Après une escale en 2009, la goélette française Tara accostait, de nouveau, début septembre 2014, au port de Bizerte. Le voilier entame, ainsi, son expédition méditerranéenne avec pour mission d’étudier et de sensibiliser sur la pollution plastique et ses conséquences sur les écosystèmes.
Le programme de l’escale était riche et varié, il a mobilisé les associations locales : « We Love Bizerte », « l’association de protection et de sauvegarde du littoral de Bizerte » et « C’est à vous de changer Bizerte », mais aussi la collaboration de la faculté des sciences de Bizerte.
Une conférence de presse, une conférence scientifique, des projections, des expositions itinérantes et des films sur les océans, ainsi qu’une action de nettoyage de plage, ont été dédiés au public et aux enfants, à la Marina de Bizerte. L’équipe de Tara souhaite sensibiliser le grand public et les jeunes pour renforcer la conscience environnementale et intéresser les gens à ce vaste bouillon de culture qu’est la mer. Et ce, notamment à travers le dispositif Tara Junior, incitant les politiques à agir sur le plan environnemental.
On délivre un message à chaque fois qu’on passe, affirme Eric Karsenti, directeur scientifique de Tara expédition.
En outre, les chercheurs embarqués sur le bateau ont rencontré les spécialistes tunisiens. Un échange scientifique important a eu lieu sur les techniques d’analyses et les orientations écologiques, sur lesquelles les chercheurs tunisiens doivent mettre l’accent.
« On doit unifier les techniques scientifiques d’analyses pour que les résultats obtenus soient complémentaires », déclarait Eric Karsenti, lors de la conférence qui a eu lieu le 4 Septembre 2014, à la faculté des sciences de Bizerte.
En fait il y a des échanges avec le directeur de l’expédition, qui est le professeur Gaby Gorskyque, avec lequel nous avons monté des projets. Nous attendons de pouvoir mettre des étudiants en mastères et en thèses de doctorats sur des problématiques ayant trait à la biodiversité planctonique, obtenue par l’expédition Tara, et surtout sur la problématique des micro plastiques, qui est en fait une idée assez nouvelle.
Tara ce n’est pas nouveau pour nous, à la faculté des sciences de Bizerte. En 2009 l’équipage était de passage. J’ai beaucoup insisté pour que la Tunisie soit une escale, et en particulier Bizerte, qui est au cœur de la méditerranée, et qui présente, à mon avis, un point stratégique pour la recherche scientifique marine. La fois dernière, les choses ne s’étaient pas bien passées, nous étions dans un régime différent, aujourd’hui, je pense que l’impact médiatique était visible et donc j’espère qu’une collaboration scientifique intense soit mise en place, du moins pour cet aspect de gestion du micro plastique en méditerrané, précise Mohamed Najib Daly Yahya.
En 2009, Tara avait débarqué, à Bizerte, pendant 3 jours. Hostiles aux écologistes, l’administration avait, alors, entravé la mission de l’équipage en les soumettant à des procédures complexes. Ainsi, les chercheurs visiteurs ont-ils été obligés, à passer par la douane pour y laisser leurs cartes d’identité contre des laissez-passer. Le nombre de visiteurs s’était donc limité au nombre des laissez-passer disponibles.
La mission Tara
La mission Tara comporte à la fois un volet scientifique sur la nature des plastiques récupérés, les polluants qui s’y adsorbent (polluants organiques persistants, perturbateurs endocriniens notamment) et la vie qui s’y développe, et un volet de sensibilisation sur les nombreux enjeux environnementaux liés à la méditerranée.
De mai à novembre 2014, l’équipage, qui compte quatre scientifiques, passera 115 jours en mer et autant en escale, dans 13 pays. Deux cents stations sont prévues, pour collecter entre 400 et 500 échantillons. La mer Méditerranée est une mer quasiment fermée elle « représente 0,8 % des surfaces en océans de la planète, et concentre 30 % du trafic maritime, et 8 % de la biodiversité mondiale. C’est un laboratoire pour les autres océans », argumente Romain Troublé, secrétaire général de Tara Expéditions. La Méditerranée est aussi considérée comme étant la première destination touristique au monde.
450 millions d’habitants vivent sur les zones côtières de la Méditerranée répartis dans 22 pays riverains. Aujourd’hui ses mégalopoles sont saturées. Les difficultés liées aux pollutions venant de la terre se multiplient, mettant sous pression l’écosystème marin essentiel pour les populations et pour la vie en général. Parmi ces pollutions, la présence croissante de micro-plastiques dans la mer et sa probable incorporation dans la chaine alimentaire, et donc dans nos assiettes, pose question. Il est urgent d’avancer vers des solutions concrètes comme l’assainissement des eaux, la gestion des déchets, l’innovation pour un plastique biodégradable, la promotion du tourisme durable ou la création d’Aires Marines Protégées préconisées depuis des décennies par la convention sur la Diversité Biologique de l’ONU ainsi que par l’Union Européenne.
TARA MÉDITERRANÉE.
Un message d’urgence écologique
Eric Karsenti nous a fait part de son souci, à propos de l’état des lieux en méditerranée : « On n’a pas beaucoup de résultats sur les analyses du plastique. Ce sont des données qui vont nous permettre de voir comment ça évolue. Généralement, Il y a des zones particulièrement peuplées et, effectivement, il y a un vrai problème avec la pollution et les relâchements du plastique qui finit par intégrer l’écosystème ». « Tara porte un message d’urgence écologique, mais aussi un message d’espoir », affirme, de sa part, André Abreu de Almeida, responsable Environnement et Climat de Tara Expéditions. « C’est le message environnemental qu’on essaye de faire passer, toujours, avec des solutions dans l’avenir, sans catastrophisme et sans jouer sur la peur des gens parce qu’on estime qu’on est dans un moment de transition trop important pour qu’on s’abatte tous ensemble pour aller vers la solution ».
Pour le scientifique, il est possible de s’adapter au dérèglement environnemental, ou au moins de prévoir et minimiser ses impacts, en s’appuyant sur la recherche et l’innovation. Il considère que les opérateurs privés, les ingénieristes, les collectivités gestionnaires et les pouvoirs publics doivent travailler ensemble pour minimiser l’impact environnemental des mégapoles entourant le littoral méditerranéen.
Sans l’engagement de la société civile et sans l’éducation et la sensibilisation des citoyens, sera extrêmement difficile de faire bouger les lignes, estime le chercheur.
« En Tunisie, on trouve l’assistance de la société civile assez forte et présente contrairement à d’autre pays voisins. Donc, je pense que la Tunisie a une société qui est consciente des enjeux environnementaux et qui est prête à s’engager. Et il faut savoir comment elle s’engage, il faudrait des conditions pour que la société puisse s’exprimer et donc, ça c’est très important », ajoute-t-il.
La convention de Montego Bay
La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) a été signée à Montego Bay, en Jamaïque, le 10 décembre 1982, il y a de cela 30 ans. Cette convention « définit les obligations en matière de protection du milieu marin. Elle crée le tribunal international de la mer dont le siège est à Hambourg ».
Dans ce cadre, André Abreu de Almeida a mis l’accent sur les nouveaux enjeux environnementaux, de sécurité maritime ou de sûreté maritime qui invitent à revoir cette convention : « Tara milite, depuis 5 ans, pour qu’il y ait un protocole spécifique de protection de la biodiversité marine au-delà des zones économiques exclusives. Vous savez 12000 MM c’est la mer territoriale, 200 000 MM c’est la zone économique exclusive, et au-delà, c’est la haute mer, et donc il y a eu recours à l’ONU. Il y a un grand effort pour laisser cette révision de convention de Montego Bay pour intégrer une voie spécifique sur la biodiversité marine.
Cela pourrait être intéressant parce que tout doit être fait : c’est-à-dire qu’on va réguler la pêcherie haute mer, on va réguler les lavages des cuves, l’eau de ballaste et plein de choses qui, aujourd’hui, n’ont pas de loi ».
Il a souligné, ainsi, l’absence d’un cadre juridique répressif condamnant les grands navires transporteurs de produits toxiques déversés en pleine mer.
Or, la révision de la convention de Montego Bay est indispensable, pour au moins trouver une aire juridique afin de sensibiliser les pollueurs.
En l’occurrence, l’ « appel de Paris pour la haute mer » a été lancé sur internet pour « pousser les gouvernements et les partenaires économiques à obtenir un accord ambitieux à l’Assemblée Générale des Nations-Unies de 2014 ».
D’ailleurs, Tara se trouve, souvent, confronté à cette absence de cadre juridiquo-écologique. André Abreu de Almeida affirme, ainsi, que l’autorité tunisienne a refusé d’autoriser Tara à faire des prélèvements dans la zone côtière.
Nous nous sommes retrouvés dans un labyrinthe d’autorisations. La Tunisie ne nous a pas autorisé le prélèvement dans la zone côtière. On ne sait pas pourquoi, peut être que c’est à cause du parlement provisoire que personne ne veut pendre la responsabilité de signer. C’est une décision prise dans les coulisses de l’administration, on ne pense pas que c’est un motif politique. C’est peut être une défense.
Pourtant la recherche n’est pas privée, c’est pour vous qu’on fait ça. Et on est prêt à mettre les plus grands scientifiques du monde pour étudier la côte tunisienne, et puis en réparer le cadre, nous confie André Abreu de Almeida.
Mohamed Najib Daly Yahia impute ce refus à la Commission nationale de la défense qui n’a pas été saisie à temps : « Le problème c’est que la demande a été envoyée, au mois de Juin, et donc la commission nationale de la défense s’est réunie, au mois d’Août. Or, il s’est avéré qu’il y avait des stations d’échantillonnages dans les zones territoriales qui n’étaient pas prévues au départ. C’est pour ça qu’il y a eu refus de la part de cette commission ».
Au fil de leur expédition en Méditerranée, les équipes scientifiques de la goélette collecteront des millions de données marines en vue d’un travail d’échantillonnage dont l’analyse sera confiée à différents laboratoires dans le monde, selon leurs spécialisations. Par exemple, à l’Observatoire Océanologique de Banyuls, en France, ce sont les bactéries colonisant les micro-plastiques qui intéressent les chercheurs. Le problème étant que ces micro-plastiques ont la même taille que les organismes planctoniques et peuvent, ainsi, être confondus et absorbés par les poissons.
Aux dernières nouvelles, « les premiers résultats de Tara sont alarmants », car « des fragments de plastique ont été trouvés à chaque relevé de filet, et cela de l’ouest à l’est de la « Mare Nostrum » », comme l’affirme une chercheure impliquée dans l’expédition qui a démarré en mai dernier.
Pour les chercheurs du Tara, seule la connaissance et la conscience scientifiques permettront de rationaliser notre environnement et de ne pas le livrer à l’arbitraire.
La mer ne sera jamais propre, si on ne résout pas les problèmes à terre. Et les problèmes à terre c’est nous, c’est notre rôle, de ne pas jeter le plastique, de recycler le plastique, de savoir faire le tri et de passer le message aux enfants qui sont les acteurs du futur. Tara essaye de développer la conscience citoyenne scientifiques ; On essaye d’informer de ce que c’est le bisphénol, les phtalates, les polluants persistants, les PCB, pourquoi ça fait mal, qui s’impacte, pourquoi les planctons souffrent, quel type de poissons disparaissent… Comme la Tunisie est un pays dont la mer est un patrimoine considérable, nous estimons que, sans une mer propre, ni le tourisme, ni la pêche en Tunisie ne peuvent avoir un avenir, et ce sont quand même deux postes clés pour l’économie tunisienne, affirme André Abreu de Almeida.
Eric Karsenti exhorte les Tunisiens à faire de la recherche. Car « la recherche et la connaissance scientifique sont très importantes parce que cela évite l’arbitraire. La connaissance scientifique permet de connaitre notre environnement et notre monde de façon rationnelle, et donc, il va être facile de prendre des décisions et de faire des choix qui sont plus efficaces que de laisser l’arbitraire décider. Je pense qu’il faut développer la recherche fondamentale, la recherche appliquée et la recherche sur l’environnement. Cela devient absolument essentiel pour la société moderne, sans ça, on va vraiment vers le pire ».
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