Nous est un ensemble d’individus dépourvus de socle commun, un ensemble d’individus condamnés à naviguer séparément, les uns se tournant vers le socle anglo-américain, les autres vers le socle français et autres encore vers le socle coréen, japonais ou chinois… Nous avançons sur le terrain des autres donc, ou du moins, avons-nous l’illusion d’avancer. Car qui avance véritablement a besoin d’un point d’origine, un point de départ. Or, nous n’en avons point. Nous n’avons pas de grille de lecture propre. Nous empruntons celles des autres pour lire notre propre héritage et notre propre réalité. Nous nous regardons avec des lunettes montées ailleurs. Nous n’aimons pas ce que nous voyons —c’est bien normal, me direz-vous, le regard porté sur l’altérité n’est jamais vraiment avantageux— et nous nous accrochons d’autant plus ardemment à ces socles d’adoption.
Nous est un ensemble d’individus auto-décentrés. D’ailleurs, nos intellectuels, nos penseurs, nos écrivains eux-mêmes ne dérogent pas à cette règle. C’est fort probablement pour cette raison, que les voix portées par des écrivains comme Leïla Slimani, Kamel Daoud, Boualem Sansal ou Tahar Ben Jelloun —pour ne citer qu’eux— sont peu audibles ; ils plaquent des conceptions propres à la France sur, disons, des réalités maghrébines. Mais la plupart des idées qu’ils défendent sont à portée universelle, me répondrez-vous ; liberté, égalité hommes-femmes, démocratie… Je répliquerai que l’universalité commence toujours par le particulier, et que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, elle-même, a un foyer bien déterminé et revendiqué : la France. La lutte contre le terrorisme l’a d’ailleurs mis en exergue. Vous pouvez ainsi lire, çà et là, que c’est aux valeurs de « l’Occident » que les « terroristes islamistes » s’attaquent. Ces valeurs, en dépit de leur portée universaliste, appartiendraient donc bien à un socle particulier. « Les valeurs humanistes françaises ou européennes peuvent-elles s’adapter à tous les pays, toutes les régions du monde ? ». Voici une interrogation typique qu’on peut retrouver—sous une formulation plus ou moins différente— dans la plupart des médias français.
Devrions-nous abandonner ces valeurs, sous prétexte qu’elles sont revendiquées par « l’Occident » ? La réponse est évidemment non ; nous ne devons ni les abandonner, ni les sacraliser. Nous devons repartir de ce que nous sommes pour nous les approprier. Nous devons y contribuer, les enrichir de nos propres visions et réalités, en faire des clés adaptées à nos serrures. Michel Aflak, historien et grande figure de la pensée arabe, affirmait :
« Ce n’est pas sur le principe même de la liberté que nous différons avec les Européens, mais sur leur conception de la liberté ».
C’est de conceptions propres que nous avons besoin pour pouvoir participer en tant que peuple aux idées du monde. Or,il semblerait bien que nos intellectuels ont renoncé à l’idée de mener une pensée de l’intérieur de leurs sociétés et de la présenter au monde comme l’apport de leurs communautés. Ils se sont résignés à faire le chemin inverse : racoler des modèles de pensée préfabriqués, fruit du labeur d’autres hommes, et les greffer sur leurs corps sociétaux.
La rupture entre nos penseurs et nos peuples est, du reste, évidente. Promenez-vous dans le monde arabe, et posez la question de savoir quel apport en matière de sciences, de découvertes, de pensée, a été accompli dans ces contrées… Le réflexe majoritaire sera de remonter à l’époque abbasside. Pourtant, la production intellectuelle est foisonnante dans nos régions. Et c’est bien là que réside le problème. C’est d’une production dans ces régions qu’on peut parler et non de ces régions ; une production qui ne provient, ni ne se destine aux femmes et aux hommes qui y évoluent. Le vocabulaire utilisé par nos philosophes, historiens, écrivains, en lui-même, trahit cette réalité. Vous entendrez ou lirez ainsi sous leurs plumes des expressions ou des termes comme « prier sans soumission », « théocratie », « ayatollah », « Mahomet » au lieu de Mohammed ou Muhammad… Oui, un vocabulaire relevant surtout de la sphère religieuse parce que c’est principalement sur ces questions qu’ils sont interrogés en tant que représentants de leurs cultures. L’objectif n’est évidemment pas de dénigrer le travail de ces penseurs qui est par ailleurs essentiel, mais plutôt de leur murmurer que nous avons besoin de lanternes au plus près de nos réalités et cultures pour pouvoir véritablement examiner nos travers et construire de façon collective, autonome et efficace.
Lors d’un discours prononcé en 1943, Michel Aflak—encore lui— soumettait à son audience cette interrogation : « Qui sommes-nous et que pouvons-nous faire ? ». Conjonction essentielle : « qui sommes-nous ? »,la réponse à cette question est la lumière qui nous guidera,comme d’elle-même,vers l’agir ensemble, « ce que nous pouvons faire ». Maîtriser ce que nous sommes comme peuple, définir notre propre grille de lecture, pour enfin nous engager sur la scène universelle des idées en tant que contributeurs à part entière. Poser les fondations et ensuite seulement assembler les briques.
bonsoir,
Quand on aura mis la religion de côté dans nos vies de tous les jours, on aura enfin des fondations solides. Il n’y a pas 50000 modèles de liberté. La première et fondamentale et incontournable est de proposer à chacun de penser son “divin” à sa manière. Et mieux: de placer la religion là où lui le décide. Et pourquoi pas, nulle part s’il trouve son bonheur dans toutes les autres possibilités. Et je sais de quoi je parle, née en France dans une famille de confession musulmane et pratiquante. Et pour avoir lu particulièrement pas mal d’écrivains algériens en particuliers kabyles, et Boualem Sansal, je peux vous assurer que l’Occident n’est pas leur modèle d’idéal. Alors dépassons ces clivages et avançons.
bonnes réflexions!
Bonjour, merci de cet échange.
Je ne prétends nullement connaitre les idéaux des uns et des autres. Je dis simplement que dans nos éléments de langage mêmes (y compris ceux de nos écrivains) transparait un manque d’appropriation des conceptions, et que bien souvent les essais, romans, interventions ont pour principal destinataire l’étranger et non les citoyens des régions dont sont issus ces penseurs.
Le message que je voulais transmettre à travers ce billet est que nous ne sommes pas condamnés naviguer séparément en nous accrochant à des systèmes de pensée venant d’ailleurs, et que tous ensemble nous avons la possibilité de construire un socle commun répondant aux spécificités de notre culture.
Reflexion pertinente, sui à l’avantage dedénoncer “la trahison desclerc” ou la démission de nos intellectuels, ou plusprosaiquement l’aliénation volontaire de nos intellectuels à l’idéologie dominante des pays occidentaux. 1) Par contrevous vous trompez quand vous concluez que nous n’avons pas d’dentité claire. Nous avons une identité ancrée à la réalité des multiples influences des diverses colonisations que nous avons subi depui le pouvoir de Carthage. Et notre principale identité actuellement, c’est l’identité arabo-musulmane Or cette identité à été accaparée par les islamistes qui veulent la transformer pour l’actualiser avec les besoins de l’epoque actuelle, mais ils n’ont fait que la pousser vers l’obscurantisme et le terrorisme. Ce qui a crée un courant moderniste entirement aliéné à la francophonie et à l’idéologie occidentale. Aujourd’hui nous devons prendre à l’occident ce qui le meilleur comme la valeur du travail et de l’intelligence et tousles progres scientifiques et technologiques.
Bonjour et merci de votre commentaire.
Ce n’est pas exactement notre identité que je voulais soulignais et d’ailleurs, je ne suis pas convaincue par la pertinence d’une identité qui serait « nationale » (j’avais écrit un article pour essayer de le formuler ; je l’avais intitulé « l’identité se conjugue au singulier »).
Ce que je voulais souligner c’est la nécessité pour nous de développer notre propre vision et nos propres concepts à partir de notre héritage historique, culturel, idéel, pour pouvoir décortiquer efficacement nos réalités, au lieu d’emprunter les « clés » des autres, qui ne sont pas forcément adaptées à nos serrures.
Ce n’est naturellement pas pour nous isoler que nous avons besoin de faire ce travail mais précisément pour participer aux idées universelles, non plus en tant que consommateurs mais en tant que contributeurs. Je suis donc d’accord avec vous sur le fait qu’on doit rester ouverts sur les idées des autres et ne pas hésiter à les utiliser, à ceci près qu’on doit d’abord les adapter à nos spécificités.
C’est curieux. Vous ne citez que des écrivains francophones qu’on appellera des “indigenous informants” en anglais. Vous pointez certaines choses, mais je ne suis même pas sûr que vous soyez capables d’écrire cet article en arabe. Vous parlez de pensée, de liberté, mais vous ne semblez pas vous rendre compte que vous êtes vous même une aliénée, car vous n’êtes pas capable de penser en arabe et de produire une réflexion dans cette langue. Vous parlez de philosophes arabes, les avez-vous lu en arabe? C’est là un des graves problèmes d’une certaine élite dans les pays arabes.
Bonjour,
vous pouvez supprimer le 1er commentaire. (il est très mal écrit et dans la précipitation).
voila un autre (je souhaite qu’il sera plus lisible aux lectrices et lecteurs).
Dans l’article plusieurs passages méritent à eux seuls deux à trois pages de développement. Imaginions alors cette réflexion en 30 voire 40 pages, avec un balayage, certes, il sera succinct, mais il nous amènera à mieux comprendre et situer la contribution arabo-musulmane depuis l’époque abbasside jusqu’à la fin de Elandalous au sein des parcours civilisacionnel de l’humanité ? Je pense que des points de repères pourront être découverts pour comprendre cette contribution, que le monde actuel surnomme et identifie, comme contribution arabo-musulmane.
Comment cette contribution arabo-musulmane a compris le moi et le nous local, et l’universel ?
Comment la descente à l’enfer à l’extrémisme, au fanatisme, au fondamentalisme est intervenue dans la pensée, et dans la gouvernance sociale surtout de la société de l’époque ?
Comment la relève est intervenue par les occidentaux depuis l’époque des grandes découvertes, des Amériques, de l’inde, … ?
Comment la société (le monde arabo-musulman) a commencé de produire les éléments du déclin ?
Pourquoi les idées de la renaissance arabe n’ont pas pris corps dans la société pour construire un autre match civilisationnel ? Par contre les occidentaux malgré la force des éléments du catholicisme qui clouent l’humain et empêche le progrès, ont su comment trouver le chemin pour produire une nouvelle contribution civilisationnelle (l’actuelle), et trouver les définitions nécessaires au moi, au nous collectif et local (les pays européens, USA avec), et imposer leur vision à l’universalisme ? Certes ça n’a pas était à petit prix, mais au pris d’une guerre de religion, du colonialisme, … mais pas que. C’est au pris d’une capacité innovatrice aussi (el ijtihad) à leurs manières.
Il est vrai que ce travail demandera un sacré temps. Pour cette occasion, juste j’ai envie de dire :
1- que toute civilisation n’est pas partie de rien. La traduction des contributions et productions grecques par des écrivains et philosophes musulmans a beaucoup décidé de la couleur et du genre de la contribution identifiée arabo-musulmane. Et aussi l’accès des européens à l’héritage grec était en grande partie à travers ces traductions menées par les philosophes et intellectuels musulmans de l’époque, chose que les actuels occidentaux ne le nient pas.
2- Que toute civilisation, ou plutôt démarche civilisationnelle, ou parcours civilisationnel, a toujours posé la définition du moi et du nous par les significations et les signifiants locaux et les plus modernes de son époque, avant de poser le plan et la couleur de la contribution que cette société souhaite apporter, bâtir, construire au niveau local et à l’universel.
3- À chaque fois qu’une pensée a su structurer la société à travers une démarche de classe était plus apte à réussir sa contribution. L’odeur de la structuration par classe existe dans toutes les civilisations qui ont agi sur le développement historique de l’humanité. Cette caractéristique est évidemment plus visible et facile à lire dans l’actuelle civilisation, identifiée, appelée occidentale. Pour ne pas être plus long : les philosophes des Lumières ont fort contribué et poussé la société européenne, en France, en Angleterre, en Allemagne,… à que cette société européenne évolue vers une structuration sociale, politique et économique de classe, plus pertinente, plus moderne, et qui va faire rupture avec le féodalisme (qui n’est qu’une pensée de classe, archaïque et qui ne pourra avancer avec la modernité et ses valeurs d’émancipation, liberté , égalité, …). Alors à travers l’intégration de la classe bourgeoise et ses alliés de la pertinence de cette nouvelle organisation et structuration, que aussi né le capitalisme avec son laisser faire laisser passer couvert par le libéralisme qui porte liberté droits de l’homme et du citoyen (le vrai fondement) de l’organisation institutionnelle et politique de la nouvelle société qui va produire, bâtir l’actuelle contribution civilisationnelle actuelle depuis presque deux siècles et demi. Exemple comme étapes, la révolution française, nouvelle ère d’alliance entre la bourgeoisie et l’institution royale en Angleterre, la révolution industrielle, alors des nouveaux états avec organisation constitutionnelle, tels républiques, ou royaumes constitutionnelles, l’ère coloniale est aussi une étape de l’expansionnisme/universalisme occidental, l’impérialisme pour continuer à renforcer les intérêts stratégiques conquis et imposés dans les territoires d’ailleurs (l’univers, le monde). Tous ces éléments, ont permis une sorte d’universalisme, d’application universelle, aux produits locaux occidentaux, idéologiques, culturels, modèle de développement économique,… Marx lui-même n’a pas cherché à comprendre, il a posé sa théorie sur la base de cette division organisationnelle de la société, la pensée de classe. C’est un géni d’observation ce type.
Chez nous, les peuples arabes, Africains et musulmans, nos intellectuels et philosophes de la Renaissance, depuis deux siècles n’ont pas pu convaincre nos sociétés de la pertinence des objectifs de leur modèle de penser qui va faire, normalement, rupture avec les éléments et situations de la décadence par lesquels passaient notre moi local et notre nous collectif, nos sociétés. Il est vrai que l’échec est du en partie, à une certaine pertinence et force de s’imposer que possède le modèle occidental depuis le 19ème siècle et même un siècle avant où il a commencer à se dessiner sur papiers en matière des sciences, des technologies, et des sciences sociales ; ce modèle occidental qui était déjà en marche et en expansion, a perturbé certains penseurs du monde arabe depuis le 19ème siècle ; il a perturbé la réflexion, elle-même de l’époque, et surtout il a divisé l’élite de l’époque. Mais aussi cette non réussite de nos penseurs de la renaissance vient par et à travers des éléments internes à nous. Nos penseurs de l’époque ont commencé à réfléchir la sortie du déclin, sans apporter une vraie et calme critique à l’héritage (l’ancienne contribution arabo-musulmane). Il leur manquait une grille de lecture à l’histoire en mouvement, au temps humain. Plusieurs d’entre eux ont compris les nouveaux éléments de la modernité (les nouvelles organisations politiques, sociales, économiques, comme des dérives). Au même temps d’autres se sont emballés dans (el inbihar de ce qui est occidental).
Quand une civilisation tombe dans le déclin, il ne faut pas chercher des portes de sorties avec une ancienne grille de lecture, ou à travers une grille importée, il faut réfléchir une innovation, certes dans le cadre des valeurs universelles qui ont participé à produire la première contribution. Et surtout sans se mettre en état de rejet complet de ce qui vient d’ailleurs… surtout quand il porte un modèle d’organisation politique, social et économique qui marche et qui prouve sa capacité expansionniste et de conquête (certes par la force armée), mais pas que .
Oui, comme vous le signalez dans votre bulletin, avant de définir l’universel, ou poser un tas, un ensemble d’éléments, des pierres, sans plan ni méthode ni grille de lecture, ni manière de faire, il faut définir le moi et le nous local et collectif, puis établir le plan de la contribution à vouloir apporter, et de là, mettre en œuvre les démarches nécessaires pour réaliser la vision (nouvelle) à la société et au monde que la contribution porte, et souhaite porter en matière d’aspirations légitimes du moi, du nous collectif Local et universel.