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Par Bouchadakh Aida, Economiste,
 
Vous vous rappelez sans doute ce jour mémorable, ce jour où le peuple tunisien, de tout bord politique, s’est amassé devant le ministère de l’intérieur et a crié de tout cœur « Dégage, dégage ! » à un régime scélérat qui l’avait bridé pendant des décennies.

Le peuple tunisien, après de longues années de soumission et de compromissions, a enfin pris son courage à deux mains et a affronté son bourreau. La peur a fini par changer de camp et le dictateur a fui le pays.

Ce jour-là, le peuple tunisien a gagné ses galons sur la scène internationale. Il est devenu l’exemple à suivre… et aussi l’ennemi à abattre.

En peu de temps l’histoire s’est accélérée. Les peuples se sont réveillés en Egypte, au Yémen, en Libye et en Syrie ; les contre-révolutionnaires se sont concertés… et le terrorisme s’est développé. C’est qu’il faut tuer dans l’œuf l’espoir d’un renouveau.
L’idée que le peuple puisse disposer de lui-même et profiter de ses propres richesses dérange.

L’Egypte, qui avait suivi les pas de la Tunisie, a vacillé et la dictature s’est de nouveau installée, plus implacable qu’auparavant. Le Yémen s’est déchiré, la Libye s’est divisée et la Syrie est déchiquetée.

Seule la Tunisie a survécu au marasme qui a embrasé le monde arabe.

Si la révolution tunisienne s’est maintenue contre vents et marées, c’est d’abord parce que :

  • La Tunisie se distingue par un taux d’alphabétisation élevé, résultat d’une politique de scolarisation massive qui a débuté dès l’indépendance sous la présidence de Bourguiba et bien avant, et qu’il convient de préserver… Une population éduquée est peu encline à suivre les dérives des illuminés de tous poils, et ces derniers sont bien nombreux. Il y a ceux qui se croient investis d’une mission divine et ceux qui s’estiment être les vrais démocrates. Même quand les résultats des urnes ne leurs donnent pas raison, ils croient avoir raison… Ah, si on pouvait zapper les résultats des urnes !
  • L’armée n’a pas un poids prédominant ; elle ne contrôle pas les rouages de l’économie, comme c’est le cas par exemple en Egypte et en Syrie, et donc les risques de coup d’Etat sont moindres que sous d’autres cieux…
  • Des contre-pouvoirs suffisamment puissants se sont constitués, qu’ils soient d’ordre politique ou civil, et ils ont permis d’équilibrer la vie politique et de décourager toute volonté d’hégémonie.

Reste aux élus nationaux de prendre conscience de cette nouvelle donne sociologique, d’œuvrer pour la pérennité de la démocratie, pour un meilleur fonctionnement de l’Etat, d’être un peu moins centrés sur leur propre carrière, et un peu plus soucieux du bien-être du citoyen lambda, qui fait et défait les majorités, au cas où on l’aurait oublié. C’est même le meilleur moyen de préserver leur propre poste…

Aujourd’hui, la Tunisie a acquis la liberté d’expression et de rassemblement et quiconque aspire à gouverner le pays doit passer par la case des urnes… Ces deux acquis fondamentaux sont loin d’être négligeables, néanmoins il convient de mieux organiser les inscriptions sur les listes électorales pour ne pas entacher les résultats qui s’en suivent…

Par ailleurs, l’enracinement de la démocratie passe aussi par le respect des délais impartis et les élections municipales doivent être organisées le plus rapidement possible.

La décentralisation de l’Etat devrait également être entamée, sous peine de voir les promesses de développement régional relever de vœux pieux.

Pour tout dire, la révolution tunisienne est loin d’avoir atteint ses objectifs, mais peut-on atteindre des objectifs aussi ambitieux en si peu de temps ?

A six ans, un enfant intègre à peine l’école primaire, alors que dire d’une nation qui doit se repenser ! L’essentiel est d’aller de l’avant et de persévérer pour que demain soit meilleur qu’hier.

Une chose est sûre, avec la révolution, les langues se sont déliées, le caché refait surface et à notre stupéfaction, nous découvrons que les enfants peinent à aller à l’école dans certaines régions reculées du pays. Nous constatons aussi que c’est dans les régions les plus mal scolarisées que végète le terrorisme, une plaie qu’il convient d’éradiquer avec intelligence, dans le cadre de l’état de droit et dans le strict respect de la constitution, sous peine de perdre nos maigres acquis démocratiques.