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Décidément, les poncifs et les clichés ont la peau dure !

Les entreprises ou si l’on préfère un terme mieux adapté, le système socio-productif ferait face à des difficultés de recrutement qui l’empêcherait d’atteindre les niveaux de performance et de compétitivité requises qui lui assureraient pérennité et essor.

Si vous aviez encore des doutes, de multiples témoignages « d’entrepreneurs » viennent corroborer cette impression.

Ils jurent tous – la main sur le cœur- ne pas trouver sur le marché du travail les candidats suffisamment bien formés et aptes à s’intégrer rapidement aux exigences de la production. Pire même, ils s’offusquent du manque de sérieux et d’efficience des recrues se traduisant par une faible productivité, et s’indignent du peu de loyauté envers l’entreprise (absentéisme et turn-over jugés excessifs et inacceptables), sans parler des surenchères salariales permanentes.

Autrement dit, les entreprises font le constant amer que le système éducatif ne forme pas de candidats véritablement aptes au travail, aptes à relever les défis auxquels les entreprises doivent faire face, et à se soumettre aux contraintes qui sont les leurs.

Il n’y a bien entendu aucune mauvaise foi dans cette perception des choses. Mais cette explication épuise-t-elle la question du travail salarié ? Rend-elle compte véritablement de toutes les dimensions de cet épineux problème que constitue la production comme la reproduction d’un collectif de travail acquis aux exigences de la production ?

Un ministre, dont nous tairons le nom ici, s’est récemment hasardé à dire que ce n’est pas le système éducatif qui est en cause, mais bien plutôt son alter ego. Le système productif n’aurait en réalité besoin que d’une main-d’œuvre banalisée, faiblement rémunérée, ajustable et flexible au gré des variations du marché. Il y a là aussi une contre-explication qui mériterait que l’on s’y attarde, tant les réalités « vécues » par le monde du travail, si l’on veut bien se donner la peine de l’interroger, confirment ces impressions. D’ailleurs, de nombreux travaux, très sérieux, confirment ces observations.

Aussi la question n’est-elle pas tant de savoir qui a raison et qui a tort, mais bien plus sérieusement de préciser les liens qu’entretiennent les systèmes éducatif et productif depuis de nombreuses années et ce qu’il conviendrait de recommander pour sortir des impasses et des contradictions, qui d’évidence, reviennent de manière récurrente.

Il va sans dire que nous ne pouvons, ici, que désigner quelques pistes de réflexion.

Les choix de développement faits au cours des deux dernières décennies y sont bien pour quelque chose. La situation d’aujourd’hui trouve son explication dans le passé. Le désengagement de l’État, comme les priorités quasi absolues données au « tout privé », aux PME, comme au « tout à l’export » sont largement responsables des faits incriminés par les uns comme par les autres.

De fait, les entreprises soumises à une concurrence plus intense tant sur le marché local que sur les marchés internationaux n’ont dû leur survie qu’à la seule variable d’ajustement qui leur était permise, celle de l’emploi et des salaires ; ne pouvant jouer sur les autres facteurs de production (équipement et intrants importés aux prix internationaux).

Un constat simple, mais dont il est difficile d’échapper !

Il suffit pour s’en rendre compte d’éplucher les statistiques de l’INS, ou mieux encore les travaux de l’UGTT, pour se rendre compte du faible niveau général d’encadrement des PME (autour de 5 à 10 %, là où 20 à 30 % est la norme), du poids des salaires dans la valeur ajoutée réalisée (30 à 40 %, là où 50 à 60 % est la norme) et de l’emploi pérenne ou CDI (25 à 35 %, là où 60 à 70 % est la norme). Le collectif de travail, pour utiliser une figure moyenne, est donc constitué d’un ensemble salarié « tronqué », « inachevé » assez largement précarisé tant dans ses rémunérations que dans ses modes de contractualisation.

Resterait aussi à porter un regard attentif sur les aspects proprement qualitatifs comme ceux de « l’intérêt au travail », de la culture d’entreprise, des modes de management ; ce que l’on nomme aussi « épanouissement au travail ». On ne peut que s’interroger sur les raisons de l’absence de cette dimension dans le discours tant des analystes que des chefs d’entreprise.

Il va sans dire qu’il ne s’agit là que d’une moyenne globale, qui autorise bien évidemment une certaine variance, pour reprendre un terme statistique. Nul doute qu’il existe bien des entités très avant-gardistes qui offrent d’excellentes conditions de travail ; elles se situent le plus souvent dans le tertiaire supérieur (informatique, marketing & publicité, finances).

Mais il y a également le secteur para-informel qui est en limite de rupture des minima sociaux. Pour l’essentiel donc, le tissu industriel et économique ne semble pas avoir franchi le stade du simple taylorisme, là où d’autres plus avancés adoptent des solutions de management participatif, voire du Toyotisme à la japonaise (garantie de l’emploi et promotion interne).

En ce qui concerne le système éducatif, la situation n’est guère plus brillante. Le régime déchu a laissé filer ce qui a constitué pendant des années l’atout principal du pays. Laxisme, nivellement par le bas, les filières d’enseignement se sont progressivement vidées de leur substance et « produisent » bien évidemment des cohortes de diplômés non qualifiés. Cette tendance lourde qui répondait aussi à un impératif de paix sociale (le bac pour tous) s’est infiltrée peu à peu partout, n’épargnant que les grandes écoles et filières dites « nobles » (médecine, droit…).

Si donc il y a bien inadéquation des systèmes éducatif et productif, celle-ci est double, et donc dans les deux sens bijective. Les jeunes mêmes sous-qualifiés, voire inemployables, aspirent tout de même aussi à un travail gratifiant et épanouissant que seule la remise en route, entre autres, d’une formation professionnelle qualifiante pourrait résoudre.

Il n’aura échappé à personne que la formation professionnelle aura été depuis maintenant bien trop longtemps le parent pauvre de cet entre-deux (monde de l’école et monde du travail). Il faudrait y consacrer bien plus de temps que ne l’autorise ce papier.

Aussi, notre conclusion, si l’on pouvait en tirer une à ce stade de la réflexion serait déjà de dire qu’il faudrait tenter de mener de front un processus de re-nivellement par le haut des deux systèmes, et ainsi enclencher une boucle plus vertueuse. Il n’est pas dit que l’on y réussisse, car notre pays n’est bien évidemment pas le seul à éprouver ces problèmes.

Ce qui toutefois devrait alerter les décideurs, au sommet de l’État, comme ceux au sein des organisations patronales et syndicales, serait de prendre conscience d’une possible aggravation encore plus forte de cette crise sournoise qui affecte le lien du monde de l’école et du travail, au point que de plus en plus de jeunes se posent la question de savoir s’ils ont encore un avenir dans ce pays, lorsqu’ils n’envisagent pas de s’expatrier. Des signes avant-coureurs sont bien là !

Il est tout à fait regrettable que de nombreux et courageux sociologues du travail qui s’échinent à expliquer cette « désaffection au travail » depuis des années, ne soient pas plus écoutés et entendus. Il faut croire que les poncifs de l’idéologie libérale continuent d’occulter des « vérités » qui ne sont toujours pas bonnes à dire.