Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Les données qui font l’objet de cette analyse se rapportent aux résultats des élèves d’une école primaire située en milieu rural en Tunisie centrale entre 2009 et 2014, couvrant donc cinq années scolaires successives.

Plus précisément, les résultats analysés sont constitués des notes de langues (arabe et français) et de sciences (mathématiques et éveil scientifique) du dernier trimestre de l’année scolaire.

L’objectif de ce travail est de rechercher les causes de l’échec scolaire, d’analyser les disparités entre garçons et filles et de positionner l’école par rapport au reste de la Tunisie. Au total, les données analysées concernent 783 élèves et 43 classes.

La première partie traitera des langues. La seconde partie de ce papier traitera des sciences.

Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont fait une lecture critique d’une version précédente de cet article, ce qui nous a amené à apporter des précisions et à compléter certaines informations.

Remarques méthodologiques

  1. Le texte qui suit se base sur un exercice visant à regarder de près les résultats scolaires des élèves d’une école rurale. Nous nous sommes focalisés sur l’échec scolaire, supposant que tous les enseignants évaluent de la même manière et objectivement les résultats des écoliers. Remarquons aussi que les outils d’évaluation adoptés par les enseignants ne seront ni décrits ni discutés.
  2. Le principal souci était la recherche de disparités socio-spatiales dans les résultats des enfants.
  3. Vu le manque de données accessibles pour comparer les résultats présentés, nous nous sommes contenté de les situer par rapport aux données publiées dans le rapport PISA et celles du ministère pour situer l’école ;
  4. La difficulté d’interpréter certains résultats limite la portée du texte et les extrapolations qui en découlent.
  5. La présentation des résultats des filles par rapport à ceux des garçons vise à rechercher des discriminations éventuelles qui les ciblent et à voir si la prédominance des filles dans notre système scolaire commence au primaire ou pas.
  6. Si des disparités sont pointées dans le texte, elles doivent être lues dans le sens de la recherche de solutions possibles afin de les dépasser, pour renforcer le rôle de l’école publique dans l’offre d’une égalité de chances entre les enfants issus de différents milieux.
  7. Un dernier point, les enfants objets de l’étude sont en majorité issus d’un milieu ouvrier et sont donc d’origine sociale modeste.

Résultats

La répartition par sexe des élèves est présentée sur la figure 1. Le pourcentage des filles dans l’échantillon étudié varie de 46,84 à 50,62 %. L’échantillon étudié comprend un peu plus de garçons que de filles (400 garçons et 382 filles), soit 51,21 % de garçons contre 48,79 % de filles. Ce résultat serait-il lié à une volonté des parents de ne pas scolariser leurs filles, ou s’agit-il simplement d’un fait lié à la présence de plus de garçons dans ces classes d’âge ? Nous remarquons simplement qu’à la fin du cycle primaire, le pourcentage des filles est le plus bas (46,84 %). L’écart le plus élevé entre les deux sexes est enregistré en 6ème année. Ceci est peut-être lié au fait que plus de filles quitteraient l’école avant de terminer ce cycle d’études. Nous vérifierons ces hypothèses au fur et à mesure de l’avancement de l’étude.

Précisons que les données étudiées ne couvrent pas la totalité des classes pour l’ensemble des années scolaires, et certains résultats pourraient être liés à ce biais.

La répartition des élèves par année d’étude est présentée par la figure 2. Le nombre d’élèves par niveau d’instruction varie de 81 (3ème A) à 174 élèves (5ème A). Ces disparités sont simplement liées à la structure des données accessibles pour cette analyse. Dans tous les cas de figure, l’analyse des données sera présentée sous forme de pourcentages qui ne sont pas sensiblement affectés pas les effectifs étudiés.

La figure 3 montre le nombre moyen d’élèves par classe durant les cinq années scolaires étudiées. Ce nombre varie de 16,2 à 23 élèves par classe. Le nombre maximal enregistré était de 30 élèves par classe, et le nombre minimal de 13 élèves.

Le pourcentage d’élèves redoublants par niveau d’instruction et par année scolaire est montré par la figure 4. Les graphiques montrent que les pourcentages d’élèves redoublants varient d’une année à l’autre et qu’ils ne sont pas constants au fil du temps. En 1ère année par exemple, ces taux varient entre 3,85 % en 2009-2010 (n = 26) et 26,32 % en 2013-2014 (n = 38). Les pourcentages les plus élevés de redoublants sont enregistrés en 2009-2010 en 4ème et 5ème années, avec un taux de 47,06 % pour chacun de ces niveaux (n = 34 pour chaque niveau d’instruction).

Par rapport à l’ensemble des années et des niveaux d’instruction, le pourcentage d’élèves redoublants est représentés par la figure 5. Ce taux varie entre 8, 33 % (2ème année, n = 108) et 28,23 % (4ème année, n = 124). Il est globalement de 21, 46 % pour l’ensemble des écoliers durant les cinq années étudiées (n = 783). Il est intéressant de remarquer que les taux de redoublement dans les deux derniers niveaux d’instruction du cycle d’études primaires sont plus faibles que ceux de la quatrième année, et que le taux de redoublants en 5ème année est légèrement plus élevé que celui enregistré en 6ème année (respectivement 26,44 et 25,95 %). On constate tout simplement que le taux de redoublement s’accroît nettement entre les trois premières et les trois dernières années du cycle d’études primaires.

La figure 6 montre la variation du pourcentage de redoublants par niveau d’instruction et sexe des écoliers. On constate que ce taux varie, chez les filles, de 36,36 % en 1ère année à 57,14 % en 4ème année, alors que chez les garçons, il varie de 42,86 % à 63,64 %, respectivement en 4ème année et en 1ère année. Le taux de redoublement des filles n’est inférieur à celui des garçons qu’en 1ère et 6ème années. Globalement, le pourcentage de filles redoublantes est légèrement supérieur à celui des garçons (50,6 %). Autrement dit, les disparités constatées entre les deux sexes des élèves sont variables d’un niveau à un autre et la probabilité de redoublement est sensiblement la même pour chacun d’eux.

Afin d’affiner notre analyse, nous procédons à la prospection des résultats des écoliers par matière étudiée. Par rapport à ces résultats, et comme indiqué plus haut, nous nous contentons d’analyser les résultats concernant trois groupes de matières : les langues arabe et française et les sciences. Nous avons intentionnellement éliminé les matières qualifiées de sociales et le sport, en raison du fait que les notes obtenues par les élèves sont le plus souvent élevées (dans tous les cas supérieures à la moyenne) et ne permettent pas de déceler des différences notables entre les performances des écoliers.

Par rapport aux langues, nous analysons les résultats concernant l’expression orale, la lecture et la production écrite. Nous n’avons pas intégré la grammaire simplement parce qu’elle est enseignée uniquement en langue arabe et ne concerne pas tous les niveaux d’études. Elle est parfois intégrée dans les programmes de la troisième année.

Pour mieux présenter les résultats, nous avons opté pour l’illustration des moyennes des écoliers redoublants et non-redoublants, afin de montrer les écarts des moyennes entre les deux groupes.

1.La langue arabe

1.1.L’expression orale

Les résultats scolaires des élèves en expression orale en langue arabe sont présentés dans la figure 7. On constate d’abord que les moyennes obtenues par les non-redoublants tournent autour de 14 au cours des trois premières années et diminuent par la suite pour se stabiliser à 12 durant les deux dernières années. Les plus forts écarts – entre redoublants et non-redoublants – sont enregistrés en deuxième et première années (respectivement 9,50 et 7,83). Les écarts diminuent progressivement dans les trois derniers niveaux et atteignent leur plus faible valeur en sixième année (0,45). Il semble que les écoliers redoublent au cours des trois premières années en raison de leur incapacité à s’exprimer oralement. Cette hypothèse mérite d’être creusée.

1.2.La lecture

Concernant la lecture en langue arabe, les moyennes enregistrées diminuent continuellement de la première (14,67) à la sixième année (10,77). Les écarts les plus élevés entre redoublants et non-redoublants sont enregistrés dans les trois premiers niveaux (figure 8). Elles diminuent progressivement de la première (10,09) à la troisième année (7,88). Au cours des trois dernières années, les écarts sont relativement faibles et enregistrent leur valeur la plus basse en sixième année (1,97). Il y a lieu de remarquer que cette différence est la plus forte en cinquième année (4,44).

Parallèlement à ce qui est enregistré plus haut, le manque de maîtrise de la langue arabe serait-il la cause du redoublement enregistré au cours des trois premières années d’étude ?

1.1.3.La production écrite

En production écrite arabe, les notes enregistrées chez les non-redoublants sont supérieures à 12 au cours des trois premières années et comprises entre 10 et 11 au cours des trois dernières. Les plus importantes différences entre les moyennes des redoublants et non-redoublants sont enregistrées au cours des trois premières années d’études (figure 9). Elles vont en décroissant au cours de ces trois années et demeurent néanmoins importantes (de 10,63 à 8,31). Elles suivent les mêmes tendances que la lecture en ce qui concerne les trois dernières années d’études. L’écart le plus faible est enregistré en sixième année (1,79). La faiblesse des écarts au cours des trois dernières années est liée au fait que les écoliers qui maîtrisent mal l’écrit sont progressivement éliminés ou que leurs performances s’améliorent après redoublement.

2.La langue française

2.1.L’expression orale

La langue française est enseignée à partir de la troisième année. En ce qui concerne l’expression orale en français, les écarts entre les moyennes des redoublants et non-redoublants diminuent de la troisième à la sixième année pour s’atténuer presque à la fin du cursus scolaire (0,69), ce qui suppose une maîtrise progressive des élèves de leur expression orale en français au fur et à mesure qu’ils avancent dans leurs études (figure 10). Il est intéressant de remarquer que les moyennes des non-redoublants sont plus élevées en expression orale française qu’en expression orale arabe, notamment en troisième année qui est la première année d’études du français (respectivement 14,51 contre 13,96) !

2.2.La lecture

Pour la lecture en français, le même constat est fait concernant les écarts entre les moyennes des redoublants et non-redoublants que pour la matière précédente (figure 11). Les écarts sont nettement plus élevés pour la lecture en langue arabe qu’en français, sauf en quatrième année où c’est l’inverse qui est enregistré (respectivement 3,82 contre 5,36). En dernière année d’étude, la différence entre redoublants et non-redoublants est très faible (0,63).

2.3.La production écrite

En production écrite en français, les différences de moyennes entre redoublants et non-redoublants vont décroissant de la troisième à la sixième année (figure 12). Ces écarts sont plus importants au cours des deux premières années d’étude du français que dans les deux dernières, et l’écart le plus faible est enregistré en sixième année (1,11). La troisième année est considérée comme année d’initiation pour le français, raison qui explique les moyennes relativement élevées dans cette langue à ce niveau.

On remarque que les différences entre les moyennes des redoublants et non-redoublants en production écrite sont plus importants en langue arabe qu’en français pour les mêmes niveaux, sauf en quatrième année où c’est l’inverse qui est enregistré.

Nous constatons également qu’en sixième année, la moyenne des non-redoublants est inférieure à 10. C’est d’ailleurs la seule valeur inférieure à la moyenne dans l’ensemble des matières étudiées en langues arabe et française.

Important à souligner encore : le fait que les différences de moyennes entre redoublants et non-redoublants sont les plus accentuées en production écrite en français par rapport aux deux autres matières (expression orale et lecture). La faiblesse de nos écoliers en production écrite en français se dégage dès la seconde année d’étude de cette langue, simplement parce que leurs moyennes (pour les non-redoublants) ne sont pas aussi élevées (10,34 en quatrième et 10,89 en cinquième année) qu’au cours de la première année d’études du français (13,07) ou aussi par rapport aux autres matières enseignées en langue arabe.

3.Comparaison entre les deux langues

Nous allons tenter dans ce qui suit de comparer les performances des écoliers dans les deux langues arabe et française.

La figure 13 montre les résultats des écoliers en expression orale, dans les deux langues étudiées. De prime abord, les moyennes obtenues par les non-redoublants sont les plus élevées en troisième année, aussi bien en langue arabe que française. Les moyennes obtenues dans les deux langues sont sensiblement les mêmes durant les trois dernières années du primaire.

Notons aussi que les moyennes en français des redoublants en expression orale sont supérieures à celles obtenues en langue arabe, notamment au cours de la troisième année (première année d’étude du français). Durant les trois dernières années, elles sont sensiblement les mêmes et elles sont supérieures à la moyenne en sixième année.

La figure 14 montre les résultats des écoliers en lecture dans les deux langues étudiées. Comme noté précédemment, les moyennes obtenues par les non-redoublants sont les plus élevées en troisième année, aussi bien en langue arabe que française. Les moyennes obtenues en langue arabe sont supérieures à celles en français en quatrième et cinquième années, mais la situation s’inverse en sixième année.

Pour les redoublants, les moyennes obtenues en lecture arabe sont supérieures à celles obtenues en français en quatrième et cinquième années, alors qu’on remarque l’inverse en troisième et sixième années. Au cours de cette dernière année, les redoublants enregistrent la moyenne la plus élevée durant le cycle d’études primaires. Elle est la plus faible en quatrième année en français, alors que la moyenne la plus faible est enregistrée en troisième année pour l’arabe.

La figure 15 montre les résultats des écoliers en expression écrite arabe et française, selon leur niveau d’instruction. Comme remarqué précédemment, les résultats en expression écrite – dans les deux langues, chez les non-redoublants – sont nettement plus élevés en troisième année que pour les trois dernières. Pour la dernière année d’études, les non-redoublants ont une moyenne inférieure à 10, la seule enregistrée parmi l’ensemble des matières analysées ici. Les notes obtenues par les élèves dans les différents niveaux ne sont pas élevées, du moins pour les trois dernières années d’études (entre 10 et 11).

Chez les redoublants, en revanche, on enregistre les moyennes les plus faibles – pour la langue arabe – en troisième année (03,93), alors qu’en français, elles sont obtenues en quatrième année (03,71). Au cours des deux dernières années du cycle primaire, les moyennes sont sensiblement les mêmes dans les deux langues.