En août 2015, le ministère du transport avait placé Syphax sous administration judiciaire, dans le cadre de la loi 34-95 relative au redressement des entreprises en difficulté économique, avec une dette évaluée à 186 millions de dinars. A l’issue de deux années de procédures, le plan de redressement de la compagnie aérienne vient d’être validé par le tribunal de première instance de Sfax 2.

Fraude comptable et conflit d’intérêt

Après l’affaire BFT, l’introduction en bourse de Syphax constitue l’un des plus grands scandales financiers de l’ère post-révolution : en novembre 2014, le Conseil du Marché Financier (CMF) avait annoncé la suspension de la cotation de Syphax Airlines sur la bourse de Tunis afin de « préserver les intérêts des actionnaires et du public ». Cette décision est intervenue suite à une enquête du CMF ayant révélé des « anomalies comptables et organisationnelles ».

Quelques mois plus tard, en aout 2015, le CMF avait ordonné une Offre Publique de Retrait (OPR) sur les actions de Syphax. Il s’est avéré que les dirigeants de Syphax avaient maquillé les états financiers de la compagnie avant son introduction en bourse, et ce en vue de gonfler sa valeur et de maximiser les souscriptions à son capital. La décision du CMF visait à rembourser les porteurs qui se sont fait escroquer. Entretemps, l’action Syphax avait perdu près de 70% de sa valeur. Ce n’est qu’en novembre 2015 que le CMF a pris la décision de radier Syphax Airlines du marché alternatif de la bourse de Tunis. Cette décision est intervenue deux ans et demi après l’introduction en bourse. A ce jour, aucune condamnation pour fraude n’a été prononcée, ni contre les dirigeants de la compagnie aérienne ni contre le commissaire aux comptes qui avait validé les comptes trafiqués.

Mais le scandale Syphax ne se limite pas à la fraude, il concerne également un cas de conflit d’intérêt : après avoir autorisé la création de la compagnie aérienne en septembre 2011, le ministre du transport du gouvernement Caid Essebsi, Salem Miladi, s’est retrouvé à la direction générale de Syphax, sept mois après avoir quitté ses fonctions de ministre. Cette nomination est en conflit avec le décret 98-1875 du code pénal tunisien. Celui-ci interdit aux fonctionnaires publics d’exercer une activité privée lucrative ayant une relation directe avec leurs fonctions durant les cinq années qui suivent la cessation définitive de leurs fonctions.

Impunité des hommes d’affaires proches du pouvoir

Au final, le renouvellement de l’autorisation de navigation aérienne de Syphax Airlines, sans la moindre condamnation, vient entacher la crédibilité de la guerre contre la corruption menée par le gouvernement Chahed. Elle envoie un message inquiétant aussi bien pour les acteurs économiques que pour les citoyens quant à la persistance de l‘impunité des hommes d’affaires proches du pouvoir. D’autant plus que le chef du gouvernement semble œuvrer en personne pour l’évolution du dossier.

Cette affaire met en lumière, une nouvelle fois, la collusion entre la sphère politique et la sphère des affaires. A l’instabilité politique et à la crise politique vient se greffer une crise morale. Ce genre de collusion ne fait que fausser les règles de concurrence loyale et saper les efforts d’instauration d’un Etat de droits en Tunisie. Non seulement Mohamed Frikha, propriétaire de Syphax Airlines et député d’Ennahdha à l’Assemblée des Représentants du Peuple, n’a jamais été inquiété, mais il s’est déchargé de toute responsabilité, imputant la faillite de son entreprise aux attentats terroristes de 2015, survenus bien après la suspension de la cotation de Syphax.