Views-Of-Tunisia

Pendant longtemps, la Tunisie a été confinée dans l’image du petit paradis touristique véhiculée par les cartes postales. Depuis 2011, une nouvelle étiquette s’ajoute, à savoir celle du pays – berceau du printemps arabe. Consciente de la nécessité d’un état des lieux, la Maison de l’Image lance en mars 2013, un appel pour la réalisation d’une exposition photographique intitulée « Views of Tunisia ». Le 24 janvier 2016, le résultat est enfin dévoilé.

Parmi une quarantaine de photographes tunisiens sollicités, vingt-quatre se sont engagés à dresser une cartographie inédite et sans concessions de la Tunisie, grâce au savoir-faire photographique..
« L’idée est de créer une série de 24 livres photographiques pour chacun des gouvernorats tunisiens, sous forme de carnets de voyage. Une invitation à la découverte d’un autre visage de la Tunisie. Voilà cette région comme la voit le photographe. Ce qu’il y voit comme richesse à exploiter et problématiques à étudier. Ainsi, nous incitons les autorités et les originaires de la région à y remédier », explique Wassim Ghozlani, photographe et directeur artistique du projet.

Views Of Tunisia, Kairouan, 2013 © Yassine Gaidi, courtesy of Maison de l’Image

De styles, d’expériences et d’âges différents, armés d’un support (téléphone portable, appareil photo…), les photographes partent à la quête d’une image aussi sincère que simple. Avec des approches différentes, ils parcourent les entrailles de leurs destinations pour imager une Tunisie « différente » et reviennent avec plus de 7000 photographies. L’exposition est composée de 24 photos, une pour chaque gouvernorat et un diaporama de 3 photos supplémentaires. Dans une étape ultérieure, la Maison de l’image compte rassembler 60 photos par gouvernorat, édités sous forme de carnets de voyage.

Ce que les spectateurs peuvent voir dans l’ exposition n’est qu’une petite partie du projet. Dans l’expo, certaines photos sont exposées en triptyques ou polyptiques. Le choix des formats a été fait par rapport aux techniques utilisées par certains (instagram, polaroid, téléphone portable…) ne permettant pas d’agrandir les tirages, ajoute Wassim Ghozlani.

Portraits, paysages, no man ‘s land ou nature

« Views of Tunisia » offre une variété photographique intéressante qui, de par certaines images, confère un caractère documentaire à l’exposition. Si certains des photographes ont opté pour des plans d’ensemble obliques, d’autres sont allés piocher dans le détail. Portraits, paysages, no man ‘s land ou nature, une certaine fraîcheur se ressent au niveau de certaines prises ayant rompu avec un modèle « touristique », qui, à trop vouloir embellir, n’a fait que renforcer l’artificiel. Loin des cadres figés et sans vie, l’ensemble des photographies compose une mosaïque d’une Tunisie plurielle. Dans cette fresque vivante de la Tunisie, l’exposition tente de restituer une harmonie et un équilibre entre le beau et le réel, à travers différentes façons de voir le pays.

Nous n’avons pas cherché à rompre avec l’ancienne génération de photographes et leur philosophie. L’idée était de faire un mixe entre différentes générations, garder les différentes visions. Il y avait des photographes qui utilisaient Instagram et d’autres des appareils photos argentique. Il est très important qu’ils apprennent les uns des autres. Assurer une continuité avec un nouveau regard et montrer qu’anciens ou novices, il est possible de cohabiter, ajoute Wassim Ghozlani.

Confronté à des lieux de mémoire

« Views of Tunisia » n’hésite pas à intervenir sur l’ambiance de ses photographies au risque de porter un aspect publicitaire. Les modifications faites sur le réel semblent être une transfiguration du banal qui s’offre, constamment, à nos yeux. Que ça soit des prises de plages paradisiaques, de désert solitaire, de ruines édifiantes ou des traces de la révolte populaire, les œuvres zooment sur les multiples facettes d’une ville, d’une microsociété, d’un vécu, d’un métier, d’une mémoire… La certitude d’être confronté à des lieux de la mémoire collective du pays souffle dans la salle d’expo. D’une image à une autre, le lieu de mémoire va de l’objet le plus matériel et concret, situé géographiquement, « une plage de Ben Arous », à l’objet le plus abstrait et intellectuellement construit, « le métier de tissage à Gafsa ».

Les mémoires sont parfois construites, oubliées, occultées, instrumentalisées, déformées et ainsi mises au service d’une lecture politique du passé historique. « Views of Tunisia » apparaît comme un outil pertinent pour réenvisager ces lieux. Une photographie éphémère d’« un mur en brique avec une vache en plein milieu de Sidi Bouzid » , donne, systématiquement, naissance à un mur définitif dans la perception. Par ailleurs, « le pont de Bizerte » et « les hauteurs de Jendouba », nous rappellent que la Tunisie n’est pas que friche. Puis, « un tronc d’arbre mort à Seliana » vient solliciter le public : Comment un si petit terrain vide peut-il générer autant de sentiments négatifs tel que la solitude, le dégoût, l’ignorance, voire la peur ? Comment amener le villageois à s’intéresser de nouveau à son environnement ?

Noir et blanc ou couleurs ?

Views Of Tunisia, Siliana, 2013 – © Douraid Souissi, courtesy of Maison de l‘Image

Si le noir et blanc semble plus épuré, plus graphique, privilégiant lignes et volumes, les couleurs sont plus racoleuses. Les contre-arguments ne manquent pas : Le noir et blanc n’est qu’une transposition d’un univers que nous percevons en couleur, la couleur, qui est forte, signifiante et graphique est plus difficile à réaliser qu’il y paraît. « Views of Tunisia » vagabonde entre ces deux univers. Le noir et blanc serait un reliquat passéiste, l’expression d’une nostalgie d’une époque révolue, comme dans la photo « du colisée d’El Jem » ou une référence à un passé perdu, dont on ne peut, ni veut se défaire.

En revanche, dans la photographie du « Street Art à Kairouan » celle du « Du siesteur de Testour- Béjà » les couleurs sont porteuses de sens. Elles apportent quelque chose d’indispensable à l’image. Le jaune ocre fait écho à la couleur des murs de Kairouan, le rouge à celle des terres de Gafsa . Dans ces prises, on ne cherche plus les lignes et les volumes mais les sensations.

Cette exposition itinérante de ce panorama photographique, accompagnée par les carnets de voyage, se déplacera à la fin du mois de février dans sept gouvernorats : Sidi Bouzid, Kasserine, Kairouan, Béjà, Jendouba, le Kef et Siliana.