Quelques semaines après la constitutionnalisation de la propriété du peuple des ressources naturelles, et parallèlement aux protestations dans le sud de la Tunisie, les réseaux sociaux tunisiens s’enflamment et tentent d’imposer la question des ressources naturelles au cœur du débat politique.

Nous avons sélectionné un certain nombre de mots clefs relatifs à la question des ressources naturelles (essentiellement phosphate, gaz et pétrole). S’appuyant sur un outil d’analyse et de veille des médias électroniques, nous avons constaté que, comparés à ces dernières années, ces mots clefs ont atteint un pic, pendant la semaine allant du 8 au 14 mars 2014.

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Le pic d’activité connu la semaine dernière n’a pas été brusque. Précédé par quelques autres pics moins importants, certes, il a joué, cependant, un rôle important dans la stimulation de l’opinion publique. L’activité sur le web tunisien était presque absente avant les premiers mois de 2011. Le premier pic important est celui de la semaine du 2 février 2013, période qui correspond à la dernière augmentation des prix de l’énergie. Depuis cette date, l’intérêt des tunisiens pour la question de l’énergie et des ressources naturelles n’a cessé d’augmenter. L’activité n’est presque jamais redescendue au-dessous du seuil de 300 mentions/semaine.

Un deuxième grand pic, plus important que le premier, a été suscité par un article publié sur le journal “Al Chourouk”, dans son édition du samedi 20 juillet 2013. On y évoquait une découverte pétrolière dans la zone frontalière tuniso-algérienne, dont le potentiel de production est de 100 mille barils par jour (une fois et demie la quantité actuellement produite). L’amplitude de la polémique s’est accrue avec les démentis du ministère de l’industrie. Le troisième pic, encore plus important que ceux qui le précèdent, est quant à lui survenu à l’occasion du débat autour des articles de la constitution qui portent sur les ressources naturelles. L’activité sur les réseaux sociaux et dans les médias électronique s’était transformée en pression médiatique et citoyenne sur les députés pour qu’ils adoptent l’article 13, après qu’ils l’aient rejeté lors d’un premier vote. Le quatrième et dernier pic est comme nous le disions, le plus important. Il coïncide, d’une part avec les protestations des habitants du sud tunisiens qui revendiquent leurs droits à une part du revenu de l’exploitation des ressources naturelles pour financer le développement de la région. Le black-out médiatique sur ces revendications a été brisé par les articles qui parlent de la manifestation organisée le 20 mars, à l’occasion de la fête de l’indépendance par une organisation islamiste anti-impérialiste, d’origine égyptienne, appelée “Mouvement Ahrar“, qui revendique un referendum pour la nationalisation des ressources naturelles en Tunisie.

Les informations relatives aux ressources naturelles sont relayées sur le web tunisien à travers deux voies : les réseaux sociaux et les médias électroniques. Si on ne prend pas en considération le facteur temps, on constate que les réseaux sociaux et les médias électroniques ont presque la même part de la scène. La part détenue par Facebook est plus prépondérante que celle de twitter : Cela est dû au fait que les tunisiens n’utilisent pas beaucoup twitter. Rappelons qu’un sondage fait en 2012 a montré que 79,9% des personnes interrogées ne possèdent pas de compte twitter alors que 97,5% possèdent un compte Facebook.

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Sur Facebook, l’activité relative aux ressources naturelles était nulle avant l’année 2011. Elle a commencé à prendre de l’ampleur, lors de l’annonce officielle de l’augmentation des prix de l’énergie au début du mois de mars 2013. Pourtant, les facebookeurs n’étaient pas très réactifs lorsqu’une semaine auparavant, les médias commençaient à en parler. Les pages facebook qui traitent le plus de ce sujet, sont les suivantes :

  1. Collectif STOP au Gaz de Schiste en Tunisie
  2. بإسم الزوالي والبطال سنواصل النضال
  3. Mafia Tunisienne
  4. من أجل قانون لمكافحة الفقر والاستبعاد الاجتماعي

Les cadres dans lesquels les pages Facebook traitent le plus la question des ressources naturelles sont les suivantes : la pollution, la corruption, la pauvreté et les inégalités sociales. Ce constat se confirme également avec les noms des personnes les plus cités sur facebook, quand on parle de pétrole et de gaz.

  1. Slim Chiboub (pour l’affaire SebsiGate)
  2. Ali Larayedh (pour avoir déclaré être favorable à l’exploitation du gaz de schiste)
  3. Elyes Fakhfakh (pour l’augmentation des prix)
  4. Béji Caïd Essebsi (pour l’affaire SebsiGate)

Pendant le mois dernier, les tendances ont changés. Les pages qui parlent le plus de ce sujet sont les suivantes :

  1. فضائح اليسار التونسي
  2. نقابة الشعب التونسي
  3. Tunisien 99.99%

Il s’agit de pages qui affichent clairement leurs tendances islamistes, qui soutiennent les “Ligues de Protection de la Révolution” et qui sont hostiles à la gauche. Sauf que lorsqu’on regarde les noms des personnes les plus cités, nous en trouvons deux :

Wided Bouchamaoui (pour l’affaire du puits Mazrane)
Ali Laarayedh (pour ne pas avoir traité le dossier alors qu’il était chef du gouvernement)

Cela marque une divergence entre Ennahdha et son électorat sur la question des ressources naturelles. Est-ce que cela aura un impact sur son positionnement vis-à-vis de ce sujet ? Est-ce qu’elle va finir par céder à la pression venant d’en bas ? Ce qui est sûr, c’est que le lien entre Ennahdha et les LPR semble plus complexe qu’il ne l’est en apparence.

Venons en maintenant aux médias électroniques. La première remarque que nous pouvons faire, c’est qu’ils ne sont pas réactifs aux polémiques. L’amplitude de leur activité est quasi-constante. Le deuxième remarque est à propos du pic qui a été provoqué par l’intox publiée sur “Al Chourouk”. En la relayant, ils ont été à l’origine d’une polémique qui a enflammé les réseaux sociaux. Pourtant, le nombre d’article n’était pas très important en comparaison des pics qui caractérisent leur courbe d’activité. Cela prouve le potentiel-influence de ces voies d’information. Le problème, c’est qu’ils sont rarement à l’origine des informations qu’ils publient. En général, ils ne font que reprendre les communiqués de la TAP (comme l’a confirmé une étude récemment commandée par Revenue Watch Institute) et ceux du gouvernement.

Les sites de médias qui ont le plus mentionné le dossier des ressources naturelles dans leurs articles sont :

  1. Attounisia
  2. جريدة الصباح
  3. African Manager

La communauté tunisienne de twitter est comme nous l’avons dit la plus réduite en termes d’effectif. Cela se reflète sur l’intensité de son activité. Hormis les comptes de @Hour_News, @Attounissia_, @RadioMosaiqueFM et de @Radioexpressfm qui partagent automatiquement ce qui est publié sur leurs propres sites web, les tweetos qui ont le plus mentionné des termes relatifs aux ressources naturelles sont les suivants :

  1. Hatem Ben Yacoub
  2. Fidel Fisher
  3. Med Dhia Hammami
  4. Oueld Ifriqiya

Les pics atteints par les tweets tunisiens diffèrent de ceux des publications Facebook. En effet, le pic le plus important n’est pas celui de la semaine dernière, il date plutôt de la dernière semaine du mois d’octobre 2013, pendant laquelle il y a eu plusieurs publications qui parlent du gaz de schiste. Les questions environnementales et les affaires de corruption ne figurent pas parmi les sujets traités dans les tweets tunisiens.

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Jusqu’à maintenant, le traitement du sujet des ressources naturelles par les internautes tunisiens est encore limité à de simples interrogations sur la réalité du potentiel de la Tunisie, à la dénonciation de la corruption et à la diffusion d’intox. Depuis quelques semaines, la question du droit au développement est réapparue comme nouvel angle de traitement du sujet. Ayant été étouffée par la répression et par le censure en 2008, lors des évènements du bassin minier, aujourd’hui elle a de forte chance d’influencer les politiques publiques, d’orienter les décisions des autorités et de pousser les politiques à en débattre. Les réseaux sociaux, et surtout Facebook, ont joué un rôle important pendant la révolution. Joueront-ils aujourd’hui le même rôle pendant la réforme du secteur ?