européenne de Pérès : une ‘vision’ particulière de la tolérance et de la paix entre les confessions…

A l’aune de cette affaire, on oublierait presque que la visite de Shimon Pérès à Paris avait pour motif initial le plaidoyer pour la paix, entre les religions juive et musulmane.

Lors de sa rencontre avec des imams de France (dont le Franco-tunisien Hassen Chalghoumi), la veille des commémorations des tueries de Toulouse, il se dira « très impressionné par le courage » de ces responsables musulmans de France. Un respect qu’il ne semble malheureusement pas vouer à leurs compatriotes de la SNCF.

Frappé d’amnésie ou faisant preuve d’un cynisme patent, il promet « […] d’œuvrer pour une vie commune entre chrétiens et musulmans, juifs, Palestiniens et Israéliens. »

Les médias français : motus et bouche cousue jusqu’au 15 avril…

Chez les médias de masse, c’est silence radio… Il aura fallu attendre plus d’un mois pour voir l’incident mentionné. Le lundi 15 avril 2013 donc, branlebas de combat dans les médias ‘mainstream’, Le Nouvel-Observateur, Le Parisien, Le Point, Europe 1 et de nombreux autres font enfin état de l’épisode de la Gare du Nord.

Pourtant, l’information avait déjà fait le tour des médias alternatifs depuis plusieurs jours et avait été relayée par différents blogs, notamment par René Naba, oumma, agoravox et médiapart.

Le syndicat Sud Rail, après avoir publié son communiqué le 13 mars 2013, n’a cessé de confirmer sa volonté de faire la lumière sur l’affaire et de condamner cet acte de racisme flagrant.

Si l’incident n’est finalement pas passé à la trappe médiatique,on peut légitimement se demander pourquoi il n’apparaît que maintenant ? Entre temps, suite à cette visite présidentielle, on n’aura juste eu droit à d’élogieux « Pérès plaide pour la paix », en contradiction violente avec la réalité de son séjour en France.

Les associations contre le racisme et la discrimination ont, elles aussi, brillé par leur absence dans cette affaire. Où étaient le MRAP, la LICRA, SOS Racisme, si véhéments et prompts à épingler toute forme de discrimination en d’autres occasions ?

Bruno Vergerolle, représentant syndical au CHSCT et responsable de la fédération de Sud-Rail, affirme que les « résultats de l’enquête devraient être connus rapidement ». En attendant, on peut toujours prendre au mot la SCNF, qui se targuait de « Donner au train des idées d’avance »… en lui en proposant une, fondamentale, celle du respect des droits de l’Homme.

1 – SNCF : Société Nationale des Chemins de Fer français
2 – CHSCT : Le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail français