Après dix années d’expériences en Chine et au Vietnam, Anys Fatnassi est de retour au bercail avec des projets pleins les valises, dont le personnage Harrouss. L’objectif ? Aider les jeunes tunisiens qui font le choix de l’émigration à s’orienter vers d’autres pays que les destinations classiques. Ainsi, dans des vidéos de trois minutes, publiées sur sa page facebook, Harrouss nous fait découvrir des tunisiens qui vivent en Chine, en Malaisie, en Inde et dans d’autres pays asiatiques. « Les pays émergents devraient davantage séduire les tunisiens, car l’avenir est là-bas. Au niveau économique, mais aussi en terme de confort de vie », explique Anys Fatnassi. « Mais ces pays ne font pas partie de notre imaginaire. Avec Harrouss, j’ai voulu mettre en avant des retours d’expériences positifs pour encourager les jeunes à tenter l’expérience ailleurs qu’en Europe ».

Dans le cadre des études ou d’un projet professionnel, les opportunités sont nombreuses. Pour Anys Fatnassi, « les perspectives d’évolution professionnelle sont beaucoup plus intéressantes que dans bien des pays ». Il n’y a qu’à regarder les taux de chômage et de croissance affichés par un grand nombre de pays asiatiques, qui continuent de résister aux crises mondiales.  Le choix de ces jeunes serait donc essentiellement lié au dynamisme économique ? Pas seulement : « la Tunisie a été influencé par l’Europe et par la France principalement du fait de son histoire. Nous connaissons le modèle français par cœur. Aujourd’hui, il est important de s’ouvrir à d’autres cultures et de tirer le meilleur de ce qu’elles peuvent nous apporter ».

Des expériences pionnières

La première vidéo nous a fait découvrir Mehdi Lamloum, directeur de création dans une agence de communication à Kuala Lumpur (Malaisie) depuis 2014. Pour cet ancien bloggeur, un jeune tunisien a tout à gagner en s’installant en Malaisie : pas de visa, des opportunités professionnelles intéressantes, un coût de la vie plus bas qu’en Tunisie, etc. Même écho, mais cette fois en Chine où Harrouss nous présente une journaliste télévisée, Khawla Jebri Charfi. Pour cette jeune tunisienne, « les opportunités que l’on peut trouver dans d’autres pays ne seront jamais aussi diversifiées et enrichissantes que celles qu’offrent la Chine », et de poursuivre : « tu peux réussir loin, dans un autre continent, dans un pays que beaucoup de gens considèrent encore comme énigmatique et qu’ils perçoivent comme une autre planète ».

En comparaison avec d’autres régions, les Tunisiens se font rares en Asie. Mais de plus en plus de jeunes semblent s’y intéresser. Yahia Kchaou, est en Inde depuis bientôt un an : « dès le départ, je voulais partir dans un pays asiatique, mais je visais plutôt l’Asie du Sud-Est. J’ai cherché des opportunités en Malaisie, à Singapour, en Indonésie, puis finalement on m’a proposé un stage intéressant en Inde, alors je me suis dis ‘pourquoi pas ?’ », raconte Yahia.

Un choix à contre-courant qui a également séduit Mehdi Bouksila, 24 ans. Installé à Bali depuis neuf mois pour ses études, le jeune homme est encore euphorique. « C’est magnifique ! J’ai 12h de cours par semaine, alors j’ai le temps de découvrir le pays et ses paysages, de mieux connaitre la culture locale, de profiter de la mer », s’exclame-t-il. Après une expérience de 6 mois en France, Mehdi a préféré s’envoler vers d’autres cieux. Il a passé un concours auprès de l’ambassade indonésienne à Tunis, qui sélectionne huit boursiers par an pour les envoyer étudier en Indonésie. Avec une bourse de 500 dt, le jeune étudiant se considère comme privilégié : « je n’aurai jamais eu ça en Tunisie ! ».

Yahia Kchaou

Et la famille ?

Pour ces jeunes installés en Asie, le plus difficile n’aura pas été les démarches administratives mais le refus des parents de laisser leur progéniture s’installer dans un « monde inconnu ». Anys Fatnassi en sait quelque chose : « j’ai prévenu mon entourage que je partais en Chine une semaine avant mon départ, et heureusement ! La semaine qui a précédé mon voyage a été très difficile car j’ai été confronté aux réticences des uns et des autres ». Si la destination avait été en Europe ou aux Etats-Unis, les réactions auraient été bien différentes.  « Mes parents m’ont beaucoup encouragé à partir à l’étranger, mais à aucun moment ils se sont doutés que ça pouvait être en Inde », raconte Yahia. « Ils n’étaient pas rassurés, mais ils ont fini par céder. En revanche, trois de mes amis ont dû laisser tomber leurs projets sous la pression familiale », regrette-t-il.

Mehdi Bouksila ( à gauche) en Indonésie

L’Asie, un tremplin

Contrairement à des pays comme la France ou le Canada, les Tunisiens qui tentent une expérience en Asie, ne s’y établissent pas définitivement, ou alors très rarement. En effet, la plupart des pays asiatiques sont très restrictifs quand il s’agit d’octroyer leur citoyenneté à des étrangers. « Tant qu’on travaille, c’est bon, une fois que le contrat est terminé, on n’a pas d’autres choix que de revenir en Tunisie ou d’émigrer ailleurs », note Anys Fatnassi. « Mais avec l’expérience qu’on peut acquérir en Asie, il est aisé de trouver par la suite des postes à responsabilité. L’Asie est pour moi un tremplin », poursuit-il. Pour Yahia, le retour à Tunis est une évidence : « généralement, lorsqu’un Tunisien songe à partir, il pense immédiatement à l’Europe dans l’idée de trouver un emploi et de s’y installer définitivement pour obtenir une carte de séjour ou être naturalisé. En ce qui me concerne, je suis parti avec l’idée de revenir fort d’une expérience bénéfique à mon pays ».

Que dit cette nouvelle émigration de la jeunesse tunisienne ? Les plus optimistes verront dans ces mouvements une conséquence heureuse de la mondialisation et un vrai atout pour la Tunisie qui pourra compter sur cette jeunesse formée dans des pays émergents. D’autres, y voient le reflet de la situation économique du pays, en proie à des crises chroniques. « Les jeunes partent parce que le champ des possibles est extrêmement limité ici », regrette Anys Fatnassi. « Mais ce n’est pas parce que partir est une nécessité, qu’il faut partir n’importe où et n’importe comment : c’est pour cela que je parle d’émigration intelligente », conclut celui dont l’expérience asiatique n’a pas fini de faire des émules.