Khaled, la cinquantaine, est forgeron. Il a ramené ses deux fils pour assister à l’événement. C’est une journée spéciale à la Goulette. Sur le toit de la maison juste à côté de l’église de La Goulette, des curieux attendent le spectacle, tout comme la centaine de personnes rassemblées devant l’église et interdites d’accès à la messe. « Quand j’étais petit, il y avait beaucoup de pêcheurs italiens. A chaque célébration du jour de l’assomption avec la sortie de la Madonne, le ciel se mettait à pleuvoir le lendemain. C’était comme une bénédiction », se rappelle Khaled.
Accompagnée par ses deux petites filles, Fadia, septuagénaire originaire du même quartier, tient à transmettre cette tradition à sa descendance : « J’ai grandi à La Goulette. Je suis venue aujourd’hui pour montrer ça à mes petites-filles surtout que ça s’est arrêté depuis de longues années ». Reprise l’année dernière, la tradition de la sortie de la Madonne connait pourtant une affluence importante.
La place est pleine à craquer. L’événement est également marqué par une présence policière exceptionnelle mais discrète. Autre particularité : une importante affluence de fidèles subsahariens. « Bien sûr qu’on est venu pour la messe. Nous sommes chrétiens », lance un étudiant ivoirien qui s’empresse vers la porte de l’église en compagnie de deux de ses compatriotes.
La célébration commence. « Messe récitée en français par un italien dans une église chrétienne dans l’ancien quartier juif d’un pays musulman avec des chœurs ivoiriens », commente-t-on sur les réseaux sociaux. Alex, un Libérien résidant à la Goulette depuis deux ans et demi, veille à orienter les retardataires vers des sièges vacants. Bien que ce soit un fidèle de l’église de Pentecôte, il semble très impliqué dans l’organisation de la messe. « Je viens dans cette paroisse, parce que mon église n’existe pas ici », nous confie Alex.
Mais il n’y a pas que des Ivoiriens et des Libériens. De nombreux ressortissants d’autres pays d’Afrique subsaharienne à l’instar du Congo et du Togo y sont aussi. Cette influence se sent et s’entend tout au long de la messe. Et voilà que la Madonne de Trapani, après avoir traversé la Méditerranée depuis des décennies, se découvre une africanité. « C’est vrai qu’il y a une messe gospel tous les dimanche à 9h ? Mais c’est magnifique ! », s’émerveille une dame tunisienne venue avec son mari franco-polonais.
L’archevêque de Tunis Ilario Antoniazzi appelle à la communion tout en précisant, avec fermeté, que seulement les baptisés dans une église catholique peuvent recevoir le pain béni, « le corps du Christ ».
Les pieux se mettent en mouvement et prennent place dans la file d’attente, où un jeune homme subsaharien veille sur la distribution des hosties. « Vous êtes catholiques ? », interroge-t-il les demandeurs. Il lui arrivait même de retirer l’hostie de la bouche des non-catholiques avant qu’ils n’avalent le pain béni. « Tu as vu ?! Elle voulait la prendre bien qu’elle n’est pas catholique ! », s’exclame une jeune femme, sur le ban d’à côté, en se tournant vers ses amies. Après plus de deux heures de messe, la Madonne est sortie. Subsahariens, Tunisiens et Italiens la portent sur leurs épaules.
Sous la lumière solennelle des centaines de smartphones sortis pour la documentation de ce moment longtemps attendu, la Madonne sort de l’église pour faire son tour d’honneur dans la cour de la paroisse. « Avant, on marchait jusqu’aux remparts de la Karraka. Je venais de Carthage jusqu’ici pour assister à la sortie de la Madonne », se souvient, Wahida, 72 ans.
Des youyous sont lancés, la foule devant la porte est impatiente après une longue attente sous un soleil de plomb. Après s’être découvert une africanité, la Madonne de Trapani se retrouve bien accueillie dans la Tunisie du 21ème siècle avec ses photos et vidéos postées instantanément sur les réseaux sociaux.
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