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En ces temps troubles et de confusion, non seulement des sentiments et des valeurs, mais aussi et surtout d’excès en tous genres, versant dans la haine, l’exclusion, la violence et le meurtre, le slogan bien connu de la contre-culture américaine des années hippies est plus que jamais d’actualité : Faites l’amour, pas la guerre ! Et j’y rajouterais volontiers : et le sexe aussi ; l’amour n’étant pas nécessairement lié au sexe comme on ne le sait que trop, paradoxalement d’ailleurs, dans notre culture arabo-musulmane, ainsi qu’il sera dit plus loin.

Bien évidemment, comme à l’origine, il ne s’agit pas seulement ici d’une invitation à l’hédonisme, puisque c’est une forme majeure de contestation politique. Elle est même éminemment sociale en milieu pudibond, pas forcément religieux, puisque le conservatisme moral touche tous les milieux de notre société. Qui ne connaît, en effet, la charge subversive du sexe dans la perception de nos compatriotes, dont les laïques ?

Si le sexe et ses termes sont pourtant bien dans nos rues, et on le voit de plus en plus assumé chez les jeunes et repris par leurs chansons underground, il est partout occulté, sinon nié, sur une scène publique qui veut se parer — même en trompant et en se trompant — des oripeaux d’une vertu de pure apparence, vidée de tout sens.

Dans l’archéologie que je tente de l’imaginaire arabe musulman, je relève le sexe en une structure anthropologique ; et elle déstructure la cohésion sociale. D’ailleurs, tous les théoriciens des réalités arabes ne peuvent ignorer ni taire à quel point l’absence de la moindre allusion au sexe — pour ne pas parler de la négation de sa présence, sinon de sa prohibition — est à la racine des maux de nos sociétés actuelles. Toutefois, pour voir nos intellectuels en témoigner, faut-il qu’ils pratiquent la pensée ou l’enseignement auxquels ils se livrent selon les règles scientifiques, ne versant pas dans l’ensaignement qu’ils pratiquent plus volontiers, et bien plus fréquent en leur milieu, qui aboutit à la saignée en règle des meilleures et sincères volontés pour le savoir pur !

Un tel black-out sur le sexe, avec sa prohibition, était déjà une spécificité remarquable et remarquée de la tradition judéo-chrétienne. Ce n’est d’ailleurs pas pour étonner puisque l’élévation en valeur cardinale de la pudeur est une constante invariable de toutes les religions monothéistes, les musulmans n’ayant fait que se conformer à une pratique reprise aux deux grandes religions sœurs, qui ont précédé l’islam puîné.

Or, l’islam, qui revendique une antériorité ontologique en matière de foi, par sa référence à une authenticité altérée d’une croyance commune, a été original en la matière à son avènement. Ayant pris naissance en un milieu arabe fondamentalement libertaire, il est originellement ouvert et tolérant sur le registre des mœurs, étant la religion la plus explicite dans le domaine du sexe. Ainsi, le Coran, en son texte pur, sans les interprétations ultérieures orientées, demeure très libéral en la matière pour son époque. À titre d’exemple, il ne comporte nul anathème sur les pratiques sexuelles singulières, ce qui a été introduit par la suite à la faveur des cogitations des jurisconsultes faisant l’exégèse de leur foi selon les canons de leur époque marquée par la tradition issue des religions juive et chrétienne.

Il est d’ailleurs bien connu que l’islam a été longtemps dénoncé par les adeptes du judaïsme et du christianisme comme étant une religion hédoniste et même sulfureuse en matière sexuelle et des libertés reconnues aux musulmans, considérées alors comme extrêmes par les non musulmans, puisque objet d’anathème de par leur propre religion.

Aussi est-il pour le moins aberrant, aujourd’hui, au moment où les sociétés occidentales sécularisées redécouvrent le rôle essentiel du sexe dans l’équilibre psychologique de l’être humain comme un élément essentiel de sa santé physique et psychique, qu’on voie les nôtres abandonner leurs saines valeurs pour adopter aveuglément les conceptions mortifères issues de la tradition judéo-chrétienne, et en faire à tort une marque exclusive de l’islam alors qu’elle caricature et sa lettre et son esprit.

Il n’est plus besoin, de nos jours, de preuves sur l’intérêt d’une bonne hygiène de vie où le sexe ne peut être évacué. Le rapport au sexe de l’être humain, et ce dès son jeune âge, doit être serein et apaisé, la libido ne devant nullement être évacuée de sa vie à ses différents stades précédant la majorité. C’est seulement si le sexe est bien assumé que l’âge adulte est celui de l’équilibre, de l’entièreté de l’être ; sinon, il ne sera que névroses et refoulement. Or, le refoulé est comme la marée ; et on connaît les ravages de son retour !

Pour tout être humain normalement constitué, le sexe doit être vécu paisiblement à chaque âge de la vie, ses exigences en termes de besoins et de pulsions étant satisfaites, pour espérer atteindre à la sérénité psychologique ; et une attitude répressive en matière sexuelle ne ferait que ruiner son développement harmonieux, en faire un adulte manqué.

Le sexe ayant même aujourd’hui une fonction thérapeutique non négligeable, reconnue et attestée scientifiquement, son absence participe au malaise grandissime de nos sociétés étouffées par la pudeur factice et le tour de vis (ou du vice, doit-on plutôt dire) rigoriste qu’on veut y pratiquer, et ce non seulement contre la raison et le bon sens, mais aussi en violation de la nature humaine.

Il nous faut donc arrêter de chercher à moraliser notre société par la force ; car la morale vraie est une éthique ; et celle-ci est liberté. De plus, chercher à moraliser la vie de nos jeunes, comme on le fait actuellement, ne fait que les démoraliser et défoncer toutes les portes fermées aux excès de tous ordres. Et aucun excès, quelle que soit sa motivation, ne doit être tolérable, sinon même l’innocence finit par être coupable. En effet, à trop chercher à être un ange, reniant la nécessaire part animale en nous, cette part d’ombre en tout humain, on finit en bestialité, un pur démon même.

C’est dans l’épreuve et sa capacité à la surmonter que l’homme peut s’améliorer et perfectionner ses qualités. C’est face à la possibilité de pécher, face aux tentations libres et autorisées qu’il peut vérifier s’il est digne ou non de la foi dont il se réclame. À quoi bon prétendre ne pas pécher si la tentation est absente, si l’on n’est pas amené ou même obligé de fréquenter les lieux de perdition tout en ayant la force d’âme de ne pas s’y laisser perdre ? Et telle force se cultive et se travaille !

Je citerais volontiers ici ce que raconte la dernière biographie du Mahatma Gandhi, dont on ne sait que trop les grandes qualités humaines. Il exigeait de la jeune parente qui l’aidait à la fin de sa vie dans les tâches de la vie courante de dormir nue dans son lit. Ce n’était bien évidemment pas par vice de sa part, mais tout simplement dans l’intention de subir l’épreuve de la tentation et vérifier, chaque nuit, qu’il en était le plus fort.

Je ferai aussi référence aux dernières recherches scientifiques prouvant que les fonctions sexuelles chez l’homme, tel le fait d’avoir une excitation, continuent à fonctionner la nuit, durant le sommeil, et ce juste dans le but de maintenir le bon fonctionnement du corps. Qu’on apprenne donc de notre nature ce qui est susceptible d’améliorer notre comportement en société, le corps social n’étant qu’un corps humain démultiplié ! Que le sexe, sous toutes ses formes, y soit reconnu et accepté comme il l’est — qu’on le veuille ou non —, consciemment ou inconsciemment, en notre propre corps, en éveil ou en sommeil !

Il n’est que temps, afin d’aider à dépasser quelques-uns des problèmes de notre société constipée, qu’on reconnaisse la fonction thérapeutique du sexe ; ainsi évitera-t-on l’action pathogène d’une morale versant trop rapidement dans ce que le philosophe a appelé moraline.

Il nous faut reconnaître qu’en l’absence de l’amour, du désir et du sexe en nous, on ne fait que transformer en terrible action de dégénérescence tout ce qui est de nature à permettre, dans notre corps, notre accomplissement et notre unité, entretenant les ondes, les fluides et le magnétisme qu’il recèle et qui ont en permanence une fonction régénératrice, C’est alors le mal-être du rejet de soi et d’autrui ; et c’est la haine qui s’installe en nous et la violence qui se saisit de nos actes !

Pourtant, le meilleur est possible chez nous du fait même de notre culture et de nos traditions humanistes. En effet, contrairement à la culture du plaisir qui a fini par triompher en Occident à cause de la dictature morale de l’Église, on a plutôt eu en islam une culture du désir dont une manifestation éloquente fut donnée par l’amour courtois, cet amour sublime de la tribu arabe Odhra qui a même illuminé l’obscurité du Moyen Âge européen avec les trouvères et troubadours.

On sait d’ailleurs que chez les vrais chasseurs, la chasse vaut mieux que la prise ; ce qui est équivalent à l’art d’être gourmet par rapport à la gourmandise. C’est que manger, comme il est rapporté du prophète, est une manière de se sustenter tout en cherchant à se spiritualiser, plutôt que de s’empiffrer sans autre forme du moindre savoir de se tenir à table.

C’est bien d’art de la table qu’il s’agit aujourd’hui à l’orée de ramadan, mais de table politique, de notre manière de nous y tenir, y étant en quelque sorte des chevaliers, non pas d’une Table ronde du mythique roi Arthur, mais bien de leurs inspirateurs, les chevaliers de la spiritualité musulmane, maîtres de la chevalerie ou Foutowwa. Et notre Graal, c’est notre islam véridique dans sa lecture authentique, et non celle qui en dévergonde les valeurs et l’esprit, qui a hélas cours chez nos intégristes.

Que ce mois de ramadan qui commence soit donc l’occasion de retrouvailles avec notre foi véritable, moins obnubilée par les apparences et l’artifice que par la spiritualité réelle qui demeure un effacement au monde matériel et ses artefacts pour une fusion avec le divin au travers de l’exemple qu’on doit être en mesure de donner en permanence à ses semblables, un exemple de noblesse et de magnanimité, de paix et de tolérance ! Et ce n’est rien que le respect impératif de la liberté de son semblable de vivre comme il l’entend.