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Source de l’image : Nouvelle Clinique Raouebi

Par Abou Yasmine, Médecin libéral

Toute une région en ébullition, une entreprise de santé menacée de fermeture, des centaines d’emploi en péril : c’est le CNAM GATE à Bizerte  ou Comment un simple litige qui aurait pu être réglé par les voies conventionnelles  peut-il évoluer en un « drame » régional aux retombés socio-économiques imprévisibles ?

Tout d’abord les faits.

Les faits remonteraient au mois de mai dernier, quand une patiente est envoyée par son chirurgien pour se faire opérer de la vésicule biliaire à la clinique RAOUEBI de Bizerte, à l’examen pré-opératoire une anomalie est décelée dans son bilan biologique qui imposa de retarder son intervention sur décision du médecin anesthésiste.

Comme il est d’usage dans pareils cas, la prise en charge (valable 03 mois) de la CNAM remise par la patiente à la clinique resta en stand-by dans son dossier en attendant sa ré-hospitalisation.
Malheureusement, quelque temps après, la secrétaire de la clinique préposée habituellement au traitement des prises en charge, rentrant de congé, trouva un « amoncellement » de prises en charges en retard, les transmet y compris celle de notre patiente à la CNAM (la prise en charge était prête et même visée par le chirurgien).

C’est alors que la patiente se ravisa et décida de se faire opérer ailleurs, elle voulut donc reprendre sa prise en charge, elle s’adressa à la secrétaire de la clinique, qui constatant sa méprise essaya de l’amener à changer d’avis. Pensant probablement avoir réussi à la convaincre, elle omit de signaler le problème à sa direction ou au chirurgien (par peur de sanctions administratives, dira-t-elle plus tard).

La patiente décida alors de s’adresser au centre régional de la CNAM de Bizerte pour recevoir une 2ème prise en charge, c’est alors qu’une enquête est déclenchée, qui aboutit in-fine à accuser la clinique et le chirurgien de facturation fictive et le dossier est transmis directement à la commission sectorielle nationale des médecins puis à celle des cliniques. Et, c’est ainsi que le jeudi 5 décembre, la clinique fut avisée d’une décision de déconventionnement de 03 mois prise à son encontre : de janvier à mars 2014.

Dans toute la région c’est la stupeur !

Comment un litige d’un montant de …430 D, consécutif à une erreur administrative, peut –il aboutir à une sanction aussi lourde, aux conséquences très graves sur la situation sanitaire de tout un gouvernorat, car la clinique RAOUEBI qui emploie plus de 320 salariés, fait l’essentiel de son activité avec les affiliés de la CNAM, elle est de plus la seule clinique de la région.

Une décision lourde de conséquences.

Ceux qui ont pris cette décision, non prévue explicitement dans aucun textes, ont-ils mesuré toutes ses conséquences ?

Durant ses 03 mois de déconventionnement, où se feront accoucher les 500 parturientes prévues pour cette période ? où se feront les milliers de consultations et d’actes médicaux ou chirurgicaux habituels ?

Même les structures sanitaires publiques de la région empêtrées dans leurs problèmes chroniques et les récentes grèves des médecins, sont incapables d’absorber ce flux supplémentaire.
Sans parler du sort des plus de 250 médecins conventionnés de la région surtout les gynécologues et les chirurgiens, qui seront condamnés à un chômage forcé.

Pourtant la convention des cliniques est claire sur ce sujet et prévoit pour un premier incident :

Art 38 : … la caisse peut prendre à l’encontre de la clinique faisant défaut à ses obligations conventionnelles l’une des mesures suivantes :

– le rappel à l’ordre par écrit…
– la suspension du  paiement dans la limite du coût de la prestation…

Même la loi 71-2004 du 02 aout 2004 ne prévoit en termes de sanction pour une telle faute qu’« …une amende de 500 à 2000 Dinars… ».

Par ailleurs, cette affaire met clairement en exergue le cumul par la CNAM de fonctions incompatibles et inacceptables dans un état de droit , de fait elle assure en même temps les charges d’instructeur-enquêteur, de juge et bien sûr… de partie, ce qui constitue un dysfonctionnement grave du dispositif de contrôle mis en place depuis la réforme de l’assurance maladie.

De plus, pourquoi cette précipitation de la CNAM ?

Si délit il y avait, pourquoi ne pas porter l’affaire en justice et attendre son verdict pour décider de la sanction administrative à appliquer en toute sérénité. Finalement, pourquoi cet acharnement à vouloir déconventionner (fermer de fait) la clinique RAOUEBI, qui rappelons-le en est à son premier antécédent avec la CNAM ?

Pourquoi les responsables de la CNAM à l’échelle régionale, les responsables syndicaux locaux et la direction de la clinique n’ont-il pas résolu ce « litige » par les voies consensuelles habituelles ? Car, il s’avère que de telles erreurs administratives ont pourtant été commises par le passé par des hôpitaux et des cliniques et ont été réparées à temps, nous dit-on sans recourir à tout cet « arsenal » répressif.

Une affaire de règlement de compte ?

Selon nos sources, il s’agirait ni plus ni moins que d’un règlement de compte entre certains responsables de la CNAM et le directeur de la clinique.
Le conflit remonterait au mois de mai dernier quand la CNAM régionale retarda illégalement, sans notification aucune, le paiement de dizaines de médecins et celui de la clinique RAOUEBI. Le directeur de la clinique eut alors une altercation violente avec le chef de centre d’alors qui s’empressa de porter plainte. Ce chef de centre particulièrement « nerveux » s’illustra auparavant en renvoyant de son bureau le représentant du syndicat des médecins venu lui aussi s’enquérir de la cause de ce retard, les choses faillirent évoluer vers la rupture complète et le conflit ouvert avec le corps médical de la région, quand, fait inédit une « note » diffamatoire contre ce responsable syndical fut affichée dans les centres régionaux de la CNAM, ce qui constitue un grave précédent. Heureusement la hiérarchie intervint et calma les esprits par une réunion de « reconciliation » STML-CNAM au siège de la CNAM à Montplaisir.

Mais le mal était fait, car entretemps, le service de contrôle de la CNAM fut mis en branle pour « régler » son compte à ce directeur de clinique qui ose réclamer son droit et celui de ses salariés : ainsi des centaines de dossiers d’hospitalisation, furent contrôlés et des dizaines de patients convoqués, il fallait coûte que coûte trouver la « faute ».

Et c’est à cette période que vint se « plaindre » à la CNAM régionale notre patiente évoquée ci-haut. Immédiatement le chef de centre s’empara du « cas », et prépara un « bon » dossier qu’il s’empressa de transmettre au service de contrôle du siège. On interdit même, nous dit-on, à la patiente de recontacter la clinique et surtout son chirurgien, pour empêcher toute possibilité de résolution à l’amiable. Bien que sitôt le contrôle déclenché, aussi bien la clinique que le chirurgien, reconnurent leur erreur et manifestèrent leur disposition pour toute réparation.

De plus contrairement aux procédures conventionnelles, la commission paritaire régionale ne fut pas saisie par le chef de centre, et le dossier instruit unilatéralement « à sens-unique » par les services de la CNAM, fut transmis directement aux commissions sectorielles nationales des médecins et des cliniques avec les conséquences que l’on sait.

Voilà comment un conflit personnel, le soutien corporatiste aveugle, et le manque de clairvoyance de certains cadres de notre administration, peuvent engendrer des drames.

La situation nécessite une décision politique courageuse, qui tarde à venir, malgré l’implication des autorités régionales, des députés de l’ANC et des organisations syndicales.
Une situation navrante qui ne fait qu’aggraver la frustration de tout un gouvernorat qui se considère « spolié » de son port en eau profonde et non encore rétabli du traumatisme « JAL GROUP ».