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La Tunisie traverse actuellement une des plus graves crises de surendettement de son histoire, la plupart des économistes considèrent qu’elle menacerait la souveraineté même de l’Etat. Pour 2015, la part la plus importante des emprunts contractés par l’Etat ainsi que le plus grand poste du budget de l’Etat seront alloués au remboursement de la dette qui atteindra 47 Milliards de Dinars (52,9% du PIB) selon les estimations du Ministère des Finances.

Dernièrement, un prêt obligataire de 1 Milliard de Dollars contracté par l’Etat a soulevé un torrent de critiques vis à vis du gouvernement, aussi bien dans les milieux politiques qu’économiques, et pour des raisons on ne peut plus justifiées ; en premier lieu, de concert les experts ont souligné le caractère scandaleux du taux d’intérêt de l’emprunt (5,75%). En second lieu, ce prêt a été accordé en contre-partie de mesures d’austérité que le gouvernement devra prochainement appliquer. Et pour finir, l’Etat pouvait disposer d’autres ressources, notamment les avoirs mal acquis du clan Ben Ali, qui lui auraient permis d’éviter au gouvernement de recourir à ce prêt.

Aujourd’hui, c’est le contribuable Tunisien qui paye la facture, et c’est inadmissible.

Alors, la question se pose : au lieu de mener une guerre contre la corruption, l’évasion fiscale et l’économie parallèle, pourquoi le gouvernement préfère-t-il sombrer d’avantage dans un surendettement abyssal?

Plusieurs Milliards de dinars ne sont pas déclares à l’Etat, notamment dans es domaines suivants :

Les Revenus Pétroliers

Alors que la constitution Tunisienne stipule que « Les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien, la souveraineté de l’État sur ces ressources est exercée en son nom », le secteur des hydrocarbures demeure sous une grande opacité. Même le dernier rapport (n°27) de la Cour des Comptes n’était pas dans la capacité de fournir une information officielle sur les indices de la production pétrolière dans notre pays.

C’est dans ce contexte qu’au mois de février dernier le gouverneur de la Banque Centrale, Chedly Ayari, avait tiré la sonnette d’alarme concernant les irrégularités qui existent dans ce secteur. Il s’était étonné de l’absence de répercussion de la chute du cours du baril de pétrole (passé de 110$ à 50$) sur notre balance commerciale ainsi que sur les prix du pétrole et du gaz en Tunisie, en déclarant qu’il « n’a pas de réponse ni d’explications à la facture énergétique que paye le pays, même si on prend en considération la dévaluation du dinar tunisien ». Le gouverneur de la BCT a demandé en ce sens la création d’une commission d’expertise pour faire un full audit du secteur.

Pire, l’ancien ministre chargé de la Gouvernance et de la Lutte Contre la Corruption, Abderrahmane Ladgham, a récemment déclaré que « notre production pétrolière est nettement supérieure aux chiffres annoncés » et ajoute que « les sociétés exploitant ces champs (pétrolifères) ne déclarent que la moitié, voire le quart de leur production ».

En effet, l’économiste Mohamed Balghouthi révèle que la production de 60.000 barils/jour officiellement annoncée par l’Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières, est sous-évaluée par rapport à l’estimation faite par d’autres organismes internationaux (le rapport du World Factbook et Cygam Energy évaluent notre production entre 85.000 et 95.000 barils/jour).

D’après les calculs de Mr Balghouthi, les recettes non-déclarées à l’Etat sur la période 2012-2104 seraient de 2,5 Milliards de Dinars selon la production officielle et de 9,8 Milliards de Dinars selon la production officieuse (se basant sur le propos de Abderrahmane Ladgham). Il dénonce par ailleurs le fait qu’aucun rapport ou contrat sur l’exploitation de nos ressources naturelles ne soit rendu public.

 

Taxes Douanières et Economie Informelle

Si dans la conscience collective l’économie informelle est de l’apanage des contrebandiers agissant dans les zones frontalières, sur le terrain ce phénomène prend une dimension encore plus inquiétante avec l’implication des agents de l’Etat. C’est ce qu’a dévoilé l’affaire du Port de Sfax avec l’arrestation de deux agents de la Douane impliqués dans un trafic de feux d’artifices avec des hommes d’affaires de la région.

Cette corrélation entre les agents de la douane et l’économie informelle peut apporter une part d’explication à la faible contribution des taxes douanières aux finances de l’Etat. En effet, celles-ci n’ont pas pu dépasser les 810 millions de Dinars en 2014. Ce montant paraît dérisoire si on tient compte de l’ampleur de l’économie parallèle qui transite par nos ports et aéroports.

Selon Mourad Hattab, expert économique spécialisé dans la gestion des risques,

L’économie informelle pose des problèmes dramatiques, elle s’élève aujourd’hui à 40% du PIB, ce qui équivaut à près de 28 Milliards de Dinars.

Autant dire, un immense manque à gagner pour l’Etat qui lui aurait été d’un grand secours pour combler son déficit budgétaire.

La Fraude et l’Evasion Fiscale

S’il y a un autre domaine dans lequel l’Etat est entrain de perdre la bataille, c’est sur le terrain de la fraude fiscale (détournement illégal du système) et de l’évasion fiscale (utilisation légale des failles du système). Dans ce contexte assez alarmant pour les finances de l’Etat, l’ampleur des montants qui échappent aux caisses de l’Etat sont tout aussi importants que pour l’économie informelle.

Dans un article récemment publié dans le magazine Réalités, Mohamed Ben Naceur a fait une estimation des montants qui échappent au fisc. Pour la fraude fiscale, il affirme que

Les fausses déclarations des sociétés (impôts sur les sociétés non pétrolières) avec un montant qui s’élève à 1.000 millions de Dinars. Globalement, 40% du revenu réel des sociétés n’auraient pas été déclarés, dont 30% du fait de sous-déclarations et 10% grâce aux possibilités légale […] Sans tenir compte de la gestion des fonds spéciaux et d’autres formes de corruption et de mauvaise gouvernance, le montant qui échappe au fisc s’élève à environ 4 Milliards de Dinars, soit l’équivalent de 40% des recettes fiscales. Mohamed Ben Naceur, Fraude fiscale: La partie immergée de l’iceberg, Réalités.

Quant à l’évasion fiscale, l’auteur ajoute : « selon nos propres estimations les résultats montrent que le manque à gagner fiscal dû au régime forfaitaire s’élève à environ 1.200 millions de Dinars de recettes supplémentaires, soit l’équivalent de presque 10% des recettes fiscales ». A ce montant, on doit additionner les capitaux détenus à l’étranger par des contribuables tunisiens. Même si l’Etat Tunisien n’a toujours pas demandé un audit exhaustif des montants en question, on peut estimer que les 554 millions de Dollars révélés par l’affaire Swissleaks ne représentent qu’une part infime devant la multitude des banques offshore et des paradis fiscaux potentiellement utilisés par certains de nos concitoyens pour placer leurs capitaux.

Ainsi, si l’Etat se déciderait enfin à mettre en pratique l’arsenal juridique dont il dispose et d’employer les ressources nécessaires afin d’encaisser ces Milliards de dinars non-déclarés, il n’aura nul besoin de s’adresser aux instances internationales (le FMI et la Banque Mondiale) pour se sortir de cette crise et d’assurer une croissance saine et durable. La Tunisie peut prendre exemple du gouvernement Grec dirigé par Alexis Tsiparas, qui ambitionne de récupérer 7,3 Milliards d’Euros grâce à une reforme fiscale qui ciblera les oligarques et les barons de la contrebande Grecs.

Cette guerre que le gouvernement devrait mener lui procurera assez de ressources pour assurer ses dépenses de développement et sa création d’emploi. Il est aujourd’hui insoutenable de voir que le plus grand poste du Budget de l’Etat soit consacré au remboursement de la dette au détriment de la Recherche, de l’Education, de la Santé, et de la Défense.