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Par Abou Yasmine, Médecin libéral,


Ceci n’est pas une réponse au « droit de réponse » de la CNAM, d’ailleurs l’affaire en question ne m’implique pas directement puisque je n’ai jamais affirmé être de la région en cause (où j’y compte quand même de nombreux amis, confrères et …informateurs), encore moins avoir jamais été conventionné avec la CNAM.

Un cas d’école.

Ma principale motivation dans la rédaction du 1er article était d’attirer l’attention de l’opinion publique sur une dérive qui est en train de prendre de l’ampleur et dont l’épisode « RAOUEBI » constitue à mes yeux un « cas d’école », cette dérive consiste au cumul excessif et progressif de pouvoirs par la CNAM, et son omnipotence vis-à-vis des prestataires de services (sans parler des patients) qui n’ont en pratique aucun recours.
Pour précision, il faut rappeler que pour la majorité des acteurs du secteur libéral, le travail avec la CNAM est devenu vital, car ils représente pour beaucoup  plus de 70% de leur chiffre d’affaire, sans s’en rendre compte, ils sont devenus « salariés » de la CNAM.

Un cumul de pouvoirs exorbitant.

Au fil des ans et devant l’impuissance des syndicats médicaux, la CNAM s’est accaparé au mépris de toute logique d’importants pouvoirs à tous les niveaux.

Ainsi :

1/ Sur le plan financier, les services de la CNAM se sont attribué le pouvoir de suspendre le règlement des prestataires de soins, pour les motifs les plus futiles, comme vous le confirmeront des centaines de médecins. Pourtant la convention sectorielle (CS) des médecins est claire :

…Art 94 : La caisse procède au paiement du médecin dans un délai maximum de 15 jours à compter de la date de réception de la note d’honoraires … Art 95 : Dans les 30 jours qui suivent la réception de chaque note d’honoraires, la caisse adresse au médecin concerné une lettre d’information précisant notamment le montant, la date et la référence du virement effectué à son profit ainsi qu’une note explicative des prestations payées ou éventuellement contestées….

Ces dispositions sont souvent superbement ignorés pour un simple contrôle de routine ou un litige minime, ou parce que l’on a jugé que le médecin a une activité importante, la CNAM suspend sans notification aucune le règlement des médecins durant plusieurs mois !
C’est à eux de courir, de se justifier, de « supplier » souvent …

Entretemps, qui paie leurs charges, dont les 6% de TVA et la pression fiscale moyenne de 30-35% de leurs revenus ? Car l’avènement de la CNAM a imposé une transparence fiscale quasi absolue pour la grande majorité des médecins conventionnés.  

Ainsi, pour le cas de RAOUEBI, l’été dernier, pour une cause indéterminée, elle a vu suspendre « illégalement » le paiement de ses factures durant plus de 02 mois, ce qui a entrainé une série d’incidents, dont la fameuse dispute entre un cadre de la CNAM et le directeur de la clinique (une plainte est instruite en ce sens).

Plus grave encore, le chirurgien incriminé dans cette affaire n’a pas reçu ses honoraires depuis plus de …7 mois ! Alors que la CNAM continue de lui envoyer des prises en charges pour opérer des patients ! Pourtant dans tous les cas, la loi prévoit, si suspension il y avait, à ce qu’elle ne dépasse, pas le montant des sommes en litiges jusqu’à prononciation d’une sanction.

2/- Sur le plan moral, les services de la CNAM se sont attribué le déterminant pouvoir de décider de la bonne ou mauvaise foi des prestataires de services.

Pourtant la CNAM en tant que cosignataire de la convention sectorielle, s’oblige de par l’Article 243 du COC à faire prévaloir dans tous les cas la bonne foi en premier : « …Tout engagement doit être exécuté de bonne foi, et oblige, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa nature… ».

Or, dans le cas de figure, les services de la CNAM ont agi à sens unique : il fallait prouver le « crime » et empêcher le médecin ou la clinique de prouver leur bonne foi, pourtant aussi bien la clinique plusieurs fois contrôlée par le passé que le chirurgien, sont dénués de tout antécédent frauduleux.

De plus, on aurait même « incité » la patiente à éviter tout contact ou demande d’explication avec son chirurgien, qui à aucun moment n’a été prévenu de sa méprise, afin peut être de se donner le temps de transformer une faute en… fraude ?

3/ – Sur le plan administratif , c’est à ce niveau que le bât blesse le plus, car les services de la CNAM selon leur bon vouloir, appliquent ou non les textes réglementaires et procéduraux ou créent à leur guise de nouvelles procédures, ainsi pour notre cas, malgré que la CS prévoyait obligatoirement lors de tout litige de saisir la commission paritaire régionale, cette étape a été superbement ignorée par la CNAM… dans quel but ?

 …ARTICLE 107 : Les parties …conviennent de l’instauration de commissions paritaires régionales chargées, selon leur domaine de compétence, du suivi des différents aspects de la convention et de statuer sur les litiges qui pourraient survenir entre les parties contractantes.

ARTICLE 116 : Les commissions paritaires régionales constituent un premier niveau de recours aux parties …

Plus grave encore, toujours pour le cas de RAOUEBI, la CNAM a dérogé aussi à son obligation conventionnelle de prévenir le chirurgien par notification de chaque virement envoyé avec précision des prestations payées, ce qui l’a privé de la possibilité de faire correspondre les virements faits avec l’identité des patients opérés, et donc de se rendre compte de sa méprise. Qui est responsable de cet « oubli » et dans quel but a-t-il été commis ?

…ARTICLE 95 : Dans les 30 jours qui suivent la réception de chaque note d’honoraire, la caisse adresse au médecin concerné une lettre d’information précisant notamment le montant, la date et la référence du virement effectué à son profit ainsi qu’une note explicative des prestations payées … 

Ce sont là des manquements administratifs graves. Qui ont influencé l’instruction dans un sens prémédité.

Qui nous prouvent qu’ils ont été commis de bonne foi ? Qui en est responsable ?

4/- Sur le plan juridique et disciplinaire, sur ce plan la CNAM peut tout se permettre, puisque c’est elle qui contrôle puis enquête, ce sont ses services qui instruisent les dossiers et c’est elle et ses « alliés » de l’administration qui jugent ! Car la juridiction suprême chargé de statuer sur les litiges conventionnels c’est la Commission sectorielle nationale (CSN) qui est composée majoritairement de représentants de l’administration (CNAM, ministère des Aff. Sociales et celui de la santé) avec une présence symbolique des syndicats médicaux, autant dire que généralement le « jugement » va dans le sens que lui donnent les instructeurs de la CNAM.

Quant aux sanctions, c’est au « pif », car il n’y a aucun texte qui réglemente leur importance ni fixe les circonstances qui déterminent leur application, d’où la sanction « lumineuse » de 03 mois de déconventionnement prise à l’encontre de l’unique clinique, où se font 30% des accouchement et des actes chirurgicaux de tout un gouvernorat !

Une situation indigne d’un état de droit.

Une telle concentration de pouvoir par la CNAM, devient inquiétante et ouvre la porte à tous les dérapages, ses détenteurs seront toujours soupçonnés d’abus tant que des garde-fou et un équilibrage conventionnel n’ont pas été apportés.

Il est temps de clarifier cette situation indigne d’un état de droit en apportant des correctifs urgents à savoir :

  • Impliquer obligatoirement les représentants des médecins dans l’instruction des dossiers litigieux par le biais des commissions paritaires régionales,
  • Faire présider la CSN, par un juge, seul garant du respect de la procédure et d’un minimum d’impartialité,
  • Faire paraitre un texte conventionnel qui qualifie clairement les litiges et fixe des sanctions étudiées et graduelles.

Entretemps les services de la CNAM peuvent continuer tranquillement leur acharnement contre RAOUEBI et ses médecins comme ils le claironnent dans leur droit de réponse où ils promettent de traquer pêle-mêle :

  • les bilans douteux : le simple doute devient une certitude de fraude, quand il s’agit de… RAOUEBI !
  • les dépassements des tarifs conventionnels : voilà que la CNAM qui a toléré depuis plus de 05 longues années, au vu et au su de tout le monde, les dépassements de tarifs des médecins dans toutes les cliniques de Tunisie, devient subitement ferme avec les médecins de RAOUEBI.

Qui douterait encore, que sous couvert de lutte anti fraude, il ne s’agirait pas tout simplement de l’utilisation des failles d’un système pour régler leurs comptes à quelques récalcitrants ?