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Quelques jours avant la deuxième visite de François Hollande en Tunisie en l’intervalle de quelques mois, un dossier qui était jeté dans l’oubli depuis des décennies a subitement refait surface. Il s’agit de l’exploitation des salines tunisiennes par COTUSAL, une filiale du groupe français SALINES. Le plus ancien investissement français en Tunisie a bien des secrets à révéler.

Sorti de l’oubli !

Depuis quelques mois, le dossier des ressources naturelles est devenu l’un des sujets qui font l’objet d’une attention particulière du grand public. Dans une avalanche soudaine de scandales, la boite de pandore n’a pas cessé de révéler les maux d’une nation dominée par la corruption et la malversation. Chacun de son côté a essayé d’apporter le peu d’éléments qu’il peut obtenir pour que la conscience publique puisse retrouver une partie de sa mémoire profonde noyée dans les problèmes socio-économique de tous les jours.

C’est dans ce contexte que le conseiller fiscal, Lassad Dhaouadi, a dépoussiéré le dossier de la “Compagnie Tunisienne Générale des Salines (COTUSAL)”. Criant scandale, il n’a cessé pendant plusieurs semaines de matraquer les médias et son entourage avec l’histoire de cette société qui exploite le sel tunisien depuis avant même l’ère coloniale. Certains canaux de transmission ont réussi à provoquer l’intérêt de la commission de l’énergie et des secteurs productifs de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC). Celle-ci a donc fouillé dans les anciens numéros du Journal Officiel de Tunisie (ancien nom du JORT). La grande surprise fut que la convention d’exploitation des salines par les Français en 1949 était publiée entièrement !
(Rappelons que la publication des contrats extractifs est aujourd’hui contestée par certains politiciens et décideurs.) C’est ainsi que le dossier des salines tunisiennes est définitivement sorti de l’oubli !

L’engagement de Mehdi Jomaa

Quelques dizaines d’heures après l’adoption de la nouvelle constitution par l’ANC, ce fut le tour de l’équipe de Mehdi Jomaa d’être soumise au vote des députés. Au milieu d’une longue série de questions et d’attaques que recevaient les prétendants aux postes de ministres, Chafik Zerguine, président de la commission législative de l’énergie et des secteurs productifs posa une condition à Mehdi Jomaa sans laquelle il ne lui donnera pas sa voix. « Si vous vous engagez à renégocier les contrats extractifs qui sont en vigueur depuis avant même l’indépendance, je voterai en faveur de votre gouvernement. Par contre si vous refusez ou si vous donnez une réponse non convaincantes, le vote sera différent !» En parlant des contrats extractifs qui datent d’avant l’indépendance, Chafik Zerguine évoquait ceux de l’exploitation des salines. Il avait précisé que ce n’était pas acceptable que la Tunisie ne reçoit qu’une partie infime des revenus venant des sels tunisiens et que ces exploitations soient régies par une convention qui date de l’ère coloniale.
Devant le risque de voir son gouvernement refusé par l’ANC, Mehdi Jomaa n’avait guère le choix que de s’engager et de promettre la renégociation de ces contrats. Il déclara même qu’il s’était déjà penché sur l’affaire du sel.

Est-ce que Mehdi Jomaa sera à la hauteur de ses engagements ?

COTUSAL se soumet !

Le lendemain de l’intervention de Mehdi Jomaa et de Chafik Zerguine à l’ANC, COTUSAL a publié sur son site officiel un communiqué qui a en même temps été publié par la presse écrite. Dans ce communiqué, la compagnie a essayé de se défendre en présentant une réponse aux interventions ainsi qu’aux articles publiés dans les médias. Après quelques vérifications, nous avons pu remarqué que le communiqué de COTUSAL était infesté de tromperies et de fausses informations.

Dans un premier lieu, la société évoque la date de la signature de la convention de 1949 mais omet de parler des exploitations des salines tunisiennes par la France depuis le XIXème siècle.

En fait, la société COTUSAL n’est que le résultat de la fusion des quatres sociétés qui exploitaient les salines de Khniss, Sidi Salem, Sfax (appelée alors Thyna) et de Mégrine approuvée par le décret du 06 octobre 1949 mis en exécution par le Résident Général de la France à Tunis, Jean Mons, sous réserve de l’approbation du Bey. Dans la version de la convention que nous avons obtenu, il n’y a pas de place pour la signature du Bey. Nous y trouvons seulement les noms de signataires français.

Les traces de l’exploitation des salines de Khenis dans la région de Monastir remontent à 1903. D’ailleurs, la grève des employés de COTUSAL en 1904 était l’une des première grèves menées par les travailleurs tunisiens pour protester contre les conditions de travail et pour revendiquer le droit à un salaire décent.

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Ensuite, COTUSAL déclare qu’elle n’est qu’une parmi les 6 entreprises qui exploitent le sel en Tunisie. Cela certes est vrai, mais pendant plus d’un siècle, elle avait le monopole du secteur vu que le premier concurrent sur le marché n’est entrée qu’en 1994. En ce qui concerne la transparence, nous nous demandons bien si COTUSAL peut se permettre de parler de transparence alors qu’elle ne publie sur son site ni son rapport financier, ni ses résultats annuels, ni la liste de ses actionnaires, ni même la liste des membres du conseil d’administration !

En ce qui concerne les trois avenants à la convention de 1949, aucun d’eux n’a pour objet la modification des termes de la convention qui concernent la part de l’Etat tunisien dans le revenu. De plus, aucun avenant n’avait été signé pour rendre la convention conforme au droit tunisien post-indépendance. Les trois avenants dont parle COTUSAL dans son communiqué n’avaient pour objet que la modification de la surface de la concession : deux fois pour l’étendre encore plus et une seule fois pour la diminuer. La dernière d’entre elle date du 15 juillet 1974. Elle fut d’ailleurs signée par Chedly Ayari actuel gouverneur de la BCT qui était en ce temps là Ministre de l’Economie Nationale. Nous aurions aimé que l’un de ces avenants porte sur la modification du deuxième paragraphe de l’article 11 de la convention de 1949 :

Paiement à titre de droits récognitifs d’une redevance d’occupation du domaine public fixé à 1 franc par hectare et par an pour la totalité des superficies du domaine public concédées.

Le point le plus important que nous retiendrons dans le communiqué, c’est que COTUSAL a déclaré que « Si demain la loi change, COTUSAL s’y soumettra ». Serait-ce une bonne augure au chantier de la renégociation des contrats d’exploitation des ressources naturelles ?

Exploitation du sel : prolongement de la domination française de la Tunisie ?

En décembre 2012, le livre “Tunis Connection” écrit par Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix, deux journaliste de Médiapart, a traité brièvement du dossier COTUSAL en insistant sur les personnes à la tête de cette société.

Quant à l’amiral Jacques Lanxade, ambassadeur à Tunis entre 1995 et 1999, qui tente actuellement de se démarquer du régime, il est devenu administrateur d’une société franco-tunisienne, la Compagnie générale des salines de Tunisie (Cotusal), filiale des Salins du midi (qui vendent notamment les sels Baleine).

Or l’entreprise compte également comme actionnaire la Banque de Tunisie, dirigée jusqu’à la révolution par la femme d’Abdelwaheb Abdallah, un très proche conseiller de Ben Ali. Elle a pour directeur général Norbert de Guillebon, président de la section Tunisie des conseillers du commerce extérieur français (le réseau économique de l’ambassade), et pour directeur général adjoint Foued Lakhoua, par ailleurs président de la Chambre tuniso-française du commerce et de l’industrie.

Le très médiatique Christian de Boissieu, président du Conseil d’analyse économique (CAE), l’organisme gouvernemental français de prospective économique, émarge lui aussi au conseil d’administration de la Cotusal. Il a d’ailleurs été décoré par le régime de Ben Ali au titre de Commandeur de l’Ordre de la République tunisienne, et préside le cercle d’amitié France Tunisie.
Tunis Connection, Lénaïg Bredoux, Mathieu Magnaudeix

Parmi les noms cités dans ce livre, nous nous attarderons sur l’actuel PDG de la société : Norbert de Guillebon. Ce que “Tunis Connection” ne dit pas, c’est que le Comte Norbert de Guillebon n’est autre que le fils du Général Jacques de Guillebon, commandant de la subdivision de Gabès des forces coloniale depuis 1951 avant d’être affecté à inspection des Forces en Afrique du Nord en 1949. Le Général de Guillebon avait mêm mené en 1956, l’année de l’indépendance de la Tunisie des opérations dans la région de Gafsa.

Le “destin” a fait qu’aujourd’hui, le fils d’un militaire français qui a oeuvré pour que la Tunisie reste sous l’emprise de la France, se retrouve à la tête d’une société qui a longtemps spolié les ressources de la Tunisie.

Vers la fin de la domination ?

Quelques jours après le vote d’une constitution qui rend à la Tunisie sa souveraineté sur ses ressources naturelles, les équilibres semblent être bouleversés. La loi de la nature fera en sorte qu’un nouvel équilibre soit retrouvé tôt ou tard. La question qui se pose actuellement est la suivante : Est-ce que la France cédera facilement à la volonté tunisienne de reprendre sa souveraineté entre ses mains ? Est-ce que la France, qui se dit pays des droits de l’Homme, remboursera à la Tunisie ce qu’elle lui a spolié pendant des décennies ? Est-ce que la visite de François Hollande en Tunisie s’inscrira vraiment dans le cadre d’un respect mutuel de la souveraineté des deux pays ? Ou est-ce que la nouvelle stratégie diplomatique de la France envers l’Afrique imposera de nouveau des pratiques qui semblaient être délaissées depuis un demi-siècle ?