Bonjour,
Les dernières élections municipales du pays remontent à 2010. Cette année-là, au mois de décembre, le jeune Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu, suscitant une révolte dans tout le pays, et dans presque tout le monde arabe. En janvier 2011, le régime de Zine el-Abidine Ben Ali était renversé (pour plus de contexte, retrouvez une chronologie de l’histoire récente tunisienne sur le site de Libération).
Premiers espoirs
Dans la foulée de la révolution, les conseils municipaux sont dissous. Des délégations spéciales les remplacent. Elles ont vocation à gérer les affaires courantes et à assurer l’intérim en attendant de nouvelles élections locales. Sept ans plus tard, le provisoire dure toujours, malgré de nombreux dysfonctionnements.
En octobre 2011, le pays élit une assemblée constituante. La Constitution arrive en 2014. En décembre, les Tunisiens élisent l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et un président, le conservateur Béji Caïd Essebsi.
Mais de conseils municipaux, toujours pas. Les plus optimistes voulaient croire en leur élection en même temps que les législatives et la présidentielle, ou alors en 2015. Peine perdue. La Constitution consacre un chapitre (VII) entier à la décentralisation du pouvoir, concentré à Tunis sous Ben Ali. Mais pour la mettre en oeuvre il faudra attendre.
En octobre 2015, Chafik Sarsar, président de l’Instance supérieure indépendante en charge des élections (ISIE) qui a déjà chapeauté celles de 2014, propose une date: ce sera en octobre 2016.
Le patron de l’ISIE prévient qu’il y a des préalables. Notamment, et pas des moindres, la définition des modalités du scrutin. La loi organique 2014-16 précise comment sont organisés les scrutins nationaux, mais pas ceux d’échelle locale. Le projet de loi du gouvernement pour pallier ce manque est déposé en janvier 2016 au Parlement. Il est discuté entre février et mai par la commission du règlement intérieur, de l’immunité et des lois parlementaires et électorales. Globalement, “le processus [de discussion du texte] à l’Assemblée des représentants du peuple est lent et décevant”, estime le Centre Carter dans une note. Le think-tank américain qui observe les démocraties dans le monde précise aussi qu’après le passage en commission:
Une discussion générale sur la législation a eu lieu en séance plénière le 1er juin [2016] ; Cependant, le travail de l’ARP a été suspendu avant le passage au vote. Au cours d’une très courte séance plénière, le 2 juin, les progrès de l’adoption du texte ont été entravés par l’absence d’accord entre les blocs parlementaires sur la dissolution des délégations spéciales (conseils municipaux provisoires), qui a été considéré, par certains, comme une condition préalable.
Le 14 juin, un accord a été conclu sur leur dissolution, ce qui a permis l’examen de plusieurs articles du projet de loi. Toutefois, avant l’adoption globale de la loi, la session plénière du 15 juin a été suspendue sine die en raison d’un désaccord relatif à l’opportunité de l’octroi du droit de vote à l’armée et aux forces de sécurité intérieures.
Premiers reports
Face aux blocages, l’ISIE revoit sa copie. Dès le printemps 2016, elle avertit que la première échéance (octobre 2016) n’est pas tenable. Elle planche plutôt sur un scrutin municipal un an plus tard, en mars 2017 – avec une feuille de route assez précise.
C’était sans compter sur le temps parlementaire. La loi visant à encadrer le déroulé des élections (dont le projet avait été déposé par le gouvernement en janvier 2016 à l’ARP) n’est publiée au journal officiel… qu’en février 2017.
Résultat: nouveau report. En mars 2017, l’ISIE veut croire, par la voix de son président Chafik Sarsar, qu’«il est encore possible d’organiser des élections en 2017». C’est alors la date du 26 novembre qui est avancée. Si elle n’est pas respectée, selon le patron de l’instance supervisant les élections, «ce sera un mauvais indicateur pour la Tunisie».
Modification à la marge, au mois d’avril suivant, la date des municipales est fixée au 17 décembre. Tout un symbole: il s’agit de l’anniversaire de l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi.
Démissions
Nouveau coup dur. Le mois suivant, en mai 2017, Chafik Sarsar démissionne de son poste de président de l’ISIE, en compagnie du vice-président et d’une magistrate de l’instance, évoquant des «conflits» au sein de l’instance de supervision des élections. C’est une surprise, et un énième coup d’arrêt à l’organisation des élections municipales. «Il y a eu beaucoup de dits, et encore plus de non-dits sur ce départ, résume auprès de CheckNews Nessryne Jelalia, directrice exécutive de l’ONG Al-Bawsala, qui observe le processus démocratique depuis 2011. Mais de nombreux acteurs, y compris [cette] ONG, ont estimé qu’il fallait laisser le temps à l’ISIE de se remettre de ce départ, afin que les élections se tiennent dans les meilleures conditions.»
En septembre 2017, au terme d’une réunion entre l’ISIE, des représentants du gouvernement, des partis et de la société civile il n’y a plus d’accord pour que le scrutin se tienne en décembre. Il n’y a même plus aucun accord ferme sur une échéance. «Un pas en arrière», de l’avis de plusieurs participants à la table ronde. «Mars 2018», c’est la nouvelle date qui semble avoir le vent en poupe. Elle est finalement confirmée par le président par intérim de l’ISIE en octobre.
Alors en novembre 2017, quand l’instance se dote d’un président élu par l’ARP, en la personne de Mohamed Tlili Mansri, le dénouement semble proche. Qu’importe, si quelques jours plus tard, la date du scrutin passe de mars au 6 mai. D’ailleurs, plus personne ne parle de report. Tout juste s’agit-il d’une «révision de calendrier» selon le nouveau patron de l’instance électorale.
Depuis, l’ARP a joué serré pour voter le code des collectivités. C’était à la toute fin du mois d’avril 2018 (là encore, après près d’un an de discussion entre la commission et la chambre). Jusqu’alors, on savait comment élire les conseils municipaux… mais pas quels seraient leurs pouvoirs. Aujourd’hui, tout ou presque est réuni pour les élections municipales. Restent à savoir si les Tunisiens seront au rendez-vous.
Conjonction
En résumé : le retard pris sur les élections municipales est le fruit de ralentissements multiples, à la fois au niveau de l’exécutif et du pouvoir législatif.
Ainsi, la mise en place des tribunaux administratifs régionaux, nécessaires à la tenue des élections car chargés de trancher en cas de litige a plusieurs fois pris du retard. Idem pour l’élection de nouveaux membres de l’ISIE après la démission de trois membres en mai 2017 (il aura fallu 6 mois pour qu’ils soient dûment remplacés) ou encore l’adoption à la dernière minute du Code des Collectivités Locales.
A noter que de nombreux partis politiques présents à l’Assemblée des représentants du peuple comme le Front Populaire, Afek Tounes, Al Joumhouri, Machrou3 Tounes, ont plaidé pour le report des élections en raison de ces retards, tout en concédant, à demi-mot, leur impréparation logistique. D’autres, comme Nidaa Tounes ont ralenti les travaux de l’Assemblée, notamment quand il s’est agit d’élire de nouveaux membres à l’ISIE, quittant l’hémicycle pour faire tomber le quorum réglementaire.
[external_rss_feed url=”http://www.liberation.fr/rss/100949/”][/external_rss_feed]
iThere are no comments
Add yours