La conférence internationale sur l’investissement, Tunisia 2020, avait pour principal objectif de redorer l’image de la Tunisie aux yeux des investisseurs étrangers, mais surtout de financer le plan de développement sur la période 2016-2020. Celle-ci faisait office de « plan B » dans la perspective d’un plan Marshall pour la Tunisie, censé soutenir l’effort du pays dans sa transition démocratique et relancer son économie, minée par les dettes odieuses contractées par le clan Ben Ali et les affairistes liés à l’ancien parti au pouvoir.
Les orientations de ce plan, présentées lors de Tunisia 2020, tablent sur une croissance moyenne du PIB de 5% pour la période 2016-2020.
Comment le gouvernement compte s’y prendre pour quadrupler le taux de croissance moyen du quinquennat précédent (2011-2015) ? Depuis l’avènement de la coalition néo-libérale (Nidaa/Ennahdha/Afek/UPL), la Tunisie a connu un net recul de son taux de croissance (de 2,3% en 2014 à 0,8% en 2015), et ce en dépit de la chute du prix du baril de pétrole ! Après deux ans au pouvoir, cette coalition n’a pas été capable de dépasser le cap des 1,3%.
La note d’orientation du plan de développement évoque une reprise « graduelle de l’activité économique durant les deux premières années [2016 et 2017] du quinquennat, pour concrétiser un décollage économique à partir de 2018, année décisive car il est prévu une évolution du PIB avec un rythme supérieur au taux de croissance actuel, puis il dépassera le seuil des 6% au cours de 2019 et 2020 ».
Ce « décollage économique » est supposé influencer l’ensemble des indicateurs économiques, d’une manière telle, que les tendances actuelles vont littéralement s’inverser ! Selon les projections de cette note d’orientation, ce taux de croissance moyen de 5% pourrait, à terme ;
- Engendrer la création de « pas moins de 400 mille nouveaux postes d’emploi », soit une moyenne de 80.000 postes par an : c’est plus du triple de la moyenne du quinquennat précédant (25.000 nouveaux postes par an). Ces prévisions sont peu réalistes, car en 2015 il n’y a pas une création, mais une destruction de 11.700 postes. L’année suivante, en 2016, la reprise économique a permis de créer 46.000 nouveaux postes. Non seulement l’écart entre les tendances et les prévisions est considérable, mais la capacité de création d’emplois de notre économie est restée limitée au secteur public. Une note de la Banque Mondiale a mis en évidence « le retard dans la création d’emplois dans le secteur privé et la persistance du caractère informel des emplois […] près de 30 à 45 % de la population active occupée n’ont pas de contrats ».
- Réduire le chômage de plus de 4 points, pour arriver à un taux de 11% en 2020. Or, la tendance actuelle est à la hausse : le chômage a augmenté en 2015 et 2016 pour atteindre respectivement 15,2 et 15,5%. Selon la Banque Mondiale, « bien que le taux de chômage soit tombé de 18,9 % en 2011 à 15 % à la fin de 2014, la diminution est principalement attribuable à une hausse persistante de recrutement dans le secteur public, ce qui serait intenable à l’avenir ». Chose confirmée en Mars dernier par l’ancien chef du gouvernement, Habib Essid : « Le secteur public qui emploie, actuellement, 800 mille personnes, environ, n’est plus capable de résorber le chômage, excepté les institutions sécuritaire et militaire et les secteurs de l’éducation et de la santé »
- Augmenter le revenu individuel (Revenu National Disponible Brut par habitant) de moitié pour atteindre 12.520 dinars en 2020, contre 7.813 dinars en 2015.
- Augmenter le taux de l’épargne nationale de 5 points pour atteindre environ 17,7 % en 2020, contre 12,6% en 2015.
- Réduire le taux de pauvreté extrême de 1 point pour atteindre 2% 2020, contre 2,9% en 2015.
- Augmenter l’Indice de la Croissance Humaine qui atteindra 0,772 en 2020, contre 0,729 en 2015 ; une remontée spectaculaire qui serait difficilement envisageable, car cela représenterait un saut de 30 places dans le classement mondial en l’espace de cinq ans !
- Augmenter l’investissement global de 60% pour atteindre la valeur de 120 Milliards de dinars sur l’ensemble de la période 2016-2020, contre 77 Milliards de dinars durant le quinquennat précédent.
- Réduire le déficit courant de la balance des paiements de 2 points pour atteindre 6,8% du PIB en 2020, contre 8,8% en 2015.
- Contenir le taux de la dette extérieure qui « ne devrait pas non plus dépasser les 51% du PIB» à l’horizon 2020. Comment le gouvernement va-t-il pouvoir radicalement inverser cette tendance alors qu’il poursuit la même politique que ses prédécesseurs : recourir au surendettement pour maintenir l’économie sous perfusion. L’endettement extérieur de l’Etat s’est considérablement aggravé ces dernières années, son taux n’a cessé de grimper pour atteindre 69% du PIB en 2016. Et selon les estimations, il va culminer à plus 71% du PIB en 2017.
Comment le gouvernement compte atteindre ces objectifs sans entamer des réformes structurelles urgentes, notamment dans la justice, l’administration et les entreprises publiques ? De quelle marge de manœuvre dispose cet exécutif, affaibli par l’instabilité politique au sein de la coalition au pouvoir (scission de Nidaa, changement de gouvernement, recomposition des blocs parlementaires… etc.). L’échec – sous la pression du corporatisme – de certaines réformes prévues dans la loi de finances 2017, notamment celle visant une plus grande justice fiscale, en est la meilleure illustration.
Il ne pourra pas non plus atteindre ces objectifs sans assainir un climat d’affaires étouffé par la bureaucratie, gangrené par la corruption et affaibli par l’économie parallèle. La lutte de façade menée contre la corruption et l’évasion fiscale contribue à renforcer le manque de confiance des citoyens en leurs institutions ; les révélations des scandales de la BFT, SwissLeaks, Panama Papers et Nessma Network ont totalement disparu des radars. Les corrompus jouissent d’une impunité désarmante, alors que Youssef Chahed, lors de son discours d’investiture, a fait de cette problématique une des priorités de son gouvernement.
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