Je m’interroge. Pourquoi l’expression « On n’arrête pas le progrès » n’a-t-elle pas son envers ? C’est un manque. Une lacune certaine de la langue française qui s’avère ainsi incapable de décrire la situation tunisienne. « On n’arrête pas le regrès » (l’antonyme de progrès), voilà l’expression qui conviendrait. Chaque jour une nouvelle actualité nous en donne le témoignage.

Nul besoin pour en attester d’évoquer la grande politique, si tant est que nous aurions le droit de qualifier ainsi les criailleries des insectes politiques qui s’entredévorent pour briller au sommet d’une pyramide de quinze centimètres de hauteur. Il suffit pour signifier l’involution chronique qui nous consume depuis les dernières élections, au moins, d’observer la mesquinerie des manœuvres des uns et des autres dans des sphères où la plus modeste pudeur devrait les interdire.

Les JCC, par exemple. J’en ai déjà parlé la semaine dernière pour relever une grosse incongruité : l’inauguration de cette manifestation culturelle par un Premier ministre qui est l’antithèse de la culture.

Je n’imaginais pas alors que nous irions encore plus loin dans l’indécence. Eh bien, nous y sommes allés. Et en courant. J’aurais bien aimé trouver un terme qui décrive l’action de ramper très vite, quelque chose comme courir en rampant ou ramper en courant, en y ajoutant l’idée d’une absence totale de honte et de scrupule. Dire en un mot ramper très vite et sans honte, la bave aux lèvres et l’ambition au cœur. Je ne sais pas si un tel mot existe mais je suppose que vous m’avez compris.

Nous sommes tombés bien bas. Quand je dis « nous », ce n’est évidemment pas de nous dont je parle. Je pense à la direction des JCC qui a jugé opportun, selon ce que je lis dans un de nos principaux quotidiens, d’offrir au président de la République un Tanit d’or à l’occasion du cinquantenaire des JCC. J’entends de loin venir l’argument-alibi : ce n’est pas à la personne de Béji Caïd Essebsi qu’a été offert ce Tanit d’or mais au corps présidentiel qui représente tous les Tunisiens.


Désolé, les amis, cette rhétorique ne prend plus. Nous ne sommes pas très malins, certes, mais nous avons quand même assez de jugeote pour savoir qu’il y a là un soutien politique à une personne et un clan politiques bien particuliers. Mais non, que dis-je ? c’est peut-être plus triste encore, la queue du chien un temps raidie par la révolution qui retrouve sa courbure initiale pour s’incliner devant le pouvoir parce que c’est le pouvoir, une simple et sale déclaration d’allégeance comme celles qui se sont portées sur Bourguiba et Ben Ali et qui se porteront sur tous nos futurs dictateurs quelques soient leurs orientations politiques. « C’est la première fois que le cinéma rend hommage à un président de la République », aurait déclaré fièrement le directeur des JCC qui sera peut-être un jour ministre. Cette première fois est une fois de trop.