Par Houssem Hablani
6 janvier 2011, était à mon avis une date très importante dans l’histoire de la révolution tunisienne. Pour qu’elle ne soit pas engloutie par l’oubli, je vais l’arracher de l’équinoxe et la mettre au jour.
Nous étions entre mille et deux milles étudiants, rassemblés derrière les remparts de la faculté des lettres et des sciences humaines de Sousse. La révolution s’était déjà déclenchée et l’émotion atteignait des sommets après l’annonce du décès de l’homme immolé. Chacun de ces deux milles était prêt à devenir un kamikaze. Devant nous quelques dizaines de policiers armés, rangés en lignes et colonnes, attendaient depuis très tôt les ordres.
Je me rappelle bien, même très bien du brouillard funeste qui avait rendu le monde plus triste et mélancolique. A ce moment là je me suis rappelé la grande gloire attendue depuis longtemps. J’ai senti la sueur délicieuse d’un prisonnier voyant les portes de la liberté s’ouvrir devant ses émotions. Sur terrain, il n’y avait que poussière mélangée par les bruits et les agitations corporelles, nos cœurs qui battaient fortement et le regard fixé sur le but décourageaient la gendarmerie qui hésitait encore face à notre volonté.
Des slogans, des cris, des agitations, des insultes, des applaudissements… Toutes les démarches étaient pour préparer la grande émergence, la confrontation qui bouillait… Les chuchotements à travers lesquels un mot d’ordre circulait, les averses qui refroidissaient l’atmosphère brûlante et la boue glissante comme sorti d’un magma, formulaient le climat magnétique et effervescent.
Le premier cordon formait une chaîne solide par les camarades les plus à même de défendre les manifestants contre l’attaque des policiers. Les agitateurs portés sur les têtes attisaient la révolte jusqu’au bout et les siffleurs rendaient l’atmosphère plus spectaculaire. Nous avons continué à marcher, laissant derrière nous l’édifice gigantesque de notre belle faculté, se dirigeant vers les rues, vers la guerre ouverte pour la liberté. Les forces de l’ordre commençaient à bouger, décidés de ne nous épargner aucune force pour nous disperser.
Au moment où les camarades du premier cordon commençaient à sentir l’impact de la force policière, ils reculèrent en faisant reculer avec eux toute la foule effrayée de voir les matraques, les boucliers et les pistolets de lacrymogène tirés sur elle. Quelques secondes plus tard, la confrontation. La police armée ou non a franchi le portail de la faculté, investi la cour, tandis que nous avions ramassé des pierres, des bouteilles en verre et nous les lancions sur les agents qui avaient tiré sur nous une pluie de bombes lacrymogènes.
Les larmes aux yeux, asphyxiés, à moitié évanouis, nous avions poursuivi la bataille. Notre but était de libérer l’espace de la faculté et puis sortir par la grande porte vers les rues adjacentes. Nous nous acharnions encore, l’envie de briser les chaînes nous portait contre tous les obstacles. Nous nous somme réorganisés pour former un autre cordon, mais le gaz qui était partout nous dispersait davantage. Plusieurs étudiantes s’étaient retirées, se cachaient dans les toilettes et les salles de classe en silence et les étudiants trop fatigués avaient baissé les bras. Notre foulé avait fondu et notre but s’évaporait. La faculté devenait une prison investie par l’envahisseur. Beaucoup d’entre nous étaient arrêtés par les agents cagoulés, d’autre étaient blessés et l’armée de l’ordre avait finit par nous assiéger à l’intérieure de l’édifice.
Au départ nous étions deux milles et vers la fin nous sommes devenus une cinquantaine assiégés mais fiers. Nous n’avions pas franchi les grands murs de la faculté, mais c’était notre baptême de la liberté.
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