Chadly Ayari, gouverneur de la Banque Centrale et Elyes Fakhfekh, ministre des finances. Crédit image : Leaders.com
Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale, et Elyes Fakhfekh, ministre des Finances. Crédit image : Leaders.com

C’est désormais officiel : le gouvernement vient de donner son aval à la Banque centrale de Tunisie (BCT), l’autorisant à conclure le prêt du Fonds monétaire international (FMI), et cela sans passer par un vote à l’Assemblée nationale constituante (ANC).

Le 4 février 2013, Chedly Ayari, le gouverneur de la BCT, a déclaré que la Tunisie allait contracter un prêt auprès du FMI. Depuis, une grande polémique a été construite autour de ce prêt, vu sa conditionnalité jugée antisociale et néfaste à l’économie nationale. Devant les contestations multiples de divers acteurs de la scène politique et économique (partis politiques au pouvoir et dans l’opposition, économistes, société civile, etc.), des membres de l’ANC ont déposé, le 23 avril 2013, une séance de dialogue avec Elyès Fakhfakh, ministre des Finances, d’une part pour avoir des éclaircissements sur les détails du programme exigé par le FMI, et d’autre part pour exprimer leur mécontentement quant à ce recours au FMI.

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Nawaat avait publié, en mars 2013, le brouillon de la lettre d’intention qui allait être envoyée par le ministre des Finances et Chedly Ayari à Christine Lagarde, accompagnée du calendrier d’application des réformes économiques et financières. Par la suite, Nawaat avait également mis en ligne, entre les deux séances plénières de discussion avec Elyès Fakhfakh, la version finale du programme des réformes.

Lors de la première séance de discussion, le ministre des Finances était accompagné de Chedly Ayari, qui avait alors déclaré que ledit prêt n’allait pas passer par l’ANC comme les autres prêts, en s’appuyant sur l’article 40 du statut de la BCT, qui accorde le droit de :

[…] contracter des emprunts en devises. Les emprunts qu’elle contracte à plus de 2 ans d’échéance pour son compte ou pour le compte du Trésor, font l’objet de délibération du Conseil approuvée par décret pris sur la proposition du Gouverneur après avis du ministre chargé des finances.

Cette déclaration était venue contredire les déclarations données par Elyès Fakhfakh, le 6 mars 2013 lors d’une interview sur les ondes d’Express FM. En réponse à une question posée par Wassim Ben Larbi, qui portait sur le fait que le prêt allait passer devant l’ANC pour être discuté, le ministre des finances paraissait très clair : « Oui bien sûr, toute loi passe par l’ANC ! […] comme tout prêt que va contracter la Tunisie, même si c’est dix millions de TND, on est obligé de le faire passer par l’ANC et de le discuter en séance plénière. […] On a une loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics qui dit que les prêts doivent être soumis au vote de l’ANC. »
Effectivement, la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, dans son article 6, stipule que les textes concernant les emprunts et les engagements financiers de l’État prennent la forme de lois ordinaires, et donc, doivent passer par le vote de l’ANC.

Article 6.

[…] Prennent la forme de lois ordinaires, les textes concernant :
– […]
– Les emprunts et les engagements financiers de l’État,

De plus, l’article 27, de la même loi, stipule que toutes les lois qui sont en contradiction avec son contenu ne sont plus applicables.

Article 27.

[…] Il est mis fin à l’application de toutes les lois qui sont en contradiction avec la présente loi constituante. Il est mis fin à l’application du décret-loi n° 2011-14 du 23 mars 2011, relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs publics. Les textes légaux qui ne sont pas en contradiction avec la présente loi constituante, restent en vigueur.

Afin de garantir leur droit de vote, 72 députés de différentes appartenances politiques et de différentes orientations idéologiques ont signé une pétition qu’ils ont déposée, le 5 juin 2013, au bureau de l’ANC pour exiger que le prêt passe au vote. Ils sont même allés jusqu’à exiger que l’accord avec le FMI prenne la forme d’une loi fondamentale, vu que sa conditionnalité fait de lui non seulement un prêt, mais également une convention.

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La démarche advint trop tard; Elyès Fakhfakh et Chedly Ayari avaient déjà envoyé la version finale de la lettre d’intention au FMI le 24 mai 2013, c’est-à-dire le lendemain de la deuxième séance de discussion à l’ANC. Après une réunion de son conseil d’administration, qui eu lieu le 7 juin 2013, le FMI valida cet accord et versa le même jour une première tranche du prêt.

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Ce n’est que dans le JORT daté du 19 juillet que l’accord du gouvernement fut rendu public. C’est à travers le décret n°2012-2872 du 10 juillet 2013, soit un mois après que la première tranche du prêt ait été encaissée, que le gouvernement officialisa son autorisation à conclure le prêt, tout en mentionnant le recours à l’article 40. Par conséquent, le gouvernement aurait également enfreint non seulement la loi constituante sur l’OPPP en contournant l’ANC, mais aussi l’article 40 du statut de la BCT en encaissant l’argent avant d’avoir l’aval du gouvernement.

Plusieurs questions se posent désormais : Comment la BCT s’est-elle permis de finaliser un accord aussi important que celui avec le FMI sans qu’elle n’ait eu de décret du gouvernement qui lui en donne la permission ? Pourquoi le gouvernement et le bureau de l’ANC n’ont-ils pas répondu à la demande des 72 députés qui ont signé la pétition ?

En attendant des réponses, nous pouvons constater que la mention du principe de l’indépendance de la BCT vis-à-vis du gouvernement et de l’Assemblée nationale peut effectivement poser problème, dans la mesure où la BCT est susceptible d’engager le pays dans des prises de décision qui affectent la vie quotidienne du citoyen. Heureusement, des mécanismes existent pour contrôler la BCT et sanctionner ce genre d’effraction.

Il est à rappeler qu’à la demande du tiers de l’Assemblée constituante, une pétition a été déposée pour exiger que le prêt passe au vote. Espérons que l’ANC va prendre les mesures nécessaires face à cette infraction de la loi.