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Amis députées et députés, occupés à vos intérêts pour la plupart, vous n’entendez plus ce que vous dit à tue-tête le peuple qui vous a mis là où vous êtes. Pourtant, l’un de vous, franc et honnête, vient d’oser vous le rappeler, mais vous vous êtes pris à lui comme s’il ne disait pas vrai. D’aucuns se sont même offusqués de ses propos, alors que leur comportement et les privilèges auxquels ils s’accrochent méritent bien plus qu’on en soit offusqué, scandalisé même !

Alors, écoutez ce que vous dit notre peuple, je vous le rapporte ici tel que je l’ai relevé le plus fidèlement auprès de nos humbles mais fiers compatriotes et ce dans l’espoir que vous y défériez.

Si votre conscience est encore éveillée, agissez donc ainsi qu’il le demande, car il ne vous réclame que ce qui est conforme à l’honneur. Et je ne doute pas que votre honneur soit sauf et votre conscience vivace.

Le peuple dit vous avoir élu pour le servir et non pour vous servir sur son dos, ajoutant à sa pauvreté, ne serait-ce qu’en ayant un train de vie qui jure avec sa misère. Aussi, le servir, c’est vous limiter au strict nécessaire en termes d’émoluments pour remplir vos fonctions. Bien mieux, pour les plus patriotes, c’est se priver même du nécessaire, tel qu’en sont privés dans leur majorité ceux qu’ils servent.

Renoncez, Mesdames et Messieurs les élus, à toutes vos indemnités et continuez à servir là où vous êtes en véritables patriotes, ou démettez-vous de votre mandat si vous n’estimez pas être en mesure de servir le peuple sans indemnités ni privilèges. Si vous croyez avoir droit à un minimum pour servir — ce qui est bien un maximum au vu de la condition de notre peuple en notre pays —, renoncez alors à votre mandat et laissez votre place aux patriotes qui n’ont pas vos exigences financières, leur désir n’étant que de servir sans contrepartie le pays.

Dites-vous bien que vous n’êtes pas dans un pays riche pour vous assurer un traitement de faveur, mais dans une société dont la quasi-majorité souffre d’un manque cruel du strict nécessaire. Et rappelez-vous que vous n’êtes plus dans une dictature pour faire semblant d’ignorer la condition de vos compatriotes et négliger ce que peut penser le peuple de caprices incompatibles avec sa misère.

Il a suffisamment supporté et souffert des frasques de certains et il en a vraiment assez de voir d’autres ne penser qu’à leurs intérêts propres, cherchant toujours à avoir encore plus, se souciant davantage de leur apparence que de la sienne, de l’artifice de la comédie et du soin particulier à manier une parfaite langue de bois.

On a eu tendance, en votre auguste Assemblée, d’abuser des privilèges que le peuple a bien voulu consentir dans l’espoir de voir ses élus les mériter et honorer sa patience de finir par être servi au mieux. Or, votre Assemblée n’a même pas renforcé ses libertés et ses droits, sans parler de l’achèvement de la mission première l’incombant de rédaction d’une constitution qu’on persiste à ne pas vouloir faire ce texte de nature à consolider la fierté d’être Tunisien.

Vous avez assez abusé de la patience populaire et il est bien temps d’arrêter. Ayez donc le courage de le faire de vous-mêmes si votre sens moral n’a pas été altéré par les délices du pouvoir. Choisissez l’honneur de continuer le service du pays, mais un service désintéressé, impliquant le nécessaire sacrifice comme le fait tout vrai citoyen qui est d’abord un soldat au service de sa patrie; sinon, démissionnez de votre mandat !

Pour garder la confiance du peuple, pour tout un chacun parmi vous ayant un minimum d’honorabilité, il n’est plus d’alternative que de se dépouiller spontanément et volontairement de tous ces privilèges et indemnités jurant avec l’état de cruelle nécessité de notre peuple, ou de quitter sa maison qu’est votre Assemblée qui ne peut être celle du luxe et de l’abondance.

Car la pauvreté de notre pays et la condition démunie de notre peuple ne peuvent vous permettre de prétendre avoir le train de vie que vous avez et dont nombre d’entre vous — comble d’irresponsabilité ! — ne se satisfont même pas.

Et sachez que la Tunisie ne manque pas de femmes et d’hommes prêts à se sacrifier pour servir le peuple sans la moindre contrepartie financière, sans rien demander, se satisfaisant de l’honneur de servir le pays et lui être utile.

Il est enfin temps d’en finir avec l’hypocrisie politique que vous entretenez ainsi que le faisaient si bien les serviteurs de l’ancien régime. Qu’est-ce qui vous distingue d’eux, au fond, à part le jargon prétendument révolutionnaire, puisque vous vous coulez dans leur posture, avantages et privilèges y compris ?

Élus de la Révolution, vous n’avez même pas achevé la rédaction de sa constitution ni surtout assuré la stabilité de la démocratie qu’elle est venue instaurer en la dotant des structures qui lui sont nécessaires pour fonctionner !

Bien pis, vous avez gardé en l’état le système juridique de la dictature déchue avec ses lois scélérates et ses règlements iniques qui ont longtemps brimé le peuple et dont il continue de souffrir, et ce dans une totale indifférence de votre part, étant pris comme vous l’êtes bien plus par le confort dans lequel vous veillez à vous acquitter de votre mission que de l’obligation, de moyen et de résultat, qui vous incombe.

Selon votre réaction à ce message du peuple, celle que j’espère, la Tunisie pourra demain s’honorer de ses élus pour avoir su montrer assez de courage à se défaire volontairement des honneurs factices, avantages et privilèges qui font la honte de tout serviteur de l’intérêt général dans un pays pauvre comme le nôtre. Dans le cas contraire, si vous ignorez ce que vous commande la raison et impose la conscience, notre pays ne saura que vilipender l’égoïsme de ses élus et leur mentalité intéressée, avant que la Tunisie profonde tout entière ne vous renvoie sans ménagement de son service dont vous n’aurez pas été dignes.

Ayez le courage donc d’inaugurer une pratique originale de faire la politique en abolissant tous les privilèges liés au service de la patrie, rompant ainsi avec une tradition qui ne peut convenir à notre pays eu égard à son état de pauvreté l’obligeant à s’endetter auprès des institutions financières !

Donnez aussi, à cette occasion, l’exemple d’une bonne gouvernance en votant, dans la foulée de votre action spectaculaire, un texte juridique de principe moralisant la politique en éliminant tous ces intérêts et avantages qui attirent aujourd’hui en politique; ainsi nettoierez-vos les allées du pouvoir de ceux qui n’y viennent pas pour servir mais pour se servir, faisant la honte du noble métier de politique.

Élues et élus du peuple, soyez dignes, l’honneur vous appelle, renoncez et faites renoncer aux indemnités et privilèges, choisissez de montrer votre patriotisme en vous sacrifiant pour le service du peuple et invitez à le faire. Le peuple vous regarde et, avec l’histoire et votre sens moral, il vous jugera.

Entendez-le donc et n’écoutez que votre conscience; seule, elle vous sera bonne conseillère !

Farhat OTHMAN