Issam Dardouri et Naoufel Ouertani ont été convoqués à comparaitre. L’invité a été arrêté. L’animateur, laissé en liberté. L’investigation se poursuit. A l’origine de l’ouverture de l’enquête, la diffusion d’une vidéo d’un présumé terroriste de retour sur les lieux où un groupe djihadiste, impliqué dans l’attaque du Bardo, cachait ses armes. Une affaire symptomatique des couacs de la nouvelle République.
Après son passage dans « Labes » le 23 janvier, Issam Dardouri, président de l’Organisation Tunisienne pour les Forces de Sécurité et le Citoyen (OTFC), a été convoqué le 04 février, par l’unité nationale d’investigation dans les crimes terroristes relevant de la Garde nationale. Mis en détention suite à sa comparution le 06 février, son affaire a suscité la polémique et a été contestée notamment par la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH). Egalement convoqué, Naoufel Ouertani, animateur de l’émission, a comparu, le 09 février, en tant qu’accusé, au même titre que son invité. Il a été relâché après avoir déposé une demande à ce sujet. D’après leur avocat Imed Ben Halima, Dardouri et Ouertani sont poursuivis pour « violation du secret d’enquête et révélation de ses indices » ainsi que « la participation à l’entrave des poursuites contre les terroristes ».
Dilemmes des autorités
Dans cette affaire, un grand cafouillage juridique se manifeste. Normalement, Ouertani ne devrait pas être poursuivi en justice en vertu du code pénal ou de la loi anti-terroriste. En tant qu’instance de régulation, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) devrait être la seule à intervenir en cas d’infractions relatives aux programmes diffusés par des chaînes tv. Les rapports entre la HAICA, Ouertani et El Hiwar Ettounsi, aussi conflictuels soient-ils, ne devraient pas servir à déposséder le régulateur de ses prérogatives. Quant à Issam Dardouri, l’invocation de la liberté d’expression n’est pas aussi évidente dans la mesure où dans les pays soucieux de légalité institutionnelle, le port de l’uniforme est intimement lié à l’obligation de réserve. Le hic, c’est que le dispositif actuel en matière d’apparitions médiatiques des agents et des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur est anachronique. Réfléchir et réformer est une nécessité plutôt que se contenter d’utiliser certaines lois comme une épée de Damoclès au gré de la volonté des seigneurs de la bâtisse grise. Ils abusent ainsi de leur pouvoir d’appréciation au point de laisser place à l’arbitraire.
Supplices de l’information
Cette affaire est symptomatique de certaines défaillances, notamment ceux de la communication des corps sécuritaires et des institutions judiciaires. Souvent frappées par un mutisme intrigant, les autorités ont été fidèles à leurs habitudes dans cette affaire. S’appuyant généralement sur les communiqués des «réussites sécuritaires» et les rarissimes conférences de restitution de travaux et d’annonce de bilans, les journalistes en quête d’informations se retrouvent souvent dans des impasses, quand ils ne sont pas intoxiqués par les officines sécuritaires. Et quand ils enfoncent des portes, ils se retrouvent sous le coup de lois obsolètes ou liberticides. Ainsi, les médias sont livrés à une seule source : les avocats des accusés. Les mauvais choix communicationnels des autorités deviennent donc le calvaire des journalistes. Entre le marteau et l’enclume, entre le mutisme des corps sécuritaires et leur tendance à entraver la libre circulation de l’information à travers un arsenal législatif répressif, les journalistes sont contraints à jouer le rôle de simples artisans de la propagande. Sinon, ils se retrouvent ciblés par un harcèlement judiciaire sans fin. Par conséquent, le grand perdant demeure le citoyen, privé de son droit à l’information.
L’affaire « Labes » est aussi symptomatique d’une autre problématique à régler loin des tribunaux et des salles d’interrogatoire. Il s’agit du traitement de questions épineuses par des émissions de divertissements. La justice transitionnelle, les controverses théologiques, les contestations sociales ou encore la lutte anti-terroriste, comme dans le cas présent, sont fréquemment traités par des émissions de divertissement. Peuvent-elles le faire correctement ? Absolument pas. Qu’est-ce que les unités d’investigations peuvent apporter dans cet imbroglio ? Absolument rien.
C’est au débat public et à l’autorité de régulation d’amener les animateurs de telles émissions à assumer leurs responsabilités éditoriales et sociales plutôt que les réfuter. Une autorité de régulation, elle-même, entre le marteau et l’enclume, les campagnes médiatiques de dénigrement à son encontre et ses prérogatives sapées par l’exécutif.
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