Dimanche 13 mars a eu lieu l’avant-première du film « Hedi – نحبك هادي » à la salle Le Colisée, à Tunis. Une occasion, de mettre des visages réels sur ceux virtuels des personnes qui ont fait valser la toile au mois de février, en apprenant qu’un film tunisien était nominé à la 66ème édition de la Berlinale, Festival International du Film de Berlin qui comme son nom le laisse entrevoir, se passe en Allemagne, depuis 1951. Ces personnes sont l’équipe du film réalisé par Mohamed Ben Attia, coproduit par Dora Bouchoucha, Jean-Pierre et Luc Dardenne et Nadim Cheikhrouha, avec dans les rôles principaux Majd Mastoura et Rim Ben Messaoud.
La consécration de « نحبك هادي » à Berlin est une admirable, étonnante et surprenante grâce pour le cinéma tunisien. Il est légitime que les Tunisiens la reçoivent comme une bénédiction, d’où l’effervescence du net tunisien à l’annonce de la nouvelle.
Avec le Festival de Cannes et la Mostra de Venise, la Berlinale est l’une trois principales rencontres compétitives de cinéma international. Obtenir l’Ours d’argent (la plus haute distinction) du meilleur acteur pour Majd Mastoura, et le prix du meilleur premier film, décerné par un jury indépendant, est plus qu’une belle faveur pour la première œuvre de Mohamed Ben Attia, autodidacte, venu au cinéma par la passion et non par la formation académique.
Du réalisme sans fioritures
Le film, actuellement en projection publique, remplit les salles obscures de la capitale et d’autres villes. Ce sont d’abord la sobriété et la délicate élégance de l’affiche du film qui marquent le spectateur. Une composition asymétrique entre un personnage littéralement englouti par son assise et une retenue avec un charisme affirmé. Une conjugaison de valeurs superposées sur un fond uni et opaque.
Du réalisme sans fioritures qui concilie le naturalisme originel du cinéma et la nécessité de produire des idées. Cela n’est pas étranger à l’univers des frères Dardenne, que l’on retrouve à la coproduction. Ces deux réalisateurs belges dont les films réalistes et militants ont été primés dans le monde entier. Nous retrouvons leur style, leur touche, qui va au-delà du réalisme, pour signer une esthétique réaliste. Mohamed Ben Attia filme l’être de Hedi et non pas Hedi. Il le mène, petites touches par petites touches, vers sa subjectivité.
Le film commence par une scène où le personnage principal « Hedi », agent commercial, sert sa cravate, avant d’aller prospecter des futurs clients. Nous sommes d’emblée plongés dans une rythmique et un mécanisme spécifique au film qui, à haute voix, veut soutenir une critique sociétale précise. Celle-ci se développe suivant l’angle d’approche de ce jeune homme, Hedi, qui croule sous le poids des autres. Celui de sa mère, castratrice, celui de son employeur, opportuniste et celui de la société où se cristallise la soumission de Hedi.
Pourtant, malgré sa sujétion, sa servilité ou au mieux son extrême discipline et/ou timidité, malgré ses longs silences assourdissants, dés le début du film, nous sentons son personnage libre. Il dessine dans les réunions. Il écoute derrière les portes. A quelques jours de son mariage, alors que les hommes de la famille prient pour lui et que les femmes rivalisent de hululus, Hedi est au café et n’en a que faire de tout ce monde qui s’agite autour de lui, mais sans lui.
De la critique du système social qu’instaure le réalisateur comme toile de fond pour son œuvre cinématographique, un véritable traitement de l’hypocrisie autour du mariage s’opère. De cause, il devient conséquence. D’outil, il devient moyen.
A côté de ce mensonge, s’installe une vérité paradoxale, la relation « adultère » et « hors système » que vit Hedi avec Rym dont il fait la rencontre à quelques jours de son mariage, dans un hôtel de Mahdia où Rym est animatrice. Ils vivent alors une relation brève et passionnelle qui va le révéler à lui-même. Entre Rym et Hedi, la connexion est pure. De courte durée, elle reste le temps qu’il faut pour permettre à Hedi de se dégager des pesanteurs sociales.
sans crissements, sans douleurs
Pour le reste, la réaction du public lors de la projection du film nous a particulièrement interloquée, pour deux raisons. Le film qui traite d’une infinité de tares sociales, désire vraisemblablement les poser sur la table pour engager un débat. Face à cela, le public s’est permis de commenter en direct, et comble du comble, de ricaner alors que le film lui jette à la face les mimiques et gestuelles de sa propre comédie sociale, ici esquissée au-delà de l’usure. Une question s’interpose alors entre l’écran et le spectateur : pour lui, y a-t-il obligation de rigoler ?
Dans le film, avec toutes ces tergiversations de l’âme et de l’être, le réalisateur a l’art de passer d’une situation à une autre sans crissements, sans douleurs. L’image, sans chichis, se veut plastique, et les lumières changent avec les situations. La palette colorée du film est, dans l’ensemble, sablonneuse, comme la dominante kairouanaise, région dont Hedi est issu.
De plus, نحبك هادي, est un film qui est certes réaliste par son aspect conceptuel, mais qui présente à bien des égards des détails qui font de lui ce tout si particulier, qui dépasse la simple lecture réaliste. Comme son langage qui y est très justement choisi avec des automatismes linguistiques typiquement tunisois. Ou encore ces scènes, nombreuses, ou le décor bouffe littéralement le personnage, le paysage et l’environnement qui l’assiègent. Un no man’s land où le sable, la terre et la mer paraissent supérieures.
Les voitures y roulent beaucoup. L’on voit des bornes, des routes, des autoroutes. Tel un road-movie, le rythme et son tempo nous gardent en haleine. Les images et les sons y sont également singuliers, ils se croisent et s’entrecroisent, sans jamais se rencontrer. Le bruit des klaxons de voiture et le bruit des portières fabriquent un collage interpellant avec les différentes facettes du visage du personnage principal, Hedi, toujours blême. Avant qu’il ne s’éclaire dans les bras de celle qui va le ramener, doucement mais violemment vers sa liberté d’être.
Si certaines transmissions semblent passées car nous sentons leur utilité soit par l’intelligence du propos soit par la mise en forme, d’autres paraissent parachutées et totalement gratuites comme la scène de la fête d’El Hizb cérémonie typique d’El Mahdia où Rym emmène Hedi, l’on ne comprend pas très bien pourquoi. Ce Hizb Issaouia est une fête traditionnelle où jeunes et moins jeunes dansent sur des chants sacrés et profanes, jusqu’à la transe. Une occasion pour le réalisateur d’injecter un peu de folklore, celui-là même que nous étions si enchantés, jusqu’à cette scène, de ne point retrouver dans un film tunisien à grande affiche.
Construit sur une narration précise et une chronologie des événements, le film finit trop brusquement, entrainant par là même un déséquilibre total entre les parties. Un écran noir arrivé trop rapidement et de manière trop arrêtée.
Toutefois, sans grande pompe, dans une véritable humilité, « Hedi- نحبك هادي » rénove le cinéma tunisien. Malgré quelques non-sens et incompréhensions passagères, sa critique sociale évite de tomber dans la veine caricaturale qui aurait certainement porté préjudice au film.
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