Le commun des mortels a de quoi être dépassé par la complexité des manœuvres politiciennes dont a été le théâtre l’Assemblée constituante cette semaine. Le tour de passe-passe du 9 mai recèle cela dit de nombreux enseignements, s’agissant de la technocratie et des loyautés des uns et des autres. La motion de censure contre deux ministres du gouvernement Jomâa était-elle légitime ou n’était-elle que le prétexte à développer des postures électoralistes ? Anecdotique pour certains, l’affaire des touristes israéliens fut en tout cas l’occasion de crever un abcès, celui du substrat de l’antisionisme, non sans surenchères.
Le pragmatisme technocrate au grand jour
Pour son grand oral, la ministre du Tourisme, toute de rose vêtue, affichait un sourire jaune, une crispation à laquelle le rejet du huis-clos réclamé par son gouvernement n’est sans doute pas étranger.
Sur le fond, lors de son intervention, le discours d’Amel Karboul a tout du discours typiquement technocrate : l’argument économique y est évoqué d’emblée, axe central d’une tirade de la diversion. « Ce n’est pas le sujet, rétorquent en vain certains élus ». Selon une logique de l’argent roi, la ministre « start up » ne daignera pas discuter de la question idéologique, véritable cause de sa convocation.
Le monopole des croisières par une firme US est mentionné sans être commenté. Le manque à gagner résultant du boycott des croisiéristes est une donnée brute qu’on se contente de présenter via des chiffres. Une rhétorique qui ne s’embarrasse pas de scrupules, abstraction faite de la pertinence ou non du débat sur la normalisation.
La rengaine de l’efficacité et de la compétence à tout prix atteint ses limites. Le hiatus est en effet saisissant entre une technocrate qui ne parle pas le langage des idéaux, et une Assemblée de partis politiques rattrapée par son choix d’élire une équipe de gestionnaires libéraux.
Sur la forme, la désinvolture de la ministre a de quoi surprendre. Qualifiée de « ministre selfies » dans les réseaux sociaux, la légèreté dont elle fait preuve semble en profonde inadéquation avec le sérieux requis par l’étape et l’esprit même de la révolution de la dignité.
Instrumentalisation politique de la plénière
Sur la sellette dans un premier temps, la ministre et son confrère délégué à la sûreté finissent avec une tape sur la main contre la promesse de ne plus recommencer. « Tout est bien qui finit bien », signifie en substance Iyed Dahmani qui annonce le retrait de la motion de censure, au terme d’une séance à rebondissements qui donne inévitablement l’impression d’un grand bluff.
Tollé dans l’ex opposition à la troïka, notamment parmi les élus devenus Nidaa Tounes, furieux, qui évoquent une irrégularité procédurale contraire au règlement intérieur. Pourquoi tant de colère pour des élus qui allaient de toute façon voter contre la motion, après avoir voté dans un premier temps en faveur du huis-clos (81 votes pour le secret) ?
Pour comprendre les subtilités de cette séquence éminemment politique, il fallait ne pas perdre de vue l’article selon lequel toute motion de censure votée entraîne systématiquement une trêve de trois mois avant la mention suivante, si tant est que les ministres concernés n’aient entre-temps pas démissionné.
On peut donc penser que l’ex opposition tenait à voter, pour la forme, afin de marquer des points politiques contre la majorité parlementaire, une fois avoir saisi que la motion ne passerait pas numériquement. Il y a ensuite le dépit de ne pas avoir pu éviter la reconduite de facto de l’épée de Damoclès des motions, une arme qui continuera de peser sur le gouvernement Jomâa tout au long de la prochaine étape cruciale de préparation des élections.
Autant dire que la classe politique n’en sort pas grandie, en donnant à voir l’image de calculs techniques et de rixes partisanes le jour où était censée être discutée une question ayant trait à la sécurité nationale et au traumatisme de 1985.
Discutée en amont au sein du dialogue national, le débat de la séparation des deux premiers scrutins libres législatif et présidentiel du pays est une autre question dominée cette semaine par des calculs politiques. En fonction de leurs atouts respectifs, Ennahdha et Nidaa avaient tranché pour des options antagoniques.
A l’ANC, le bloc Ennahdha ne devrait pas cependant opposer son véto aux préférences de Nidaa Tounes, offrant à ce dernier sur un plateau des présidentielles qui lui semblent d’ores et déjà acquises, malgré les luttes intestines et les guerres de succession qui y font rage.
Cher Seif, tu connais mieux que moi la réalité des sondages. Il en est qui donnent NT vainqueur pour les présidentielles, d’autres sont plus circonspects. Penses-tu qu’on peut faire confiance à ces sondages? Qu’en est-il de leur commanditaire? Que valent selon toi les sondages pour les législatives?
Je pense que le scepticisme ambiant exagéré à l’égard des sondages politiques n’est pas justifié. 3C Etudes par exemple était sérieux dans sa méthodologie, donc crédible, et annonçait déjà Nidaa Tounes comme premier en termes d’intentions de vote. Le problème est le réflexe du grand public qui penche généralement vers une volonté de pub délibérée de la part de tel ou tel institut de sondage qui fait ressortir tel ou tel parti premier, ce qui correspond à un procès d’intention. Pourquoi ne lit-on pas la première place d’un sondage comme un avertissement ?
Par ailleurs la première place de Nidaa est tout à fait plausible, elle est perceptible dans la rue. La nostalgie a pu gagner en Egypte, pour de nombreuses raisons, dont l’absence de justice transitionnelle et une certaine paresse intellectuelle des électeurs à se tourner vers une alternative honorable.
Moi je pense que la classe politique arrive à un stade de fatigue énorme d’ou l’agitation dans l’hémicycle et sur les plateaux de télévision. Trois ans de transition c’est avéré long pour les tunisiens à différents niveaux.
– au niveau des appareils politiques, tous ils sont dans les combinaisons politico-politiciennes nues de tout principe fondateur de leurs partis,
– Au niveau de leurs bases militantes, ces bases sont déçues, certaines ont presque tout lâché et d’autres essayent de tenir dans des rayons de lumière qu’elle n’arrivent pas à attraper.
– Au niveau du peuple, la cherté de la vie les a rappelé à l’ordre de la survie, la politique n’a plus de sens.
La question qui se pose, à qui profite tout cela.
Avec la situation actuelle des finances publiques, qu’elle sera la place du futur parlement dans la décision souverainne?
Ben Ali harab
Mandhouj Tarek
Cher Seif Soudani,
Je lis à chaque fois avec le même plaisir cette rubrique de Polit-revue, même si je ne partage pas toujours vos points de vue.
Je voulais juste faire une observation par rapport à l’intervention de la ministre du tourisme, jugée désinvolte. Il est vrai que sa réponse pouvait être interprétée par certains, comme à côté du sujet, mais que lui-reprochait-on au juste? Concrètement? Un seul fait: d’être partie rencontrer au port “ce groupe d’Israéliens”. C’est tout! (elle n’était point concernée par la note procédurale du MI). Et sur ce point, elle a répondu par la négative: qu’elle n’avait carrément jamais mis les pieds au port! D’ailleurs, sa réponse aurait pu s’arrêter là, sans avoir à rajouter une tirade sur l’importance du tourisme en Tunisie!
Imaginez juste un instant, si son intervention s’était arrêtée sur cette réponse au seul reproche qui lui était fait? ça se serait résumé à une phrase! Encore plus désinvolte, donc! :-)
Je conclus, en disant, que son intervention, que j’ai trouvé moi aussi un peu surprenante, au début, n’est en fin de compte qu’à la hauteur du reproche qui lui était fait!
Cher Monsieur Seif Soudani,
Merci d’expliciter/expliquer cette sybilline phrase :
“Anecdotique pour certains, l’affaire des touristes israéliens fut en tout cas l’occasion de crever un abcès, celui du substrat de l’antisionisme, non sans surenchères.”
Cordialement.
L’instrumantalisation de la question palestinienne à des fins de politique intérieure n’est pas nouvelle, en Tunisie, à l’image de ce qui a cours dans la plupart des pays Arabes. Elle revèt un caractère grossièrement contradictoire, ici, lorqu’en mème temps des mesures exceptionnelles sont prises pour assurer le déroulement sans risque du pélerinage de la Ghriba.
Nombre de pèlerins sont, à la fois, citoyens tunisiens, français… et israeliens, qui seront à Djerba sans que l’Etat Tunisien y voie une quelconque contradiction avec l’affichage purement formel d’une posture antisioniste.
Le traumatisme de 1985, si traumatisme il y a eu, peut ètre mis au compte du ralliement quasi inconditionnel d’une Tunisie à la stratégie américaine et aux USA, protecteur et coupable, au mème titre qu’Israel qu’il arme tout en le garantissant contre toute sanction, fùt elle symbolique, par l’ONU.
Il serait, me semble-t-il, bien plus digne et politiquement efficient, de remiser aux oubliettes le verbiage antisioniste, si d’aucuns avaient à coeur la cause Palestinienne. Des choix clairs en politique étrangère, quitte à heurter certaines sensibilités, auraient le mérite de la constance dans le soutien à La Palestine tout en offrant une respectabilité sur la scène internationale.
Israel est un Etat puissant et existe, contre et malgré les voeux de certains. Il est financé, armé et soutenu par ceux-là mèmes auxquels une alliance intangible lie la Tunisie depuis son indépendance. Il est reconnu par diverses instances Arabes, et bien des pays y ont une ambassade lors mème que d’autres, en l’absence de toute transparence, y ont des relations tout en tenant le langage du déni à leurs peuples.
Contradictions et mensonges? Manque de courage à regarder la réalité en face, seulement. Faute politique, au bout du compte, dont les victimes sont les peuples Arabes, par les morts toujours nombreux et les destructions, et en premier lieu, les Palestiniens.