Jeudi 8 juin dans la matinée, nous appelons l’association du Festival de la Médina pour réserver des places. Ce soir-là, c’est le groupe de musique arabe Samir Zghal qui se produit au palais Dar Lasram. Mais, trop tard, on annonce un spectacle « sur-complet » ! En revanche, sur place, seulement un tiers des sièges est occupé. Finalement, le groupe programmé, très amateur lui aussi, joue devant une salle quasiment vide. Non seulement la justesse et les enchaînements sont à retravailler, puis très vite, les ratés s’enchainent : turbulences sonores et techniques au rendez-vous.
Organisé par l’association du Festival de la Médina sous la présidence de Zoubeir Lasram, l’édition 2017 s’est déroulée du 30 mai au 17 juin 2017. Cette 35ème édition est rendue possible grâce à l’appui financier de la ville de Tunis et du ministère de la Culture. Son budget, bien qu’il soit moins important que les années précédentes, il s’élève à 130.000 dinars selon une déclaration accordée à la presse par Mohamed Hédi Mouhli, vice-président de l’association du Festival. « Dans les années 1990, le festival parvenait à rassembler un budget de 800 mille dinars », regrette l’attaché de presse, Hatem Bourial qui travaille bénévolement.
Le Festival de la Médina privilégié malgré son amateurisme
- 15,7% des fonds pour les associations musicales
- 36% pour les festivals et les manifestations culturelles
- 5,3 % pour le patrimoine
Classicisme :
Le répertoire musical classique ou dit traditionnel représente environ 82% des fonds alloués pour les associations culturelles musicales. L’association du Festival de la Médina de Tunis empoche la plus belle part avec 105.000 dinars en 2016.
Centralisation :
Le Grand Tunis et ses associations du secteur musical concentrent plus de 57% des subventions
Festival de la Médina :
Le Festival de la Médina représente 7% du budget alloué à l’ensemble des subventions associatives du secteur culturel.
Selon ce dernier, le ministère de la Culture participe cette année à hauteur de 25 mille dinars tandis que le maire de la ville de Tunis Seifallah Lasram, étant par ailleurs un parent du directeur du festival, est plus généreux avec une enveloppe de 100 mille dinars. C’est-à-dire un budget de 125 mille dinars et non 130 mille comme annoncé en conférence de presse. D’après l’attaché de presse, aucun sponsor privé n’est mis à contribution, ni agence de voyage ou tour-opérateur touristique. Soit un vrai déficit de communication et un sérieux manque d’effort dans la prospection de financements non étatiques. Même si le budget est de plus en plus maigre, et que le festival demeure sans impact particulièrement important que ce soit d’un point de vue économique ou populaire, il semble que très peu d’efforts sont déployés pour drainer plus de fonds et pour moderniser les méthodes de travail. En effet, pour une activité culturelle se déroulant sur deux semaines, l’association trouve à sa disposition un local de la ville de Tunis et draine un budget important de la part du ministère chaque année, proportionnellement aux autres associations musicales subventionnées. Bien qu’en baisse, le financement ressemble à une rente annuelle depuis 35 ans, sans quelconque obligation de résultat.
Selon ses chiffres de 2016, le ministère de la Culture a octroyé 133 subventions associatives d’un montant d’environ 1,5 millions de dinars pour l’ensemble du secteur culturel. L’événementiel y bénéficie d’une des plus grandes parts avec près de 5,6 mille dinars soit 36% du budget total. Quant aux associations culturelles, elles se partagent 16%. L’association du Festival de la Médina obtient donc 105.000 dinars du budget alloué aux associations du secteur musical et 30.250 dinars pour celui de l’événementiel associatif. En cumulant à la fois des fonds réservés à ces deux secteurs, elle touchait en 2016, 108.250 dinars, soit 7% du budget total des subventions associatives.
Opacité et verrouillage institutionnel
L’obtention des subventions pour le secteur culturel a été fixée en 2014 par arrêté ministériel. Sur convocation de son président, une commission composée des membres des ministères de la culture et des finances ainsi que des personnalités du monde artistique étudie les dossiers et attribue les subventions. Officiellement, la commission valorise les dossiers selon la « valeur artistique et culturelle de l’œuvre » mais en priorité selon six critères : la décentralisation culturelle ; l’innovation et la création ; la promotion du patrimoine culturel immatériel ; la capacité du projet à créer de l’emploi mais aussi le non cumul des subventions notamment avec celle accordée dans le cadre du budget de l’Etat ainsi que la transparence financière.
Or, en ce qui concerne les associations culturelles, ce n’est pas clair. Les subventions passent par « la cellule d’octroi de financements publics aux associations ». Si l’on prend le cas d’une association culturelle absorbant de nombreux fonds comme celle du Festival de la Médina, les conditions stipulés par l’arrêté de 2014 sont-elles réellement remplies ? Pas vraiment. Pourtant, ce sont souvent les mêmes associations culturelles et presque les mêmes festivals qui obtiennent des financements chaque année. Nous avons cherché à en savoir plus auprès de l’attaché de presse du ministère de la Culture, Saima Mzoughi. Malgré notre attente durant 10 jours et ses promesses successives, elle finira par ne plus décrocher son téléphone et ne pas répondre aux mails. Pourtant, les questions étaient simples et claires : Comment les associations sont-elles sélectionnées par le ministère de la Culture ? Quels sont les critères pour l’obtention des subventions pour les associations culturelles ? Qui prend la décision ? Les tergiversations puis le mutisme du service de presse du ministère de la Culture ne peuvent nous servir que d’indicateur d’opacité dans la répartition du budget consacré aux subventions associatives.
D’autre part, la procédure de l’obtention des subventions elle-même peut expliquer le verrouillage du secteur culturel. Un vrai parcours du combattant pour les non-initiés sans contacts au ministère pour les épauler dans les démarches. En outre, dans l’attente de critères précis, les projets sélectionnés sont laissés « à l’appréciation » des membres de la commission. Sans appui en son sein, il semble alors difficile d’être retenu. D’autre part, les appels à projet lancé par le ministère sont relayés via les journaux écrits et non sur une plateforme numérique. Une autre contrainte qui pèse sur le renouvellement de la scène culturelle tunisienne.
Un secteur culturel archaïque dominé par l’élite établie
L’opacité de la procédure ralentit ce renouveau et le secteur culturel devient le lieu privilégié de ses habitués, ceux d’une élite centralisée établie depuis plus d’un siècle. Le Grand Tunis et ses associations musicales concentrent toutes les attentions. Plus de 57% des subventions de ce secteur reviennent à la capitale. Il faut rappeler que le Festival de la Médina a été créé en 1983 par Mokhtar Rassaa, lui-même nommé cette année pour diriger le Festival de Carthage. Cette figure bien connue de l’establishment, a été pendant longtemps le directeur emblématique du Festival de la Médina. Durant sa carrière, il vague de poste en poste dans des fonctions stratégiques du secteur culturel tunisien. Aussi, en 2011, il obtient la direction de la Télévision Nationale par intérim, après avoir dirigé les chaînes tv à l’ERTT en 2000 et après avoir occupé des postes de responsabilité notamment au ministère du Tourisme. Aujourd’hui encore, si l’ensemble des associations musicales tunisoises subventionnées absorbent une grande partie des fonds d’aide publique, elles se caractérisent aussi par leur répertoire définitivement classique.
Illustration au Festival de la Médina où sur les 19 concerts programmés, 17 sont assurés par des artistes dont la majorité puise dans un répertoire archaïque. A l’exception de quelques concerts comme celui de jazz oriental de Riadh Sghaier ou de musique de variété représentée Aymen Lassik, les musiques actuelles sont les grands absents de l’événement. Plus généralement, au niveau national, 82% des fonds étatiques accordés pour les associations musicales vont au répertoire dit traditionnel. Ces choix artistiques sans prise de risque entretiennent une programmation musicale similaire d’années en années. Manque d’innovation et de singularité, la programmation s’avère prisonnière d’une politique culturelle classique et traditionnelle à outrance.
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