Quatre cent quarante ouvriers et ouvrières sont menacés de licenciement. Cette goutte qui fait déborder le vase selon les Keffois ne semble pas intéresser les médias et le gouvernement. Mercredi 5 avril, L’UGTT a appelé à une marche dans la ville du Kef pour dénoncer le laxisme du gouvernement, non seulement par rapport à la fermeture de l’usine de câblage mais aussi vis-à-vis de toutes les demandes sociales qui traînent depuis des années. Près de quatre mille personnes, selon les organisateurs, ont défilé dans les rues, avant de se rassembler devant le gouvernorat, exprimant leur ras-le-bol. La marche a réuni les chômeurs, les diplômés chômeurs, les ouvriers agricoles, les ouvriers des chantiers, les familles des prisonniers de Tajerouine et de Djerissa, les ouvriers d’usines, la société civile et les habitants du Kef, sous des slogans unificateurs appelant le gouvernement et le gouverneur à démissionner.
Sur les épaules de ses camarades, Mahrane Khelifi, tient son mégaphone et crie « La délégation de Youssef Chahed qui est venue hier déclare à la télévision que les problèmes sont réglés ! Je leur dis d’ici, entouré des miens : vous êtes des menteurs ! Ni les lobbys de Wided Bouchamaoui, ni les ministres de Chahed ne réussiront à mettre la pression sur les ouvriers et ouvrières du Kef et les faire taire ! Nous sommes forts grâce à votre soutien ! La fermeture de notre usine n’est qu’une goutte dans la mer d’injustices dont souffrent les Keffois ! ».
Nous sommes devant le gouvernorat, où des milliers de manifestants se rassemblent après une marche dans la ville. Mahrane, 29 ans, est secrétaire général du syndicat de base de l’usine du câblage depuis six ans. En 2015, il a entamé des négociations avec la direction de l’usine après le licenciement de 120 contractuelssous prétexte de dimintution des commandes. Mardi 4 avril, le chef du gouvernement a dépêché pour des pourparlers Majdouline Cherni, ministre de la Jeunesse et originaire du Kef, et Mahdi Ben Gharbi, ministre des Relations avec la société civile et les instances constitutionnelles. Des pourparlers soldés par un boycott de la part de l’UGTT, le syndicat de l’usine et des différentes composantes de la société civile.
Histoire d’une surexploitation à plusieurs niveaux
En 2008, la société allemande « Coroplast Harness Systems Tunisie » a ouvert une usine au Kef. En contre-partie des avantages fiscaux et de la location d’un local au dinar symbolique, les allemands se sont engagés à employer plus de 2000 personne à l’horizon 2014. Cependant, au lieu d’augmenter le nombre des ouvriers à l’usine du Kef, Coroplast a lancé, en 2012, une deuxième usine à Nabeulqui compte 24 entreprises et emploie plus de 2940 personnes. En 2014, Aymen Zouari, directeur général de Coroplast, commence à menacer les ouvriers de fermeture. « Nous avons donc entamé des négociations avec la direction et nous avons informé les anciens gouverneurs et chefs de gouvernement de ces menaces de fermeture. En vain ! » se rappelle Sameh Brini, 37 ans,ouvrière à Coroplast. Avec son mari, elle travaille dans l’usine depuis six ans pour nourrir trois enfants et payer le crédit de son logement.
À Coroplast, les salaires varient entre 380 dinars pour les femmes et 600 dinars pour les hommes. Chaque ouvrier produit près de 50 câbles par jour. Le câble est vendu à 5,9 euros, soit une fois et demi le salaire d’une ouvrière. « Et pourtant, nous n’avons jamais demandé une augmentation de salaire. Nous demandons juste de garder notre usine ouverte et d’intégrer les ouvriers contractuels licenciés en 2015, ainsi que de garder les 50 autres contractuels que la direction compte licencier d’ici fin 2017 ». Au cours des négociations avec le gouvernement, le syndicat de base a proposé à la direction de l’usine et au gouvernement de maintenir les ouvriers contractuels pour les six prochains mois en s’engageant à contribuer à leur rémunération à l’aide du ministère des Affaires sociales. « Jeudi 6 avril, l’investisseur allemand et la direction de l’usine ont refusé cette proposition sans donner une alternative », nous apprend Mahrane.
En plus de l’usine Coroplast, une dizaine d’usines abandonnées ont transformé la zone industrielle en quartier fantomatique. Depuis 2011, les usines du gouvernorat du Kef ont commencé à fermer, comme la cimenterie de Djerissa, la briquèterie de Kessour et quelques usines textiles au Kef. Fin août 2012, l’usine de fabrication de gants médicaux à Kalaat Senane a été délocalisée dans la zone de Ben Arous, quelques mois après son lancement, sous prétexte que la situation sécuritaire n’est pas stable au Kef. « La militarisation de la région, qui s’est renforcée depuis 2011, nous a coûté cher. Le Kef est classé zone rouge alors que nous n’avons vécu aucune attaque terroriste grave », proteste Mahrane.
En février 2011, la région était sous quarantaine militaire suite à de grandes manifestations demandant la justice sociale. Pour calmer la colère de la région, un conseil ministériel présidé par Béji Caid Essebsi a annoncé une série de réformes en faveur du Kef. Parmi ces promesses, BCE a annoncé le lancement du projet de mine de phosphate à Sra Ouertane, censé générer entre 2000 et 7000 emplois.
L’union fait la force : les mouvements sociaux reviennent à la rue
Sous les applaudissements des manifestants, Mahrane quitte le rassemblement devant le gouvernorat. Interpellé discrètement par un des hauts cadres de l’UGTT, il part en direction de la centrale syndicale pour une réunion préparatoire aux prochaines négociations et à une possible grève générale au Kef. « Mahrane est un jeune syndicaliste qui n’a pas le poids politique nécessaire pour tenir tête à la grande machine syndicale. Il doit absolument trouver des compromis entre les exigences de l’UGTT et les ambitions de radicalisation des ouvriers et des autres mouvements sociaux », affirme Boulbeba Makhlouf, médecin et militant de l’Organisation du travail communiste. Avec d’autres jeunes indépendants, il propose de radicaliser les méthodes de résistance avec une campagne nationale de boycott des produits de Volkswagen, premier client de Coroplast ainsi qu’une grève à l’usine de Nabeul en signe de solidarité avec les ouvriers du Kef.
Autour de trois grandes tentes où les sit-ineurs ont accroché des banderoles avec leurs revendications, une centaine de femmes éparpillées en petits groupes attendent des nouvelles de la réunion de l’UGTT. « Nous ne comptons pas rentrer chez nous avant la réalisation de nos objectifs. Le premier jour du sit-in, les policiers nous ont attaquées. Ils nous ont tabassées et insultées pour nous persuader de rentrer chez nous. Mais nous avons réussi à résister et rien ne nous empêchera de poursuivre le sit-in », affirme Hana Chebihi, 26 ans, enceinte de neuf mois et ouvrière à Coroplast depuis 5 ans.
En plus des mouvements des chômeurs et des diplômés chômeurs, déjà actifs entre Dahmani, Sers, Kaalet Senane et d’autres délégations du Kef, les mères des prisonniers de Tajerouine et de Djerissa, en détention depuis 15 mois suite aux manifestations de janvier 2016, soutiennent en masse les ouvriers de Coroplast. « L’union aidera certainement à faire entendre notre voix ! Les familles qui ont vu leurs fils libéré, il y a quelques semaines nous ont abandonnées. Mais la société civile est encore là ! Donc nous venons tous les jours manifester contre l’injustice que subit tout le Kef y compris nos enfants ! », s’indigne Fatiha Cherni, mère de Walid Cherni, 22 ans, arrêté en janvier 2016 pour avoir manifesté à Tajerouine pour le travail.
Le gouvernement et les investisseurs privés avancent l’argument sécuritaire comme principale cause de blocage de développement régional au Kef. De leur côté, les Keffois expliquent que le danger sécuritaire n’est qu’une illusion. « Ni le gouverneur, ni le gouvernement actuel ne sont capables d’écouter et de comprendre les besoins de la région. Nous n’avons pas besoin de plus de barricades mais de réformes administratives, d’investissements dans l’infrastructure et d’une audace politique pour lutter contre la corruption et le népotisme », affirme Fadhel Bedhiafi, vice-président de la section de la Ligue unisienne des droits de l’Homme du Kef.
Je ne comprends pas comment gouvernement pourra faire une telle proposition : contribuer à payer les salariés d’une usines ? Surtout que cette usine bénéficie des avantages fiscaux, une location au dinar symbolique et chaque ouvrière produit 1 fois et demi son salaires par jour, et les hommes payé à 600 dinars produisent au pris du câble, 1 fois leur salaires par jour. Et franchement, il y a une réelle discrimination salariale, c’est honteux ! ça révolte..
L’emploi, entre autre est une question de dynamique à créer, c’est fondamentalement le rôle du politique.. Aujourd’hui la Tunisie vie un deal entre les anciens du régimes et l’actuel régime.. Jusqu’à où ça va durer ? Est-ce que les gouvernants réalisent la gravité de la situation ou pas ? Envoyer la population dans la rue, il n y a pas de plus facile aujourd’hui, tous les ingrédients sont présents.. Tataouine est un exemple. Mais l’électeur et l’électrice comment vont se comporter un jour d’élection ? Faut-il attendre à faire tomber un gouvernement par les urnes pour réaliser des avancées sociales et pousser à créer de l’emploi ?
La Tunisie en mouvement, ça fait plaisir.. Mais faut-il que ce mouvement provoque la bonne dynamique ! …
Déjà il faut que le gouvernement libère les prisonniers à cause des manifestations sociales. Il faut mieux maintenant, qu’attendre la politisation d’un geste (1er mai).
Le problème du Kef c’est que tout investissement est en pure perte
J’ai vu de nombreux Kefois d’origine investir dans l’économie productive sans jamais revoir ne serait-ce que la Capital de départ. Et ne leur parlez plus d’investissement productif là bas. c’est clairement la mentalité générale qui en est la cause. Ça fait mal au cœur de le dire. Moi même j’ai investi plus de 50KD et je suis sûre de e jamais en revoir la moitié. Seuls les commerces de base tournent. Les usines nécessitent des savoirs faire visiblement indisponible sur place.
C’est malheureux mais ça ne changera pas de sitôt
Bonsoir,
j’ai noté que l’usine en question est sous traitante de Wolkswagen. Les salaires versés à ces ouvriers sont déjà une honte absolue pour ce groupe.
Est il possible de conseiller à ces activistes une action au travers de plateformes internet communautaires, type Avaaz ?
Je suis sure que les ouvrières et les ouvriers du Kef pourraient lancer un mouvement important sur ce type de plateforme pour attirer l’attention des consommateurs européens sur les conditions dans lesquelles les sous traitants de la célèbre firme allemande traitent leurs ouvriers.
Je me tiens à votre disposition pour faire le lien avec Avaaz, contactez moi.
Houcem : vos propos gratuits, lancés comme cela dans le vent n’engagent que vous car vous n’expliquez ni pourquoi ni comment les habitants de la région du Kef seraient moins compétents ou moins sérieux que les autres Tunisiens. Vous personnalisez magnifiquement cette ségrégation régionale qui est justement dénoncée. Et ne me dites pas que vous êtes du Kef, je connais des juifs plus racistes que bien des allemands.
J’ai lu l’article qui a juste mentionné que la société en question s’est engagé à monter le nombre des employés à 2.000 à l’horizon de l’année 2014….on a omis de dire que le nombre d’employés était à plus de 1.000 personnes en janvier 2011…et que l’entreprise allait tenir ses engagements sauf que les employés à cette époque ont attaqué l’entreprise, ont séquestré des cadres, ont attaqué la Direction Générale et ont voulu faire une révolution dans une entreprise allemande…ils croyaient peut être que cette entreprise familiale bavaroise quasi centenaire fondée au début du siècle passée et qui a survécu à la troisième génération était une filiale de princess holding ou propriété du déchu…c’était sans compter sur le sérieux des allemands et leur rigueur légendaire…les allemands sont des gens sérieux, honnêtes et rigoureux…ils n’ont jamais pardonné ces actes gratuits et déplacés…tout le reste n’est que littérature….il n’en demeure pas moins que la région du Kef demeure peu développé mais les causes sont multiples, complexes et profonds….
Fathia mes propos n’engagent que moi comme tt le monde. Ils ne sont d’ailleurs pas gratuits. Ils montrent que les pertes des petits investisseurs sur des projets économiques peu complexes ont coûté leurs ont coûté cher et plus encore aux kefois en terme de désinvestissement et discrédit.
Je ne sais pas si les kefois sont moins compétents que les autres tunisiens. Je sais juste que plus personne ne veut investir là bas ni même les enfants du pays car beaucoup y ont laissé des pertes. la situation géographique fait que pour y implanter des activités plus complexes et exportatrices ils doivent proposer un intérêt économique clair et/ou avoir des compétences sur place visiblement indisponibles. Comme le suggère Amine les allemands sont pragmatiques et ne sont pas ségrégationnistes mais ils sont exigeants et traitent leurs affaires semons des critères purement économique.
Une plateforme pour alerter le consommateur européen qui n’en a cure des conditions de travail des petites mains du tiers-monde et qui les considère même comme des concurrents déloyaux, quel intérêt?
Sinon allez investir là bas pour voir
C’est surprenant de lire des critiques acerbes, parfois d’un essentialisme digne des pires racismes, proférés par des tunisiens à l’endroit d’autres tunisiens.
Tant de sévérité, de clairvoyance, de sens critique sans que cela change quoi que ce soit, interroge et indigne à la fois.
Qu’y a t il de singulier en ce pays et dans sa population pour mériter le sort qui lui est fait? Leur manquerait le sérieux germanique, nous dirait l’un…voire!
Reprendre à son compte des représentations si élémentaires, c’est verser dans les facilités lorsqu’on prétend faire ouevre critique.