« Législatives en Tunisie : le parti laïc Nidaa Tounes remporte les élections »1, « La Tunisie vote laïque ! »2, « Elections en Tunisie : le parti laïc serait en tête, Ennahdha deuxième »3, « Tunisie : le chef d’Ennahdha a félicité le victorieux parti laïc »
L’image rendue par les média étrangers – essentiellement les média français – de la société tunisienne et de sa scène politique est une image déformée, simpliste, fausse. La Tunisie est dépeinte comme étant cette évidente dichotomie : laïcs contre islamistes, éclairés contre obscurantistes.
La France se débattant vainement pour défendre sa définition de la laïcité se sent dans l’obligation d’exporter ce concept inadapté et de l’imposer à une société, autrefois dominée, aujourd’hui indépendante. Est-il nécessaire de le rappeler ?
Comme l’exprime très élégamment Edward S. Saïd dans son introduction à l’Orientalisme :
L’essentiel, pour le visiteur européen, c’est la représentation que l’Europe se fait de l’Orient et de son destin présent, qui ont l’un et l’autre une signification toute particulière, nationale, pour le journaliste et ses lecteurs français
Edward S. Saïd, L’Orientalisme, (ed. 2003).
Comment ne pas retrouver dans l’expression des média français cette empreinte toute particulière de l’orientalisme, celle de se représenter l’ailleurs selon les cadres que l’on veut bien lui définir depuis la rive Nord de la Méditerranée.
Ainsi, la société Tunisienne, ses 3000 ans d’histoire, sa culture bien particulière et unique que tout visiteur s’intéressant quelque peu au pays ne manquera pas de vous rapporter, sa langue, ses intellectuels, ses penseurs, sa spiritualité, ses citoyens et sa nation, tout ça, balayé. Il ne reste plus qu’islamistes et laïcs. Ibn Khaldoun, Abou Kacem El Chebbi et Farhat Hached seraient estomaqués par cette vulgarisation orientaliste, très éloignée de la réalité tunisienne. Le tunisien se sentirait presque insulté.
La société tunisienne est bien plus complexe, profonde. Formée de couches superposées qui se sont fondues en une entité métissée, colorée, diverse et variée. La Tunisie est multiculturelle mais n’a qu’une culture, la culture tunisienne. Chose qui ne parait pas si évidente à construire au sein de la République française où le tissu social n’a de cesse de s’étioler, la question de l’identité nationale sans cesse posée. En référence de nouveau à Saïd, l’image que les média français rendent de la Tunisie vient telle une complaisance, voilà ce que nous ne sommes pas. Comme une volonté de se rassurer, de se dire que ce qu’il se passe ‘là-bas’ est à l’opposé de ce qu’il se passe ‘chez nous’, tout en utilisant un terme et un concept franco-français pour mieux comprendre le cadre de l’image dépeinte.
Parlons-en de cette notion, la laïcité. La laïcité est née en France face à l’église chrétienne tout d’abord. Elle a ensuite évoluée pour devenir un concept particulier de la politique de la république, une exception, ou plutôt une invention, française.
Il n’y a pas aujourd’hui de définition officielle de la laïcité, mais son acception actuelle prend une dimension nouvelle, élargie. Il s’agissait dans un premier temps de distinguer l’Etat de la religion, afin que l’Etat affirme son indépendance face au pouvoir du clergé. Désormais il s’agit d’un véritable pacte social qui englobe la liberté de conscience, l’indépendance du politique vis-à-vis de toute option religieuse ou spirituelle et l’obligation pour les fidèles de faire un effort d’adaptation pour le bien commun de la République.4
Comment parler de laïcité s’agissant d’un pays dont la Constitution, édictée « par la grâce de Dieu », débute par une litanie « Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux »5 en préambule, et poursuit en son article 1er :
La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime.Article 1er de la Constitution Tunisienne de 2014.
Comment réduire l’énorme parti Ennahdha au simple adjectif ‘islamiste’ – sous-entendant bien sûr obscurantiste, anti-démocrate – alors que c’est par les urnes qu’Ennahdha est arrivée au pouvoir, et que c’est devant la sanction des urnes que le parti s’est incliné. Quel que soit leur bilan en termes de succès/échecs à la fin de leur mandat, les élus du parti ont joué le jeu démocratique sans détour et ont su faire preuve d’un grand pragmatisme, notamment lors des débats de la constituante. Il ne faut pas oublier que la Constitution de la deuxième République, à ce jour la plus éclairée et moderne du monde arabo-musulman, est née sous un gouvernement islamiste et une assemblée dominée par le parti Ennahdha. Comment parler de parti politique laïc (Nidaa Tounes) ou de candidat laïc (Beji Caïd Essebsi) alors que ce dernier ponctue ses discours de versets du Coran et de citations du prophète. Caïd Essebsi ne voile d’ailleurs aucunement son attachement religieux, mais il précise « mon islam c’est l’islam tunisien ».6 Une nuance difficile à saisir pour des média habitués à décrier le combo détonnant ‘islam, burqa, obscurantisme, terrorisme’.
Les média français se fourvoient et en arrivent même souvent à se ridiculiser. L’exemple de Caroline Fourest reste marquant, journaliste et chroniqueuse, qui a notamment écrit pour Le Monde au sujet de la Tunisie, et a – un temps – défendu Amina Sbouai (l’ex-femen tunisienne). Elle s’est exprimée au lendemain du résultat des législatives sur le plateau de France 24, fustigeant le manque de compréhension des média français de la société tunisienne, mais également pointant du doigt la diplomatie française, disant au passage que l’Ambassadeur de France semblait déconnecté de la réalité du pays. Caroline Fourest qui écrivait en 2004 que « La Tunisie, avec l’Egypte et la Turquie, seraient des démocraties officielles tenues d’une main de fer par l’armée »7, puis signait un article pour Le Monde en 2012 « la Tunisie des lumières se bat »8 entrant parfaitement dans le cadre du journaliste orientaliste qui se complait dans son savoir du pays voisin mais qui n’y a toujours rien compris. L’ironie fait qu’aujourd’hui elle fustige ses confrères délivrant le discours même qui a fait couler l’encre de sa propre plume il y a peu. La mémoire est courte, mais internet veille.
La scène internationale a encore du mal à admettre la possibilité d’un monde arabo-musulman différent du cadre qui a été dessiné pour lui par les puissances occidentales. La Tunisie est aujourd’hui un ‘laboratoire’ international, une curiosité, une anomalie dans le système. Une démocratie participative, avec une forte société civile mais selon les règles définie par la Tunisie, et selon la culture Tunisienne. L’occident a mainte fois essayé ou prétendu essayé d’amener la démocratie en Orient, sans succès. La Tunisie aujourd’hui fait preuve d’un processus interne inédit et attise tant la curiosité que les angoisses internationales. L’angoisse de voir un imaginaire s’effondrer. Tout le savoir construit durant des siècles sur ces nations étrangères pour se rendre compte aujourd’hui que l’on avait peut-être tort depuis toujours. Par ailleurs, les failles du schéma occidental de la démocratie apparaissent aujourd’hui, remises en question au sein même de ces sociétés. En France une marge de la scène politique réclame une 6e république, la 5e ayant été corrompue par un exécutif gourmand. Pourquoi donc vouloir reproduire ce qui a été fait et ne réussit pas ? C’est ce pourquoi la Tunisie doit s’assurer que ce processus reste sien et innovant, une démocratie à la sauce tunisienne, adaptée à notre société, à notre héritage historique et culturel.
Il est du devoir de chaque Tunisien de porter ce projet, de le faire s’épanouir, de donner l’exemple et montrer au reste du monde que la Tunisie n’est pas ‘laïque’, ni ‘islamiste’. La Tunisie n’est pas en recherche d’identité et n’a pas besoin de remise en cause de son identité. La Tunisie est tunisienne.
Notes
1. Législatives en Tunisie: le parti laïc Nidaa Tounès remporte l’élection, L’express, 30 Octobre 2014.
2. La Tunisie vote laïque !, Marianne, 27 Octobre 2014, par Martine Gozlan.
3. Elections en Tunisie : le parti laïc serait en tête, Ennahda deuxième, Europe 1, 27 octobre 2014, par Barthélémy Gaillard.
4. Pour une définition de la laïcité française, Maurice Barbier, revue Le Débat n° 134, mars-avril 2005
5. Préambule de la Constitution Tunisienne de 2014.
6. Entretien avec Beji Caïd Essebsi, Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, 24 novembre 2014.
7. Tirs croisés, Caroline Fourest et Fiammetta Venner, janvier 2004.
8. La Tunisie des lumières se bat, Caroline Fourest, Le Monde, 7 avril 2012.
Merci pour cet effort d’écrire et de reflechiir. La Tunisie, un nom, un concept, une histoire une géographie (tracée par le colon) une culture… Mais elle n’existe pas!!! ces les individus et leurs oeuvre qui existent et peuvent se dire tunisiens! on ne peut pas mettre la Tunisie en prison! les individus si! pour les médias d’à coté, ils définissent selon leur propre point de vue et leurs intérêts, ce n’est pas étonnant, cela fait 200 ans. ce qui est plus étonnant ces sont des individus vivant en Tunisie qui parle pour exlure leurs concitoyens
La Tunisie vue par l’actuelle directrice de cabinet de François Hollande, sorte de concentré orientaliste à usage des élites : http://www.aufeminin.com/portraits-de-femmes/temoignage-sylvie-hubac-tunisie-s727891.html
La “Tunisianité” subit et continuera de subir,comme tous les pays du Monde,sauf peut être l’exeption notoire de la Corée du Nord,(Et pour cause !)l’influence de la mondialisation,que cela vous plaise ou pas ! Ce n’est pas par hasard si la Révolution s’est faite en grande partie sur les réseaux sociaux,ces “portes” ouvertes sur le Monde….
Que la France,et les pays occidentaux se trompent sur une supposée “laïcité” de la Tunisie est
une évidence,mais c’est aujourd’hui,et dans le temps présent. Qu’en sera-t-il demain ?
“notre héritage historique et culturel”.comme vous l’écrivez,n’est qu’un héritage ! Savez-vous
aujourd’hui ce qu’en feront les “héritiers”? Surement pas ! Le Tunisien de Carthage n’est pas
le Tunisien d’aujourd’hui,tout comme le Tunisien de demain ne le sera pas non plus.
Il va changer,évoluer,se transformer,et heureusement pour lui,et pour son pays ! Sera-t-il
dans quelques decennies toujours musulman,ou athée,ou laïque,ou agnostique ?
Nul de peut le dire ! Il y quelques décennies la France et de nombreux pays occidentaux
étaient catholiques et pratiquants,aujourd’hui les églises sont vides,et on marie des couples
hommosexuels…..! “L’identité” n’est pas figée,elle se nourrit de toutes les influences,et la
révolution internet a ouvert pour tous la porte de ces influences.Que ces influences soient
bonnes ou mauvaises,peut importe,elles existent,et elles changent complètement la donne !
Elles accélèrent les changements comme jamais dans l’Histoire,et la Tunisie,comme tous les
pays du Monde,les subira indubitablement ! Que sera devenue la “Tunisianité” dans quelques années ? No one can say !
Bon papier.
Les écrits à la va-vite de Caroline Fourest sont superficiels et sans écho au delà des comptoirs de bistrots. Gardons nous de lui donner une importance qu’elle n’a pas.
Il nous reviens de faire oeuvre de pédagogie et d’expliquer -ce que vous faites très bien – la singulière complexité tunisienne.
http://hybel.blogspot.fr/2014/11/tunisie-terre-delections.html
La laicité à la française s’est instituée dans la confrontation à l’Eglise Catholique qui dominait alors, se voulant La Référence des normes sociales: mariage religieux, minoration des femmes, et catholicisme social en matière de relations sociales…sans compter son influence dans les milieux politiques, mème si elle avait perdu de son aura depuis le Révolution.
La mise à l’écart de l’Eglise a permis des transformations dans le statut de la femme qui devait par touches successives atteindre à l’égalité -au moins formelle- celui de l’homme. Les moeurs, de façon générale se définissaient dès lors dans la distance au discours et normes religieux. Dans le champ des rapports sociaux, on a pu observer des évolutions positives de la doctrine sociale de l’Eglise, des prètres pouvaient s’engager aux cotés des ouvriers et des dominés sans encourir le risque de se voir désavouer par leur hiérarchie.
Cela peut aider à comprendre la bienveillance et les sollicitudes dont bénéficient les “sans papiers” et autres exilés en France de la part de certains hommes de religion, dans une période marquée par l’hostilité quasi générale aux étrangers…
Cette part de la laicité à la Française reste son meilleur héritage contre le radicalisme laicard qui tend à se cabrer dans des positions qui rejoignent celles des courants xénophobes dans une islamophobie accréditant l’incompatibilité de l’Islam avec la République, et partant avec la démocratie.
Si la Tunisie a pu emprunter à ce modèle pour inscrire les droits des femmes dans ses lois, au moins cette part ne doit pas étre reniée et l’inspiration d’origine française déniée au prétexte de régler des comptes avec le colonialisme.
mais, sans doute, nous restons bien loin d’une laicisation qui aurait rompu les liens avec la religion comme origine et fondement de notre culture et notre civilisation.
Les temps actuels qui voient les peuples et les nations se retrancher dans leurs identités et leurs frontières -aussi bien géographiques que mentales- sont davantage favorables au rejet de l’autre et de ses valeurs bien plus qu’à la circulation des idées d’ouverture et de mutuelle reconnaissance, y compris avec et gràce aux média comme internet.
Mais au fait qu’est que c’est qu’être tunisien ?
…
Réponse : y a weldi jn’en sais rien
…
Mauvaise réponse…
… Peut être
Pourquoi se referer pour nous connaitre aux critères des autres (L’oocident) et à l’effet miroir. Pourquoi ne pas se réferer au réel. Ce qui est une approche tres superficielle. Car dépeindre lesb Islamistes d’Ennahdha parcequ’ils ont des attitudes reconciliantes ne fait pas d’eux des laicset surtout pas des anges.Et taxer Beji Caid Essebsi de fleurter avec l’Islam parcequ’il cite souvent des versets du Coran esttressuperficiel. Nous sommes une société à 98% musulmane,qu’on le veuille ou non.Les islamistes ne sont qu’une minorité de politiciens tres actifs qui ont réussis à formater l’esprit pour les embrigader dansun projet politique fabriqué detoute pièce par la secte des frèresmusulmans dans les années 1930-1940.Or nos gourous islamistes Tunisiens ont échoué dans leur projet, bien que le peuple leur a donné le pouvoir démocratiquement en 2011.Et le peuple les a écarté du pouvoir en 2013 puisen 2014,nonpas parcequ’il est laic ou contre l’Islam. Mais parce qu’il a refusé leur vision de l’Islam.Cette dualité Laicité/ Islam est un faux problème. Le vrai problème, qui d’ailleurs à l’origine dela créartion des “Frères musulmans” et de l’Islam politique, est celui de donner à la religion sa véritable place dans le développement de la société etdela réserverau seuk usage personnel. La religion, y compris l’Islam ne peut être la seule vision du monde universelle. Comme les autres religion c’est une vision du monde historique, qui ne peut plus être valable pour une société vivant au 20ième siècle. Elle relève de la foi et de la croyance personnelle et individuelle. On ne peut pas l’imposer à tout le monde Car la société ne peut rien imposer qui ne soit pas accepté par la majorité.