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Halima Jouini, 58 ans, enseignante et membre du comité directeur de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, entame le 1er septembre 2015, sa deuxième grève de la faim pour revendiquer son droit à un logement décent. Affiliée à la sécurité sociale depuis 33 ans, Halima a loué en 1997 un petit studio à Menzah 6 dans un complexe résidentiel géré par la CNRPS. Depuis 2013, Elle essaye d’obtenir un appartement plus grand pour accueillir sa belle-mère malade. La CNRPS refuse la demande sous prétexte d’insolvabilité. Pour le comité de soutien de Halima, cette grève de la faim est le cri de détresse de nombreux tunisiens victimes de l’injustice de la Caisse qui attribue les logements sans respecter les critères d’éligibilité et en donnant la priorité aux hauts fonctionnaires qui sont loin d’être dans le besoin.

Placé sous le slogan « Un logement décent pour tous », le comité de soutien réunit la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates ainsi que des militants indépendants. Le collectif a organisé, jeudi 10 septembre, une conférence de presse au siège du Syndicat National des Journalistes Tunisiens pour éclairer l’opinion publique sur les dessous du dossier.
Le favoritisme encore et toujours
Depuis sa création, la CNRPS a construit des logements dans 25 complexes immobiliers résidentiels répartis sur tout le territoire. Le but initial de cette prestation est d’offrir, en location, des habitations aux assurés sociaux du secteur public et aux cadres de l’administration en mission dans les régions. Le règlement de ce service permet aux locataires de demander un meilleur logement en fonction de leurs besoins. En 2013, Halima Jouini, a suivi la procédure en justifiant son nouveau statut familial. Au bout de deux ans d’attente, la demande est refusée. Soutenue par la LTDH, Halima tente alors une médiation auprès du ministre des Affaires Sociales.

« Fin août, le ministre m’annonce que ma demande est enfin acceptée. En allant vérifier à la CNRPS, le PDG dément sa hiérarchie et m’informe que mon dossier est jugé, encore une fois, irrecevable. J’ai alors décidé d’entamer une grève de la faim, interrompue par une nouvelle promesse du ministre », Halima Jouini gréviste de la faim.

Basma Khazri, chargée des médias au sein de la CNRPS, affirme de son côté, que « la commission d’attribution des logements sociaux a pris sa décision en respectant les critères d’éligibilité. Lors d’une réunion avec Mme Jouini, il a été consenti qu’elle complète son dossier pour pouvoir bénéficier d’un nouvel appartement. Chose qu’elle n’a pas faite pour des raisons que nous ignorons. Nous sommes une institution publique régie par la loi. Nous ne pouvons pas faire du favoritisme ».

Le comité de soutien nie les allégations de la CNRPS et affirme que son dossier est complet. « Halima est dans les critères de la Caisse. En plus, les critères adoptés en 2012 ne garantissent pas l’égalité des chances entre les différentes catégories de fonctionnaires. Dans cette même citée, un gouverneur et un ministre louent des appartements alors que d’autres sont carrément vides depuis des mois. Les exemples de clientélisme sont nombreux dans ce dossier. Même après le 14 janvier, le népotisme et la corruption sont d’actualité. Aujourd’hui, le personnel de la caisse et des partis politiques au pouvoir monopolisent l’octroi des logements sociaux aux dépens des petits fonctionnaires qui sont dans le besoin », affirme Naima Rekik, militante des droits de l’homme et membre du comité de soutien.

« Après 33 ans de cotisations, je me retrouve sans vie sociale digne. Vivre dans une seule chambre avec mon mari et ma belle-mère malade est injuste. J’estime que mon droit à un logement décent est légitime et je ne céderais pas avant d’avoir obtenu gain de cause », s’indigne Halima avant d’appeler à l’ouverture d’une enquête sérieuse sur la corruption et le favoritisme dans la gestion des logements sociaux (CNRPS, SPORLS et SNIT).

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Les logements sociaux constituent 1,6% du parc immobilier

Salma Hamza, urbaniste et membre du comité de soutien explique :

Aujourd’hui, la classe moyenne est complètement marginalisée du système de production et d’accès au logement. En effet, les dispositifs d’aide qui lui étaient dédiés sont complètement détournés au profit d’autres catégories sociales plus aisées. Les logements dits sociaux qui de par leur conception et de leur système de financement sont plus adaptés à des catégories moyennes, car bancables et solvables, ont été pervertis par le clientélisme de toute sorte. Aujourd’hui, ces mêmes structures de production du logement sont en crise de reproduction et menacées elle mêmes de disparition à cause des prix du foncier complètement déchaîné et d’une incapacité des pouvoirs publics à aborder sérieusement la question du logement sous toutes ses formes.

Selon le ministère de l’Équipement, de l’Aménagement du territoire et du Développement durable, 30% de la population ne disposerait pas de moyens pour accéder à un habitat décent et 20% n’aurait aucune chance d’avoir un logement digne. Alors que l’État se désengage, progressivement du secteur (les logements sociaux constituent 1,6% du total des logements construits), près de la moitié des Tunisiens n’a pas accès à un logement décent. Menacés dans leur dignité, les candidats aux logements sociaux souffrent de la faiblesse de l’Etat en tant que régulateur du marché de l’habitat et des caisses sociales qui déclinent leurs demandes sous prétexte de leur insolvabilité.

La grève de la faim de Halima Jouini dévoile une autre facette de l’arbitraire administratif. Même si le droit au logement n’a pas été constitutionnalisé, son combat s’appuie sur les droits à la dignité, à la santé et l’égalité des chances, désormais considérés comme droits fondamentaux par la Constitution de 2014.