A l’occasion des élections municipales en Tunisie le 6 mai, CheckNews s’associe au site tunisien indépendant Nawaat. Les équipes des deux médias répondront à toutes vos questions sur la Tunisie. Posez-les dès maintenant avec le hashtag #CheckNewsTunisie

Bonjour,

Difficile de répondre frontalement à la question sans prendre parti. Cependant, elle soulève plusieurs points sensibles.

L’amnistie fiscale, c’est-à-dire la suppression des impôts dont un ou plusieurs contribuable(s) aurai(en)t dû s’acquitter, était, en effet, une arme souvent utilisée par l’ancien président Zine Abidine Ben Ali. Le 27 novembre 1987, dix-neuf jours après son entrée en fonction à la présidence de la République, il promulgue une loi d’amnistie fiscale. D’autres suivront comme en 2006 pour célébrer les 50 ans de l’indépendance du pays ou encore en 2008.

Cette mesure permettait à l’ancien autocrate d’acheter la « paix sociale », cela ne fait pas de doute pour Chaker Mzoughi, professeur à la faculté de droits et de sciences politiques à l’Université de Carthage. Mais le docteur en droit se refuse à toute comparaison entre l’ancien régime et maintenant car « les contextes sont trop différents. Aujourd’hui, il ne s’agit que d’un slogan populiste brandi par certaines listes alors que ces élections prennent place dans un moment révolutionnaire, qui doit redéfinir le rôle du citoyen. » Ce sont essentiellement des candidats étiquetés du parti Nidaa Tounes qui promettent cette mesure.

Sur le plan juridique, les futurs élus locaux n’auront pas la même latitude que Ben Ali. « Les municipalités n’ont pas le pouvoir d’amnistie fiscale, la faculté de recouvrement de l’impôt relève uniquement de la loi car comme le précise l’article 65 de la Constitution », explique Mahdi Elleuch, assistant de projet à l’ONG tunisienne al-Bawsala, spécialisée dans le suivi de la gestion des affaires de l’Etat. Cependant, le juriste, qui a suivi le processus d’élaboration du Code des collectivités locales au sein de l’assemblée (voté le 26 avril), précise que les députés Nidaa Tounes voulait justement ouvrir cette compétence d’amnistie fiscale aux municipalités, sans succès. Mais le Code permet aux collectivités locales d’effacer des créances irrécouvrables concernant « les amendes, les redevances, les bénéfices que tire la collectivité de l’exploitation de ses propriétés, espaces et services, ainsi que de ses participations dans des entreprises », détaille Mahdi Elleuch. Mais cette amnistie ne peut se faire qu’au cas par cas et à condition d’un avis favorable de l’expert-comptable de la municipalité.

Dernier point: l’amnistie fiscale est-elle efficace économiquement ? L’Observatoire tunisien de l’Economie, un réseau de chercheurs s’intéressant aux politiques publiques tunisiennes, a publié une synthèse sur la question en 2015. L’auteur, Amine Bouzaïene, explique que l’amnistie fiscale est une arme utilisée pour augmenter à court terme les recettes de l’Etat en intégrant, par exemple, dans le circuit formel les revenus du marché parallèle. Mais pour lui, elle ne peut efficiente dans le pays: « Le recours répétitif à cet outil dans le passé condamne de prime abord toute chance de réussite. […] L’héritage en Tunisie est tel qu’une amnistie fiscale risque d’affaiblir encore plus la crédibilité de l’Etat, de plomber l’équité fiscale, de nourrir l’injustice fiscale et de jouer, in fine, le rôle de prime à la fraude fiscale. »

Cordialement,

Mathieu Galtier

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