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L’avènement d’une Cour constitutionnelle dans la nouvelle Constitution tunisienne est d’un apport majeur au niveau de l’indépendance d’un pouvoir judiciaire bien souvent mis à mal par le passé.

Un des principaux apports de cette nouvelle Constitution est, théoriquement, l’institution d’une Cour constitutionnelle indépendante ratissant un spectre de compétences assez large.

Par ailleurs, force est de constater que pour les plus profanes, l’existence future de cette Cour, sa composition, ses attributions et les effets de ses décisions et son apport au processus démocratique sont méconnus, voire inexistants.

Ainsi il serait judicieux de « vulgariser » l’ensemble de l’apport des articles 118 à 124 de la nouvelle Constitution relatifs à la future Cour constitutionnelle.

Composition de la Cour

La Cour est composée conformément à l’article 118 de la Constitution de 12 membres, dont 9 doivent être des spécialistes en droit.

L’article en question ventile les nominations des “sages” comme suit : 4 membres sont nommés par le président de la République, 4 autres par l’Assemblée des représentants du peuple et les 4 membres restants par le Conseil supérieur de la magistrature.

Ces 12 membres, une fois nommés, élisent un président et un vice-président parmi eux, spécialisés en droit.

Qualités des membres

Comme énoncé dans l’article 118, les membres choisis doivent :

– être compétents dans leur domaine ;
– pour 9 d’entre eux, être spécialiste en droit et avoir une expérience d’au moins 20 ans dans le domaine juridique ;
– pour les 3 membres restants, aucune condition de compétence et d’expérience n’est exigée.

Durée du mandat

La nomination des membres de la Cour constitutionnelle porte sur une durée de 9 ans, non renouvelable. De ce fait, le mandat accordé à ces membres est unique. Ainsi choisis, ces membres auront le temps d’effectuer leur besogne tout en permettant, grâce à l’unicité du mandat, de ne pas être en décalage avec les évolutions sociales et générationnelles. De même, le mandat unique permet également de mieux installer ces « sages » dans la logique de ce « devoir d’ingratitude », si pertinemment évoqué par Robert Badinter. Ne pouvant pas être renommés, ils n’auront pas à « plaire ».

Renouvellement des membres

Conformément aux dispositions de l’article 118, le tiers des membres de la Cour constitutionnelle, soit 4 membres sur les 12 choisis, devra être renouvelé tous les trois ans, et ce, dans les mêmes conditions que leurs nominations.
En d’autres termes, un membre choisi par le président de la République spécialiste en droit et ayant une expérience de plus de vingt ans dans le domaine juridique devra être remplacé par un autre membre choisi selon les mêmes critères.

Cette disposition permet de donner un second souffle à cette Cour qui sera forcement amenée à évoluer en même temps que l’évolution de la vie politique.

Cumul de fonctions

L’article 119 interdit aux membres de la Cour constitutionnelle d’exercer toute autre fonction ou mission. Ceci pour éviter tout conflit d’intérêts dans l’exercice de deux fonctions qui peuvent être parfois contradictoires, voire intéressées.

Avant de passer aux voies d’accès à cette justice constitutionnelle et aux compétences de cette Cour, il convient d’analyser, interpréter, voire extrapoler ce qui précède :

– Quant à la composition de la Cour :

En comparant la composition du Conseil constitutionnel prévu par le chapitre IX de la constitution de 1959 (institué par la loi constitutionnelle n°95-90 du 6 novembre 1995) à celle prévue par l’article 118 de la présente Constitution, l’avancée est palpable.

Cependant, bien que novatrice et équilibrée, cette composition pose pourtant quelques soucis. Au niveau de la nomination des membres, un équilibre de façade est à craindre du fait de la répartition de ces nominations entre le président de la République, l’Assemblée des représentants du peuple et le Conseil Supérieur de la Magistrature ; chacun d’entre eux nommant 4 membres à la Cour constitutionnelle.

Ce dispositif pourrait mener cette Cour à une forme d’impartialité politique et, dans le contexte actuel tunisien, à une forme de prévalence d’une certaine conception, entre autres, de la “morale publique” ou du “sacré” préjudiciable aux libertés. En effet, si les choix du président de la République et ceux de l’Assemblée des représentants du peuple concorderaient sur des personnalités aux conceptions conservatrices, Il est à craindre que les 8 membres sur 12 nommés ne soient ceux qui détermineront l’orientation restrictive pour les libertés fondamentales de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

Enfin, il convient de reconnaitre l’approche consensuelle adoptée afin d’atteindre un compromis sur une composition la moins critiquable même si, comme vu précédemment, cette composition recèle de certaines craintes.

– Quant à la qualité des membres :

Les membres de la Cour sont choisis parmi les personnes compétentes et étant pour les 3/4 spécialistes en droit ayant au moins vingt ans d’expérience. Se pose des questions étymologiques, mais importantes : Comment juger de la compétence des membres et sur quels critères se baser ? La notion de compétence étant abordée abstraitement dans l’article 118. Et qu’entend-on par « spécialistes en droit » ?
Certes, les lois organiques viendront combler ce déficit de précision, mais n’aurait-il pas été plus sain de mettre en avant les catégories considérées comme « spécialistes en droit ». La science juridique couvre un vaste champ, au sein duquel toutes les spécialités ne peuvent forcément prétendre à l’expertise que requiert une Cour constitutionnelle.

Les compétences de la Cour constitutionnelle

Les compétences de la Cour constitutionnelle sont prévues par l’article 120 de la Constitution qui lui confère une exclusivité de compétence quant au contrôle de la constitutionnalité des lois.

Ces compétences concernent :

– Les projets de loi, c’est-à-dire, les lois votées, mais non encore promulguées, qui lui sont soumis par le président de la République, le chef de Gouvernement ou par trente élus de l’Assemblée des représentants du peuple. Le recours devant avoir lieu dans un délai de sept jours à partir de la date d’adoption par l’Assemblée des représentants du peuple.

Le large éventail des détenteurs de cette saisine à pour avantage de permettre à l’opposition de faire valoir ses droits en ayant la possibilité de vérifier la constitutionnalité de la loi qu’elle a combattue, mais aussi d’apaiser un hypothétique débat politique et de permettre de mieux accepter la loi par ceux qui s’y sont opposés au cours des débats précédents.

– Les projets de loi constitutionnelle, qui lui sont soumis par le président de l’Assemblée du peuple, et ce conformément aux dispositions de l’article 144 la constitution.

Ainsi cela permettra de vérifier que la révision ne porte pas atteinte aux matières dont la révision est interdite par la Constitution conformément aux modalités de l’article 144. A noter que cette saisine par le président de l’Assemblée du peuple est systématique.

– Les traités internationaux, qui lui sont soumis par le président de la République avant ratification.

– Les lois qui lui sont soumises par les tribunaux suite à une exception d’inconstitutionnalité à la demande des parties au litige. Les cas et procédures de la voie de l’exception d’inconstitutionnalité seront prévus ultérieurement par une loi organique.

Il s’agit là d’une avancée démocratique qui peut cependant obstruer le fonctionnement de la Cour, étant donné l’absence d’un cadre limitatif pouvant faire l’objet de ce renvoi préjudiciel.

– Le règlement intérieur de l’Assemblée des représentants du peuple qui lui est soumis par le président de ladite Assemblée. Cela permettra de « contrôler » l’Assemblée des représentants du peuple, afin qu’elle ne puisse, à travers son règlement intérieur, contourner les règles constitutionnelles, voire altérer l’équilibre des pouvoirs.

Ainsi, l’article 120 de la Constitution institue un contrôle a priori (c’est-à-dire préalable au vote de la loi) et un contrôle a posteriori (c’est-à-dire, ultérieur au vote de la loi) de la constitutionnalité des lois.

Majorité requise et délais de décisions :

La Cour rend ses décisions à la majorité absolue de ses membres, et ce dans les 45 jours à compter de la date du recours pour inconstitutionnalité, sauf lorsqu’elle est saisie pour une exception d’inconstitutionnalité où le délai pour statuer est de trois mois renouvelable une seule fois.

Les effets de la décision d’inconstitutionnalité

Conformément à l’article 123 de la Constitution, lorsque la Cour prononce l’inconstitutionnalité d’une loi, ladite loi est suspendue, et ce dans les limites décidées par celle-ci. Pourquoi avoir décidé sa suspension et non son annulation ?

Ce choix a été fait afin de permettre à la Cour de reporter dans le temps les effets de sa décision, le temps pour l’Assemblée des représentants du peuple de pouvoir voter de nouvelles dispositions législatives et évitant ainsi un vide juridique probable. Cependant, la disposition inconstitutionnelle sera effectivement suspendue même si certains de ses effets dureront provisoirement.

Indépendamment de cette étude des articles 118 à 124 relatifs à la Cour constitutionnelle, il convient de relever certaines problématiques :

– Tout d’abord aucune allusion n’est faite quant au financement de la Cour. Bien que l’article 118 énonce qu’il s’agit d’une instance juridictionnelle indépendante, il ne fait mention à aucun moment de la nature de cette indépendance.

Le budget de la Cour est imputé sur celui de l’État approuvé par l’Assemblée des représentants du peuple. Ainsi, le pouvoir législatif exerce un moyen limitatif d’indépendance vis-à-vis de la Cour constitutionnelle étant en quelque sorte son « bailleur de fonds ».

– Par ailleurs, la possible révocation des membres de la Cour constitutionnelle n’est nullement mentionnée. Ainsi, si un membre commet une violation à la Constitution, une infraction, ou souffre d’incapacité physique ou mentale ou à la suite d’un acte qui discréditerait l’intégrité et la réputation de la Cour, celui-ci pourra continuer à être membre de cette Cour. Il s’agit là d’un danger qu’il conviendra d’y remédier à travers les lois régissant l’organisation de la Cour.

– Demeure enfin une prérogative qui n’a pas été retenue dans cette Constitution, en l’occurrence celle relative aux voies d’accès à la Cour constitutionnelle via le recours individuel direct ouvert aux particuliers.

Certes, cela reviendrait à engorger davantage le travail de la future Cour constitutionnelle, mais cela permettrait à tout individu de faire valoir ses droits constitutionnels auprès de celle-ci d’une façon directe, sans pour autant être partie à un procès.

Afin de trouver un équilibre entre le caractère « restreint » de la saisine actuelle et la possible lenteur de l’institution constitutionnelle des suites de ce recours, il aurait fallu laisser cette possibilité tout en y imposant des conditions sévères de recevabilité.

Ainsi, la limitation de ce recours à certains actes législatifs n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle a priori aurait été une avancée majeure.

Par ailleurs, limiter les saisines de la Cour aux cas d’atteintes effectives des droits fondamentaux tout en affirmant le caractère subsidiaire de ce recours individuel, en exigeant des requérants l’épuisement de toutes les autres voies de recours auraient été une solution envisageable.

Cependant, l’absence d’une telle opportunité offerte aux particuliers est motivée par une idée simple : l’autonomie de l’Assemblée des représentants du peuple, qui se verrait soumise au contrôle de la Cour constitutionnelle.

La future Cour constitutionnelle tunisienne est une avancée certaine. Cependant, si théoriquement cette Cour s’affirme comme une entité indépendante et garantit un meilleur contrôle sur les futures normes adoptées, il n’en reste pas moins que les lois qui fixeront son organisation et les procédures applicables devant elles pourront contribuer à nuancer ces propos. Enfin, la possibilité d’un recours individuel direct devant cette Cour, dont l’absence est certes préjudiciable pourrait être introduit à l’avenir lors d’une future révision de la Constitution.

Il est à noter, comme énoncé dans les dispositions transitoires, qu’en attendant la mise en place de cette Cour constitutionnelle de façon permanente, l’Assemblée nationale constituante devra, par le biais d’une loi organique, prévoir l’institution d’une Cour constitutionnelle provisoire, chargée de contrôler la constitutionnalité des projets de loi, et ce dans un délai de 3 mois après l’adoption de la Constitution. Celle-ci sera composée de six membres : le président de la Cour de cassation, du Tribunal administratif, et de la Cour des comptes et 3 membres nommés par le président de la République, le chef du Gouvernement et le président de l’Assemblée des représentants du peuple.