La campagne présidentielle a démarré le samedi 1 novembre 2014. Après des décennies marquées par la pensée unique et le président unique, ces élections particulières suscitent les passions les plus folles, nourries par des tentations régressives et des espoirs contrariées. Mais qu’importe le nom du père, pourvu qu’on ait l’ivresse … du pouvoir ! Des dizaines de personnes de tout bord se sont, ainsi, bousculées pour briguer le fauteuil du souverain républicain. Sur les 70 postulants, 27 sont, finalement, restés en lice. En réalité, « c’est un rêve qui a touché des centaines de milliers de tunisiens ».

Comme le suppose la règle en politique, il faut tuer le père pour faire son ascension. Selon le mythe freudien, le meurtre du père, chef de la horde primitive, est un acte nécessaire à la fondation d’un nouvel ordre social. Mais tout le monde ne s’identifie pas au même père et ne tue pas le même père. Le regard posé par deux psychanalystes, Hechmi Dhaoui et Skander Boukhari, sur la ruée vers cette position désirante du pouvoir est autrement révélatrice de ce qui travaille l’espace politique de l’après Bourguiba-Ben Ali.

Ce meurtre fondateur est-il aussi libérateur qu’on peut le souhaiter ? Sans alliance, la frérocité va-t-elle s’interdire le pur rapport de force ravageur ? Mais l’alliance peut-elle empêcher une régression vers le passé et le retour des figures honnis ? Des Bouguibistes aux Islamistes en passant par les Benalistes, qu’ils admirent ou qu’ils haïssent le père, tous veulent « montrer patte blanche ». Outre le fait que le pouvoir alimente, inévitablement, l’appétit pulsionnel de jouissance que Dr. Skander Boukhari relie à une politique de la régression.

Mais pour remettre les choses dans leur contexte historique, Dr. Hechmi Dhaoui rappelle que « dans le sud de la méditerranée, depuis 1923 et la chute de l’empire ottoman, l’homme politique au pouvoir accumule le pouvoir religieux et le pouvoir politique. A partir de là, il constitue un chef et un père plus que symbolique, un père réel et un père imaginaire ». Et « si on regarde bien, cette révolution a été faite par les jeunes, mais elle a été totalement accaparée par les vieux, par des gens qui n’ont plus rien à voir avec la politique, même en ce qui concerne Rached Ghannouchi et Béji caid Essebsi, les deux grandes figures du paysage politique tunisien », conclut-il.

Pourquoi appeler la psychanalyse au secours de la politique ? Parce que « l’effort de connaître l’inconscient et de transformer le sujet est en rapport avec la question de la liberté » aurait répondu Cornelius Castoriadis. Cet inconscient a donc aussi à voir avec les rapports sociaux dans lesquels la personne et les droits de l’autre sont pris en compte ou pas. Ecoutons ce qu’ont à nous dire Skander Boukhari et Hechmi Dhaoui sur l’énigme de l’inconscient et du pouvoir.