Le deuxième projet de jumelage entre la Banque Centrale de Tunisie (BCT) et la Banque de France (BF) vient de s’achever. Si ses objectifs annoncés semblent d’ordre technique, ils constituent, sur le fond, une réorientation stratégique de la politique monétaire. Cette réorientation est-elle en harmonie avec la nécessité de protéger les finances publiques et le tissu économique tunisien ? Est-ce un contexte favorable au recul de l’Etat ?
Après l’ingérence française dans la conception des orientations stratégiques du Plan de développement de l’économie tunisienne, puis les mesures d’austérité imposées par le FMI, il s’agit maintenant d’une dérégulation monétaire prêchée par l’Union européenne. Vendredi 5 mai 2017 s’est déroulé le séminaire de clôture du deuxième projet de jumelage entre la Banque Centrale de Tunisie et la Banque de France. Ce projet rentre dans le cadre du Programme d’Appui à l’Accord d’Association et du Plan d’Action Voisinage (P3A – II) entre la Tunisie et l’Union européenne, programme qui a pour objectif « d’appuyer la mise à niveau globale et de favoriser la modernisation de l’économie tunisienne appelée à faire face à l’ouverture et à la concurrence résultant de l’établissement d’une zone de libre-échange avec l’UE ».
Le premier jumelage a porté sur la « mise en place d’un cadre moderne de politique monétaire axé sur le ciblage de l’inflation ». Quant au deuxième jumelage, il est axé sur la « modernisation des modalités de mise en œuvre de la politique monétaire et du développement du marché interbancaire de liquidité ». Les deux projets de jumelage ont été financés par l’Union européenne et se sont étalés sur une période de deux ans, de mai 2011 à mai 2013 pour le premier, et de mai 2015 à mai 2017 pour le deuxième.
Une réorientation stratégique risquée
Si les objectifs annoncés sont d’ordre technique, on peut lire entre les lignes du communiqué de la BCT que ce jumelage concerne plutôt une réorientation stratégique de la politique monétaire tunisienne. « Dans son allocution d’ouverture, le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie a indiqué que la modernisation de la conduite de la politique monétaire constitue l’un des axes majeurs du programme des réformes à mettre en place, au cours de la période à venir, en vue […] de parachever le processus de libéralisation progressive et graduelle de l’économie tunisienne et de renforcer son intégration dans l’économie mondiale », annonce le communiqué de la BCT paru le 05 mai.
Pour y parvenir, quoi de plus séduisant que le concept de « modernisation » ? Ce terme a été utilisé 6 fois dans les deux communiqués sur le jumelage. Un désengagement de l’Etat tunisien à travers son adhésion à la doctrine néolibérale de la financiarisation des économies. Selon l’Union européenne, le salut de la Tunisie viendrait du recul de l’Etat, de la dérégulation et de la soumission aux lois du marché, bien que tous ces facteurs soient à l’origine des dérives qui ont mené à la crise des subprimes qui a causé un séisme planétaire. Plusieurs économies n’arrivent toujours pas à s’en relever. Un modèle à bout de souffle comme l’a démontré Michel Dévoluy, économiste spécialisé en macroéconomie européenne.
Libéraliser en pleine crise, est-ce prudent ?
Pendant que le poids de la dette et le déficit budgétaire assombrissent les horizons, les pouvoir publics semblent incapables de réagir avec clairvoyance pour maintenir le cap. Leur vision est devenue de plus en plus confuse, tandis que le processus de redressement demeure perturbé par la pression des instances internationales. Le recours à l’endettement sans audit préalable de la dette odieuse asphyxie les finances de l’Etat. La prise en charge par l’Etat des dettes du secteur bancaire, transformant au passage les dettes privées en dettes publiques, alourdit le déficit budgétaire. La privatisation improvisée des banques et des entreprises publiques amputera le circuit économique d’un de ses rouages. La politique de dévaluation monétaire risque de freiner l’activité et de provoquer un hiver économique. D’autant plus que L’Etat tente une périlleuse ouverture sur le marché européen, alors que les indices de compétitivité sont au plus bas et qu’il projette de réduire ses subventions.
Le rapport Teissier-Glavany, réalisé par des parlementaires français sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb, met en garde contre les effets néfastes de ce genre d’ingérence : « L’application de la conditionnalité ne doit pas accabler les pays du Maghreb avec la reprise formelle de standards définis au Nord […] l’Union européenne aurait tort de croire pouvoir imposer son seul agenda à des pays confrontés à des défis qui leur sont propres ». Avec ce genre de « modernisation », la Tunisie pourrait s’approcher davantage du scénario grec. Le surendettement et le déficit budgétaire ne sont pas les seules similitudes. Ces deux économies sont également minées par la fraude fiscale et l’économie parallèle. Le seul bouclier contre ce scenario est constitué par la non-titrisation de la dette extérieure tunisienne sur le marché financier international.
La réorientation stratégique de la BCT vers une dérégulation monétaire pourrait ouvrir la porte vers cette option, laissant le pays à la merci des attaques spéculatives des « fonds vautours » et des banques d’affaires. Céder au chant des sirènes de la « modernisation » et de la globalisation financière, sans mettre en place des mesures protectionnistes, pourrait définitivement mettre à genoux l’économie tunisienne.
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