La réforme de la loi régissant les associations a été au cœur d’une réunion entre le ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les organisations des droits de l’homme, Mehdi Ben Gharbia, avec une brochette de juristes parmi lesquels Chafik Sarsar, Farhat Horchani et Slim Laghmani. Tenue le 21 février dernier, cette réunion avait pour but de discuter de la réforme du décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011, portant sur l’organisation des associations. Cette réforme, déjà évoquée en mars 2017 par le ministre et qui a fait l’objet d’une première consultation en juin 2017 semble revenir sur le devant de la scène, sous couvert de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.
Un amendement inquiétant pour les associations
La mise en branle de la réforme de la loi régissant les associations n’est pas sans liens avec la très récente polémique suscitée par l’inscription de la Tunisie dans la liste des pays tiers exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Cette liste noire a pour origine les différents rapports du Groupe d’Action Financière (GAFI), l’instance internationale de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En effet, si le rapport de décembre 2017 du GAFI rehausse l’évaluation de la Tunisie pour une bonne partie des 40 recommandations, deux rétrogradations sont à dénombrer. L’une d’elles porte sur la recommandation 8 qui concerne les organismes sans buts lucratifs, soit les associations. Comme nous l’a fait remarquer Amine Ghali du Kawakibi Center for Democratic Transition (KCDT) : « Dans le rapport de 2016 du GAFI, la Tunisie était largement en adéquation avec les recommandations de cette instance en matière de législation sur l’organisation des organisations sans but lucratif ». En effet, malgré des carences en matière d’effectivité du contrôle exercé sur les organisations, le cadre législatif, soit le décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011, portant organisation des associations, était jugé approprié. Toutefois, le rapport national tunisien publié en avril 2017 par la Commission Tunisienne des Affaires Financières (CTAF), principal vis-à-vis du GAFI, fait part d’inquiétudes extrêmement vives quant au financement des associations, notamment celles spécialisées dans les actions caritatives à caractère religieux. Afin de réduire les risques, il recommande l’amélioration des contrôles, mais aussi la modification du cadre législatif régissant la création d’associations.
« Manœuvre politicienne »
La remarque a été reprise par l’évaluation de décembre 2017 du GAFIMOAN (Groupe d’Action Financière du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord), qui, sur la base du rapport tunisien, a recommandé l’amendement de la loi relative aux organisations non-gouvernementales, rétrogradant la Tunisie de « largement conforme » à « partiellement conforme ». Cette rétrogradation dissimule, selon Amine Ghali, « une manœuvre politicienne visant à justifier le durcissement de la loi sur la création d’associations en Tunisie et à contrôler la société civile tunisienne ». Durant la consultation de juin 2017, le ministère des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les organisations des droits de l’homme a recommandé l’harmonisation de la loi sur les associations avec la loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, ainsi que la révision du système des sanctions.
Contacté par Nawaat, le chef de cabinet du ministère, Mondher Bousnina, a donné quelques précisions supplémentaires sur le projet de loi : « Nous voulons inclure de nouveau types d’organismes dans la loi comme les fondations et les coopératives, et créer un cadre spécifique pour les ONG internationales afin d’attirer les bureaux régionaux Moyen-Orient/Afrique du Nord vers Tunis ». Il a précisé aussi le besoin de numériser les démarches administratives : « Nous souhaitons créer une plateforme en ligne sur laquelle les associations pourront se déclarer, sans passer par l’envoi de courrier. Cette plateforme leur permettra également de publier leurs états financiers et de déclarer leurs financements étrangers de manière transparente ». Enfin, il a souligné le besoin de se défaire de la gradation des sanctions (suspension puis dissolution) envers les associations contrevenantes, arguant qu’aucune dissolution n’avait pu être prononcée.
Une loi à réformer selon la constitution
Dans les faits, la loi actuelle permet au gouvernement de demander au tribunal de première instance de Tunis de suspendre voire de dissoudre des associations si elles refusent de divulguer leurs sources de financement. Plusieurs suspensions et dissolutions d’associations ont été prononcées au cours des dernières années, souvent dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il semble pourtant que le gouvernement ne souhaite pas continuer à maintenir le cadre légal actuel, préférant une refonte complète de la législation. L’article 65 de la constitution de 2014 stipule que l’organisation des associations, partis politiques et syndicats doivent être régis par une loi organique. La réforme de la loi donc, est nécessaire pour être en adéquation avec la constitution, puisqu’un décret-loi n’a pas valeur de loi organique. Le gouvernement, qui accuse de nombreux retards en matière d’harmonisation des lois avec la constitution, s’active à se conformer en matière de loi organisant les associations, d’où l’initiative de Ben Gharbia. Il semble utile de rappeler à cet égard que le même Mehdi Ben Gharbia a affirmé, en septembre dernier, avoir besoin de 4 ans pour prendre les mesures nécessaires à l’abolition du test anal pratiqué sur les personnes soupçonnées d’homosexualité. Cette pratique inconstitutionnelle d’après l’article 23, qui oblige l’Etat tunisien à « protége[r] la dignité de l’être humain et son intégrité physique », a été utilisée à de nombreuses reprises par la police, dans sa quête de prétendues « preuves d’homosexualité ». Il transparait toutefois que le ministre des droits de l’homme juge que l’abolition d’une telle pratique ne relève pas de l’urgence, ou du moins qu’elle est moins prioritaire que la refonte du cadre législatif régissant les associations.
Si cette réforme répond à une nécessité d’ordre constitutionnel, elle constitue un sujet d’inquiétude légitime pour certains acteurs de la société civile compte tenu du climat particulièrement tendu en matière de diabolisation de la société civile et de remise en cause des droits humains. La récente visite du président français Emmanuel Macron a été l’occasion pour le chef de l’Etat Béji Caïd Essebsi de réaffirmer une conception toute personnelle des droits humains. Le président tunisien a en effet déclaré : « les droits de l’homme ne sont pas quelque chose d’absolu. Il y a aussi le droit des peuples à défendre leurs acquis ».
Je suis peu informé des méandres de la politique tunisienne, encore moins des péripéties politiciennes et des coups bas que se font les appareils au pouvoir tant ils sont divergents dans leurs visions et leurs projets. Ennahdha, à lire certains, passerait pour le parangon de la liberté face à un parti du Président souvent décrit comme le sosie d’un RCD disparu ou sa réincarnation sous des habits neufs…
Le consensus ayant installé ces deux composantes aux affaires indique assez la tentation du pays à s’offrir à l’une d’elle, et ses hésitations à franchir le rubicon.
Le droit de s’associer doit être contrôlé en amont, pendant et en aval afin de veiller à ce que l’objet d’exercice associatif soit honoré et respecté par l’association, que son ou ses sources de financement soient identifiés et déclarés et l’argent strictement utilisé en conformité avec le projet associatif…
Quant aux droits de l’homme, on peut en discourir et questionner les usages qui en sont fait ici ou là. Ce concept abstrait, droits de l’homme, mériterait à voir l’homme avec ou sans H remplacé par les gens ou les hommes afin de pluramiser la perspective plutôt que d’essentiel user un Homme qui n’existe pas.
Mais, ceci est une autre histoire qui romprait avec les “absolus” capables d’interdire toute pensée…autre.