L’occidentalisme islamique1 ne constitue pas seulement un courant de pensée avec prétention ambitieuse à un rang de philosophie. Il est aussi la sanction d’une attitude d’observation adoptée par tout musulman occidental qui le souhaite vis-à-vis de nos semblables non-musulmans. Et puisque que nous avons élu domicile en France, c’est bien évidemment de nos compatriotes non-musulmans que nous voulons analyser les comportements, et ce, à la lumière des diverses situations durant lesquelles nous les côtoyons. Il s’agit donc d’un empirisme, qui ne se veut absolument pas omniscient en la matière, mais qui cherche à poser les bases d’un véritable occidentalisme sociologique, culturel et psychologique, comme il a existé par le passé un orientalisme porté par des Européens qui s’en allaient dans les pays musulmans pour en revenir avec une étude descriptive de leurs expériences.
Pour éclaircir notre propos, prenons l’exemple d’une attitude culturelle privilégiée par nos compatriotes : les repas entre amis qui s’éternisent et la légèreté d’esprit qui y ont cours.
Un dîner entre amis en France
Tout musulman qui a participé à des agapes avec des compatriotes non-musulmans a pu s’étonner de la légèreté des tournures des prises de parole qui émaillent le déroulement même de la soirée. Tandis que l’alcool est un ingrédient obligé de ce type de dîner organisé entre amis, des sujets de discussion se succèdent les uns après les autres. Des plus sérieux (politiques, religion, crise économique…) aux plus légers (sexe, blagues, loisirs…), en passant par ceux qui touchent à la société (mariage, concubinage, délinquance…) et aux situations personnelles des participants (emploi, situation familiale…), ils concernent, de près ou de loin, tous les débats qui traversent le pays.
Ne buvant pas d’alcool car cela est interdit par ma religion, me rabattant en conséquence sur les sodas et les jus, et me cantonnant à la nourriture halal (l’hôte de la maison fait toujours l’effort par respect de se procurer une viande permise selon nos rites), j’ai le loisir, lorsque j’assiste à ces dîners, d’observer plus ou moins finement mes compagnons d’un soir afin de comprendre ce qui anime mes compatriotes.
La confrontation à l’athéisme
L’une des spécificités flagrantes qui m’interpelle est la position majoritaire de l’athéisme, lequel se vérifie constamment dans les postures prises par les amis d’un soir. Tout se passe comme si la majorité des Français, lors de leurs activités sociales extra familiales et professionnelles, ne se sentaient pas en représentation d’eux-mêmes. La légèreté même des propos sur tous les sujets, l’alcool aidant, semble ressortir du fait que la liberté est la seule valeur partagée par tous, construisant un champ à l’intérieur duquel tout est permis, puisque l’absence de contrainte équivaut à un sentiment d’absence d’avoir à rendre des comptes. Bien que les athées soient des personnes qui ne sont pas dénuées de sens moral sur la justice, l’égalité, la tolérance ou le respect des lois, ils ont l’air de n’accorder aucune importance à la portée de leurs attitudes et de leurs paroles pendant ces moments-là.
Ceci tranche avec ce qui ressort de l’attitude de tout croyant, quelle que soit sa religion d’ailleurs. Non pas qu’il soit incapable de légèreté d’esprit. Le rire, les blagues, les loisirs et le repos d’esprit sont aussi l’apanage d’une personne religieuse ou spirituelle. Il s’agit là d’attributs essentiels d’une personnalité humaine.
Cependant, mise à part ces périodes de relâche qui participent de la quotidienneté, et en ce qui concerne les musulmans, deux types d’actions ont une incidence directe sur la psychologie religieuse : celles qu’ils choisissent d’accomplir en sachant pertinemment que cela est répréhensible au regard de ce que leur enseigne l’islam, et les autres qui ne comportent aucun interdit selon leur propre relation à leur religion. Alors que pendant les premières, il y a obligatoirement une sorte de lueur qui se rappelle à la conscience musulmane du sujet, les secondes ont ce considérable potentiel de développer en l’esprit de la personne croyante cette idée de « présent-être » continuel, qui est une sorte de perception spirituelle de la présence perpétuelle de Dieu alors même qu’Il n’est pas visible.
Il est clair qu’a contrario, les non-musulmans n’ont autre idée en tête, et cela n’est exclusivement valable, dans ce qui intéresse cet article, que lors des dîners entre amis qui occupent la majorité de ces lignes, que de faire de l’esprit, de passer du bon temps, en ne se pensant absolument pas en présence d’un Créateur qui voit tout. La laïcité étant passée par là, on dirait que tous ne se sentent plus en représentation responsable d’eux-mêmes sauf au niveau de l’intersubjectivité humaine puisque les dîners se suivent et forgent les destinées de nos compatriotes comme la puissance de la présence familiale influence grandement les nôtres.
Conclusion : une importance politique des dîners entre amis ?
La question centrale qui conclurait cette réflexion sur les dîners des Français pourrait être de savoir en quoi ces moments de sociabilité, au même titre que les bistrots d’ailleurs, seraient le biais par lequel l’Esprit du peuple français (au sens hégélien du terme) se développerait dans un sens ou dans un autre.
Sont-ils les lieux où se construisent les lignes de faille qui agitent la société telles que les oppositions sur le Mariage pour tous il y a quelques temps ou sur l’abolition de la peine de mort dans les années 1980 ? Et, ce qui nous concerne directement, est-ce que des préjugés sur l’islam, la peur de cette religion et de ses pratiquants, et le développement de l’islamophobie, y puisent leurs sources cachées ? Enfin donc, si cela est le cas, quelle posture autre que celle de participer à ces dîners devons-nous adopter, nous qui sommes Français et musulmans à la fois ? N’avons-nous pas un rôle pédagogique de présentation et de représentation de notre religion envers nos compatriotes, afin que celle-ci soit acceptée en tant que partie intégrante incontestable de la nation française, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui selon les sondages, surtout dans le contexte actuel faisant suite aux attentas de Paris du mois de janvier ?
Notes
1. L’occidentalisme est un courant de pensée qui tente d’intégrer à une pensée islamique toute doctrine provenant de la philosophie occidentale, après en avoir écarté les a priori qui iraient à l’encontre de ce que croit un adepte de l’islam (athéisme, autres croyances…). Voir les articles parus sur la présentation de ce courant de pensée sur saphirnews.com, oumma.com, nawaat.org et contrepoints.org.
Un ethnologue chez des Français? Vous dites qu’ils (ces gens dont vous parlez) ne se sentent pas en représentation d’eux-mèmes.
Précisément, on pourrait soutenir exactement le contraire, car, dans ces situations de “convivialité” qui sont un construit cultutrel , résultat de plusieurs siècles de travail éducationnel, le dispositif mis en place favorise l’expression des subjectivités. C’est une sorte de miroir social où se lisent les diverses figures de la sociabilité, espace de mise en scène de soi où se constituent des liens en mème temps que s’y joue la théatralisation des statuts et des postures.
La centralité de “la table” et ses arts, expression de l’art de vivre à la française, dit quelque chose de la culture de ce pays. La composition de cette table, y compris dans ses ingrédients, implique des absolus, comme l’alcool, que l’hote doit pourvoir à ses commensaux. C’est, parfois mème, à l’aune de la qualité de son vin que se juge le savoir-recevoir de l’invitant.
Alors, le vin faisant ses effets, les langues se délient…moyen de catharsis sociale, occasion, aussi, de se soustraire aux servitudes du quotidien, s’oubliant quelque peu, vivre une échappée qui met le monde “réel” à distance pour n’avoir que soi comme souci.
Alors, ne pas gouter de tous les mets, s’interdire un breuvage, situe l’intéressé dans un ailleurs qui le singularise.
Cette distanciation permet un regard décalé. Elle prive l’observateur, aussi, de tout ce qui aurait pu lui permettre d’éprouver, en intériorité, un véritable partage de ce moment.
Le Prophète a tracé une ligne droite !
De chaque côté de la ligne un mur !
Dans les murs aux aspérités, des ouvertures !
Il dit à ses compagnons.
La ligne droite c’est la voie de dieu !
Les murs c’est les orientations et les interdits !
Au fond de chaque ouverture un diable !
Qui chacun d’eux armé d’une passion !
A chaque ouverture vous entendrez un appel !
‘’Viens ce que tu cherches est avec moi’’ !
N’y répondez pas continuez tout droit.
Suivez ce qui est tracé, suivez la voie.
N’écoutez aucun appel de ces diables !
La voie tracé c’est la véritable foi !
Celui qui suivra ce que je lui dis, sera roi !
Satan s’est juré de vous perdre, et de vous égarer !
Si vous l’écoutez, vous perdrez la voie !
Vous perdrez la grâce, vous perdrez la foi !
Vous perdrez Dieu, son amour et sa loi !
Votre perte vous la tracerez vous-même !
Si vous ne suivez pas la voie que je viens de vous tracer !
Ainsi parla le prophète à ses compagnons !
Mais hélas en certaines époques après !
Certains s’engouffrèrent dans les ouvertures !
Ils s’entendirent avec Satan, ils eurent leurs cadeaux !
Diverses passions ici-bas !
La ligne tracée fut effacée à certains endroits !
Des déviants furent ajoutés !