traffic-armes-tunisie-douane

Qui n’a pas encore entendu parler du conteneur rempli « d’armes » saisi par la Douane Tunisienne ? Une opération d’envergure qui montre le «nouveau visage de la douane» comme l’a martelé Adel Ben Hassan sur tous les plateaux TV ? Retour sur une campagne d’intox qui cache mal les dysfonctionnements des services de l’Etat mais aussi les dérives des médias dominants.

Mardi 9 février l’information fait déjà les gros titres. Un véritable « arsenal de guerre » découvert à Nabeul dans un conteneur d’un ressortissant Belge installé depuis peu en Tunisie. La liste est longue, quantité d’armes et de munitions, une arme de guerre, un drone, du matériel de plongée, etc. Pendant trois jours, présentateurs, animateurs et experts autoproclamés ont devisé sur l’étendue de la découverte, sa dangerosité et la menace qu’elle représente.

Un étranger, des armes, des yachts, le renseignement de la douane opérant jusqu’en Belgique; tous les ingrédients pour des scénarios plus sophistiqués les uns que les autres, repris en boucle par les médias dominants.

« Un bazooka plus un drone ça peut faire un attentat spectaculaire »

Sur Al Hiwar, Mariem Belkadhi, se distingue encore une fois en basculant dans la surenchère au lieu de vérifier les faits. Entourée d’une pléiade d’invités triés sur le volet, l’animatrice reviendra sur l’affaire trois jours d’affilée.

En tête de gondole Mondher Thabet, ancien dirigeant du PSL, un micro parti de l’opposition alibi à Ben Ali, présenté comme activiste politique. Pour Thabet, le drone est pour espionner les mouvements des troupes, et peut aussi être utilisé dans des opérations terroristes. Il n’hésite pas à affirmer qu’un étranger ça rappelle les snipers mercenaires du temps de la révolution.

On nous parle d’une arme de guerre ça peut être un bazooka, un bazooka plus un drone ça peut faire un attentat spectaculaire, renchérit-il.

Le général de l’armée à la retraite, Mohamed Mzouri enchaine sur les efforts pour contrôler les frontières terrestres, qui doivent désormais inclure les arrivées portuaires, nouveau modus operandi pour l’entrée des armes en Tunisie. Il ajoute que cette prise spectaculaire est à mettre dans le tableau de chasse de la Douane.

Aleyaa Allani, historien du mouvement national mais « spécialiste des groupes islamistes », avance deux hypothèses : soit le conteneur est sorti et ceci sous-entend d’énormes défaillances des services de la douane. Soit il a été sorti pour le suivre, et connaître sa destination finale.

La correspondante d’Al Hiwar interviendra à plusieurs reprises en direct du port de Rades (alors que le conteneur a été intercepté à Nabeul) pour donner un effet de vérité aux supputations de Meriem Belkadhi et ses invités.

Le 10 février, un reportage a endossé à la lettre les informations données à la conférence de presse par le directeur général de la douane, qui annonce l’arrestation de complices. Le 11 février, après un énième reportage sur la question, les “experts” continuent à pleuvoir. Amal Belhadj Ali, rédactrice en chef d’un site d’information, appuie la thèse 007 en affirmant :

Je crois et ne remets pas en question ce que déclare la douane, je sais qu’ils mènent des opérations secrètes dans différents pays et qu’ils ne peuvent pas trop en parler. La preuve c’est qu’ils ont suivi l’information qui leur est parvenue.

Walid Jallad député (Al Horra) proche de mohsen Marzouk, évoque la version d’un plan d’assassinats ciblés sur une zone côtière, avec pour plan de fuite la mer. Les pièces à conviction mènent logiquement à cette constatation. A tout seigneur tout honneur, Adel Ben Hassan le DG de la douane sera reçu pendant 20 longues minutes où il reprendra en boucle l’épopée de la saisie historique devant une Meriem Belkadhi ébahie.

James Bond et les menottes en fourrure rouge

Pourtant, dès le 9 février une brève de trois lignes sur le site d’Echourouk met en doute la version officielle et le caractère factice des armes. Le vendredi 12, un blog a déchiffré preuve à l’appui, le contenu déballé aux caméras par les douanes. Et le résultat est édifiant, le conteneur d’armes ne contenait en définitif qu’une seule et unique arme : un revolver Glock 9mm. Le reste ? Des armes de jeu, leurs munitions, des pièces d’un ULM radiocommandé en piteux état et même deux paires de menottes factices couvertes de fausse fourrure rouge et noir.

L’information ne fait pas grand bruit. Encore une fois, c’est le site d’Echourouk qui apporte une note dissonante en évoquant la possibilité que les armes saisies ne soient que « des jeux d’enfants ». Mais samedi matin, les médias dominants exultent. Le dossier a été transféré au pôle anti-terroriste. Jusqu’au mercredi 17 fevrier, la pression médiatique continue, d’une manière sporadique, à diffuser les informations toujours exclusives sur « l’évolution spectaculaire » du dossier et autres « révélations dangereuses ».

La libération de l’homme d’affaire belge ce jeudi et le renvoi du dossier au procureur de la République de Nabeul « pour absence de tout lien avec le terrorisme », annoncent la fin du thriller de série B. Les médias qui ont joué la surenchère vont-ils présenter des excuses pour avoir induit en erreur leurs publics ? Ils le doivent, s’ils ont le moindre respect pour le métier qu’ils prétendent exercer : le journalisme.