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Voyeuriste, populiste, aliénante, scandaleuse, méprisante… la liste des griefs contre la téléréalité est longue. Manne financière pour un patron de chaîne peu soucieux d’éthique professionnelle, casse-tête pour l’autorité de régulation, Andi Ma Nqollik pose problème. En matière de violence contre les femmes, la mise en spectacle de la détresse humaine peut basculer dans l’horreur que le concept de l’émission tend à banaliser. Retour sur un drame passé sous silence.

Sur un coup de fil

A seize ans, Ahlem compose un numéro de téléphone. Salah, 26 ans, est au bout du fil. Pendant des mois, ils discutent tous les jours par téléphone puis décident de se rencontrer. Amoureux l’un de l’autre, Salah demande la main de Ahlem. L’union est contestée par la mère de l’adolescente. Ahlem, originaire de sousse, fugue et se réfugie chez Salah à Sfax. Un an et demi après, nait leur fille, hors mariage. La mère d’Ahlem porte plainte pour détournement de mineur. En prison, Salah se marie à Ahlem. Il est libéré au bout de sept jours.

Au fil du temps, Salah se met à battre sa femme et l’oblige à mendier, en plus de la tromper. « Une fois, il m’a cassé les bras et m’a obligé à aller mendier le jour de l’Aïd devant une mosquée à Sfax », raconte Ahlem. Son calvaire dure près de deux ans. Un jour, elle prétexte une visite à sa mère pour quitter son mari.

« Une simple gifle ? Pas de coup de poing ni de coup de pied ? »

Sur le plateau, Salah est dans un premier temps offensif. Sa femme est fautive : elle a quitté le domicile conjugal. Il finit par avouer l’avoir giflée, une ou deux fois. « Une simple gifle ? Pas de coup de poing ni de coup de pied ? Seulement des gifles ? », interroge l’animateur.

Sur le plateau, la jeune femme cache mal sa naïveté. « Je vous aime », lâche-elle à l’animateur. « Quoi ? Vous m’aimez ? », répond-t-il en feignant la surprise, avant d’ajouter « Et moi je vous aime comme une sœur ». A plusieurs reprises, Ahlem demande le numéro de l’animateur qui ne manque pas l’occasion de détourner ses propos vers une possible trahison de son mari. Quelques minutes avant la fin de l’épisode, Ahlem tente de s’explique. Elle voulait son numéro pour lui parler d’un problème familial, croyant qu’il pourrait l’aider. Trop tard pour elle !

Ahlem n’a que 18 ans et elle aura tout vu. Elle rit, pleure et semble instable. La souffrance habite son corps. Elle déballe son calvaire mais tient bon et refuse de pardonner à son mari, pourtant l’animateur ne lâche pas.

  • L’animateur : Vous êtes une femme gentille. Vous avez une fille qui a un peu plus d’un an. Vous êtes mariée depuis un an. Vous voulez en faire une orpheline alors que son père est vivant. Salah semble conscient de son erreur et est venu s’excuser. Quand il demande le pardon et met fin à la procédure juridique à votre encontre, on peut lui pardonner. Dites-lui pardon Salah !
  • Salah : Excuse-moi et je ne referais plus ça.
  • L’animateur : C’est votre fille ?
  • Salah : Bien sur que c’est ma fille.
  • L’animateur : Pourquoi tu salis son honneur en demandant un test ADN ? Dites-lui que vous l’avez fait pour qu’elle revienne à la maison.
  • Salah : Ahlem j’ai fait comme ça pour que tu reviennes à la maison.
  • Ahlem : Je suis blessée…
  • L’animateur : Les blessures guérissent. Ahlem écoute-moi, vous êtes encore jeune et n’êtes pas en train d’évaluer à leur juste valeur les choses. Je ne veux pas que quiconque vous influence. Si votre mère vous dit de divorcer…
  • Ahlem : Ma mère n’a rien à voir là-dedans.
  • L’animateur : NON ! Ne faites pas cette erreur. Vous êtes encore jeune. Qui sera là pour vous demain ? Qui ?
  • Ahlem :
  • L’animateur : Oui mais pourquoi priver votre fille de son père ? Pourquoi ?
  • Ahlem : Je n’ai pas de mari. Il ne se soucie pas de sa fille.
  • L’animateur : Parle Salah.
  • Salah : Quand…
  • Ahlem : Je refuse Si Alaa de continuer à vivre avec lui.
  • L’animateur : J’ai une question pour vous.
  • Ahlem : Si je veux ouvrir les rideaux ? Ma réponse est non.
  • L’animateur : Quelle audace ! Wallah ! Bizarre.

Alaa Chebbi, ne perd pas espoir, il clôt son émission en demandant à Salah de l’informer s’il y a du nouveau au sujet de la réconciliation. Et en effet, il y en aura.

« Les cicatrices… un peu de maquillage et c’est fini »

L’émission a été enregistrée le 15 mars. Huit jours après, Ahlem a été balafrée par son mari. Elle s’en sort avec 57 points de suture. Elle est réinvitée sur le plateau de Andi ma Nqollek, diffusé le 9 avril 2015.

L’épisode commence par un long discours de l’animateur, sur l’audace-de-la-téléréalité-à-traiter-des-problèmes-sociaux « Ce programme reçoit beaucoup de critiques et nous savons pourquoi. C’est un grand programme. S’il existe depuis sept ans, c’est parce que la société a de grands problèmes. Mais nous avons pour chaque question, une réponse. La dernière fois, si vous vous rappelez, personne ne parlait suicide en Tunisie. Tous les médias font ça : je ne vois pas, je ne parle pas et je n’écoute pas. Nous avons amené une femme dont la fille s’est suicidée. Et tout d’un coup, ils ont tous été surpris […] pourquoi vous n’en parliez pas ? Quand nous en avions parlé à Andi ma Nqollek, le programme le plus vu en Tunisie, tous ont été surpris. Alors des gens rusés ont dit : Après que Andi ma Nqollek en a parlé, il y a eu au moins 17 suicides. Ce n’est pas vrai, nous n’avons invité cette femme qu’après qu’il y ait eu 50 cas de suicides. Nous ne sommes pas abrutis […] Nous sommes des journalistes ».

La jeune femme est décrite comme « زوالية في مخها » [simple d’esprit]. Il conteste la décision de la Haica interdisant la rediffusion du programme. Il rejette toute responsabilité de l’agression d’Ahlem. Il va plus loin : « Elle a été balafrée parce qu’il voulait lui prendre sa fille. Il est allé la voir la veille de son procès au tribunal et lui a demandé de retirer sa plainte. Elle n’a pas voulu. Il l’a balafré. Le sujet n’a rien à voir avec l’émission et d’ailleurs Ahlem est là ».

Ahlem est sur le plateau, mais c’est une autre femme. Les yeux baissés, la voix cassée, elle est drapée dans un foulard qui cache mal le grand sparadrap plaqué sur sa joue droite. Le 23 mars 2015, elle s’était rendue à Sfax pour récupérer sa carte d’identité. Souhaitant rendre visite à sa belle-mère malade, elle appelle Salah qui l’accompagne et lui demande de retirer sa demande de divorce. Il la supplie de rester chez lui. Ahlem refuse. Salah lui taillade la joue. Depuis, il est en prison.

« C’est le destin. C’est un homme qui ne sait pas discuter et qui ne peut que battre. Ce qu’il a fait, c’est de la violence conjugale […] Vous êtes la victime d’un mari violent », explique l’animateur comme pour se rassurer et éclairer tardivement son l’audience.

Ahlem était, dès le départ, victime de violence conjugale. Ce n’est pas en la balafrant que Salah s’est révélé violent. Pourtant, l’animateur savait que la jeune femme était victime de violence dès son premier passage à la télévision. A l’époque, il n’a cessé d’essayer de la convaincre de regagner son foyer familial. Salah n’était-il pas assez violent ?

Pour clore l’épisode, rien de mieux que de la charité pour taire la détresse d’Ahlem. L’animateur promet de financer une opération de chirurgie esthétique, dès que possible. « Il n’y a aucun problème. Ce n’est pas parce que vous êtes venue sur ce plateau, mais parce que votre mari vous a balafré […] Les cicatrices ne partiront pas mais vont s’estomper. Et puis les femmes, c’est simple pour vous, un peu de maquillage et c’est fini. Si c’était un homme ! […] Cette femme est pauvre [زوالية] et c’est notre sœur et elle mérite de l’aide. Si vous voulez l’aider, nous vous donnerons son numéro ».