Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
Crédit image : www.occupygezi.blogs.lalibre.be

NDLR : Cette lettre est un article écrit par la journaliste politique turque Ece Temelkuran. Trés célèbre dans son pays, cette commentatrice politique s’est attirée les foudres du parti au pouvoir et a été licenciée suite à des pressions, il y a un an et demi maintenant, après avoir écrit des articles notamment sur la situation de la population kurde.

C’est compris Commandant !

Comme tu nous as enduré Commandant ! Comme tu nous as détesté et tu t’es bien gardé de nous le dire. Toutes ces années tu n’as donc voulu que nous gazer comme des insectes. Toutes ces années tu as donc voulu que l’on soit ainsi troublés et perdus au point qu’on ne trouve plus ni docteur ni avocat. Tu as donc voulu que la police nous emmène et qu’on n’ait plus de nos nouvelles. Tu as donc voulu qu’on ne puisse plus respirer au point de s’étouffer même dans les lieux où l’on trouve refuge. Sinon pourquoi lâcher ta police, tes gendarmes sur nous, pourquoi arrêter les médecins et pourquoi ne pas dire aux avocats où nous étions ! Toi tu nous as toujours détesté commandant. Allez maintenant, dis-le ouvertement. Dis-le qu’on en finisse avec ces intrigues.

Comme tu as scellé leurs cœurs Commandant !

Il y en a qui croient encore que tu es un “leader mondial” qui dit la vérité Commandant ! Tes filles et tes fils n’ont cessé depuis 15 jours d’insulter et de menacer des jeunes innocents. Comme tu as dû les intoxiquer Commandant, ils se moquent des enfants, blessés par les attaques de gaz, ils leur ricanent au nez. Que leur as-tu fait Commandant ? Tes soldats civils n’ont même plus pitié des enfants. Comme tu as scellés leurs cœurs Commandant ! Comment ? Ils veulent notre mort à tous. Non, je n’exagère absolument pas. Moi-même et les gens comme moi vivent depuis des jours avec des menaces de mort, se font insulter.

Ordonne à tes esclaves Commandant !

Eh Commandant ! Je te parle des gens qui, sous les attaques, sèchent les larmes des chiens de rues. Ils ne font plus cela pour “deux, trois arbres”. Mais il est clair que toi non plus, tu ne fais pas cela pour un centre commercial. Alors pourquoi racontes-tu tant de mensonges Commandant ? Pourquoi incites-tu tes petits soldats à nous attaquer en racontant qu’on boit dans les mosquées, qu’on fait je ne sais quoi sous les tentes ? Tu veux notre mort, n’est-ce pas ? Que l’on meurt et bon débarras, n’est-ce pas ? Les gens se multiplient en mourant, tu le sais bien pourtant. Remontés par chaque humiliation, renforcés par chaque menace. Toi, tu connais bien cela. Tu as cru que ces gens étaient moins fiers que toi Commandant ? Dis à tes esclaves de te montrer les images. Regarde ces enfants dans les yeux. Regarde bien qui tu es en train d’essayer de tuer. À cause d’un centre commercial, au nom de ton pouvoir, que des soleils se couchent, regarde bien Commandant !

Tu es bien mal Commandant !

Qu’est-ce que tu aimes semer des pièges Commandant ! Ces jeunes t’ont invité à un duel sans armes. Toi tu es passé par derrière avec tes petits soldats, tu les as trompés avec tes mensonges et tes intrigues incessantes. Ne te crois pas en sursis parce que tes journaux, tes chaînes de télévision ne montrent rien. Parce que tout le monde l’a vu de ses propres yeux à présent. Moi je ne sais pas calculer comme toi, je ne connais aucun pourcentage. Mais ce pays vit sa plus importante révolte. Ce fut une nuit qu’ils n’oublieront jamais de leur vie. À présent, tout le monde a sa propre histoire Commandant. Tu es bien mal, sache-le.

Sois franc Commandant !S’agit-il d’un complot international ? Je ne peux pas le savoir. Mais tu connais bien ces intrigues internationales Commandant. Peut-être qu’une de ces intrigues qui t’a installé dans ce fauteuil contre-attaque à présent. C’est peut-être pour cela que tu es si irrité. Je ne peux pas savoir cela, on ne peut pas savoir, nous. Nous n’avons jamais eu les réseaux que toi et tes esclaves fous possèdent. Et jamais nous n’en aurons. Nous savons une chose Commandant : tu nous as brûlé la peau avec tes eaux contaminées. Tu as coupé l’électricité et tu as lâché tes hommes aux bâtons sur nous. Tu as envoyé tes soldats à la chasse à l’homme dans tous les coins de rues. Tu as gazé nos jeunes Commandant ! C’est ce que nous savons, nous. Et toi ? Que sais-tu ? Dis-nous franchement que l’on sache.

On y va, Commandant ?

Eh Commandant ! Il y a deux ans de cela je t’avais écrit un article, tu t’en souviens ? “Ordonne Commandant” était le titre. Le lendemain j’avais perdu mon travail et tes chiens enragés m’ont pourri la vie pendant un an. Ils ne m’ont pas lâché. Partout où j’allais ils m’ont suivi, au moindre son que j’articulais ils étaient sur moi. Ils m’ont menacé, leurs doigts enfoncés dans mon œil. Moi je connais bien les tiens Commandant ! Vois-tu les nôtres à présent Commandant ? Chez nous, il n’y a pas de menace, pas de piège, pas d’intrigue, pas de mensonge. Ils sont comme ça, les nôtres, Commandant. Ils sont tous dans la rue, avec leurs visages, leurs noms, à nu. Ils n’ont que leur courage à mettre au centre. Et bien Commandant, on y va ?!

Ece Temelkuran, 17 juin 2013

Traduction : Canan Marasligil