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Capture d’écran : L’émission « Liman Yajroô faqat ».

« Nous partons vers le passé, un passé contenant une partie importante de l’histoire de ce pays », c’est ce qu’a promis Samir El Wafi à son audimat au début du dernier numéro de « Liman Yajroô faqat », diffusé dimanche soir à partir de 21h et jusqu’à 23h30 sur El Hiwar Ettounsi Tv. Son invité Seif Trabelsi n’est autre que le neveu de Leila Ben Ali et le frère d’Imed Trabelsi. Embarqué par le storytelling du supposé interviewé, l’animateur s’est égaré de l’objectif annoncé et il n‘a pas tenu sa promesse. Il s’est limité à ponctuer le discours de son interlocuteur par des commentaires frivoles. Pire : son émission a servi d’une tribune pour le relooking des Trabelsi, une occasion pour un rebranding d’une famille mafieuse.

Aucun intérêt pour l’information

Le ton est clair dès le début de l’entretien. El Wafi ne pose pas de questions. Loin d’être incitatives, ses répliques, souvent rhétoriques, s’apparentent plus à de simples commentaires d’un observateur lambda plutôt que des questions adressées dans le but d’acquérir des informations. El Wafi s’éloigne de plus en plus de sa promesse initiale. Les questions d’ordre économique et financier sont rarement évoquées dans l’émission. Et quand elles le sont, elles ne sont qu’effleurées d’une manière superficielle. En revanche, le plus grand intérêt est orienté vers les rapports humains qu’entretenait Seif Trabelsi avec les membres de sa famille. L’animateur n’interviendra que pour rebondir avec des interrogations sur le manque de notoriété des Trabelsi aux premières années du règne de Ben Ali et le début de la relation du couple Ben Ali. Il se focalisera ensuite sur les conflits conjugaux, les aventures amoureuses du dictateur déchu, les SMS coquins.

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Capture d’écran : L’émission « Liman Yajroô faqat ».

Le laxisme par rapport à la pertinence des informations présentées par l’émission se manifeste davantage dans les deux vidéos d’animations graphiques. Dans la première, présentant la famille Trabelsi et la situation légale de chacun de ses membres, les informations sont très approximatives. Certains objets de poursuites et chefs d’inculpation sont zappés. « Liman Yajroo faqat » a donc bien su alléger les casiers judiciaires des Trabelsi. L’invité rectifiera même l’une des données avancées par la vidéo en attestant qu’il n’a pas été relâché en s’engageant à « régler sa situation » (sic!) mais qu’il a bénéficié d’un non-lieu. De quoi se montrer dans la posture d’une victime diabolisée par son hôte. Quant à la deuxième vidéo portant sur la fortune de la famille de l’invité, elle se contentera d’en évoquer seulement une partie, celle inscrite dans un rapport de la Banque Mondiale. D’ailleurs, concernant la fortune de Belhassen Trabelsi, la vidéo se suffira de faire mention du solde de son compte bancaire secret révélé par l’opération Swiss Leaks.

L’invité dessine son autoportrait

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Capture d’écran : Seif Trabelsi dans l’émission « Liman Yajroô faqat ».

Profitant de la tribune –presque- libre qu’on lui a accordée, Seif Trabelsi se présente comme un exemple de piété et de bonne conduite : il fait la prière depuis l’âge de 16 ans, il a appris plus des deux tiers du Coran, il est contre les agissements de son oncle Belhassen et il n’a jamais tenu une clope dans sa main. D’ailleurs, selon ses propos, tout le clan Ben Ali l’appelait le « faqri » (traduction : attaché à la pauvreté, NDLR) à cause de la distance qu’il gardait des magouilles et de l’argent facile. L’animateur l’interrompra pour faire remarquer qu’il « n’a pas de trac » et pour exprimer qu’il est « étonné de le voir en pleine forme ».

Une fois son image établie par lui-même, l’invité tentera de redorer celle de son frère Imed. Les téléspectateurs découvriront donc, à travers les propos de Seif Trabelsi, un Imed « audacieux » qui défie Ben Ali, ce qui lui a valu des châtiments. Il s’agit aussi d’un Imed bienfaisant qui achète 700 moutons pour les pauvres à l’Aïd. En gros, le portait d’Imed Trabelsi dessiné par son frère est celui d’une sorte de Robin des Bois qui prend l’argent des riches pour en profiter, lui pauvre homme, ainsi que ses semblables. Quant à Leila Ben Ali, elle est présentée comme une repentie déprimée et rongée par le remord. Cité par Seif Trabelsi, Ben Ali exprimera, via cette tribune médiatique, qu’il s’agissait d’un putsch et non pas d’une révolution.

Seif Trabelsi redorera en suite le blason de sa famille par opposition à ses détracteurs. En présumant que « Slim Boukhedhir sent l’alcool », il s’érige comme un exemple de piété face à un des détracteurs de sa famille qui n’est qu’un ivrogne, un dépravé. Là, au-delà de son incompétence à diriger une interview comme il se doit, Samir El Wefi maintient cette querelle dans le montage final prêtant ainsi à son invité un pinceau de plus pour mieux dessiner son autoportrait.

A parts quelques secrets de polichinelle, l’émission n’a rien révélé sur ce « passé contenant une partie importante de l’histoire de ce pays ». L’animateur s’est heurté à plusieurs reprises aux connaissances limitées de son invité qui affirmera même qu’il « ne veut pas parler de sa situation personnelle ». Pour sa défense, Samir El Wafi déclarera le lendemain dans l’émission 24/7 retransmise sur la même chaîne, qu’il anime « une émission de variété politique », un genre qui n’existe pas.